Le blog des éditions Libertalia

Tarnac, Magasin général

mardi 20 mars 2012 :: Permalien

Tarnac, Magasin général.
David Dufresne.
Calmann-Lévy, 488 pages, 20 euros.

« Il faut substituer au sentiment du gibier traqué l’allant du combattant » disait le maquisard communiste Georges Guingouin. La citation, reproduite en page 188 du présent ouvrage, résume l’usage que nous pouvons faire de ce livre-synthèse sur l’affaire dite « de Tarnac ». L’auteur, David Dufresne, n’est pas un inconnu. Ancien animateur du fanzine Tant qu’il y aura du rock, ancien collaborateur de Bondage Records, il a travaillé pour Libération puis Mediapart. Il revendique l’héritage du « Gonzo journalism », cite ça et là les Dead Kennedy’s et Les Cadavres, et retient du mouvement punk la notion de « Do It Yourself », donc la volonté d’aller vérifier ad nauseam l’info par lui-même. Il y a quelques années, il avait publié Maintien de l’ordre (Hachette, 2007), un essai remarqué sur la stratégie policière des années 2005-2006 (émeutes en banlieues et CPE). C’est à un nouveau voyage dans les coulisses et les bas-fonds de la répression qu’il nous convie.

Dufresne a rencontré de nombreux flics, de tous grades et de tous services. Il décrit la guerre des polices à l’occasion de la constitution de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), le fameux « FBI à la française » voulu par Nicolas Sarkozy et ses proches collaborateurs, dont Bernard Squarcini, qu’on croise également dans ces pages. Il raconte la traque des militants de Tarnac par des agents nombreux, dotés de moyens disproportionnés (balises placées sur les véhicules, écoutes téléphoniques, caméras dans les arbres à proximité de la ferme du Goutailloux, filatures menées par une dizaine de véhicules pour suivre un couple, chiens détecteurs de métaux, etc.). Il fait part du ressentiment des flics de base, aigris car non écoutés et dénigrés par des supérieurs qui veulent absolument des résultats, quitte à inventer de nouvelles et fantasmatiques menaces : « Passer des heures à les suivre en train d’aller acheter des livres, ça allait bien cinq minutes… On aurait bien aimé que le groupe soit un peu plus opérationnel. » Il livre quelques réflexions cruelles sur la docilité voire la complicité des journalistes : «  Dans les semaines qui précédaient les arrestations, le cabinet de Michèle Alliot-Marie nous laissait entendre que quelque chose d’imminent allait se passer, qu’une attention particulière était faite sur l’extrême gauche. On nous parlait même de gens à la campagne  » ; sur la bêtise crasse des fins limiers de l’antiterrorisme (procès-verbaux truffés de fautes ; noms propres écorchés : Alfredo Bonanno devient « Bananno » ; absurdité tel le placement sous scellés du Sabotage de Pouget, édité il y a un siècle) ; sur l’extrême gauche, toujours trop bavarde : « Écrire, c’est plus fort qu’eux. Dès qu’il y a une scission, il y a trois rapports de synthèse… des rapports publics… Ça nous aide pas mal…  » ; et enfin sur le cynisme des gouvernants : «  Islamos, Basques, qu’importe si on te demande de relâcher un mec, si on te dit “on stoppe”, par exemple parce que l’Espagne n’achète pas assez de TGV à la France, tu t’exécutes […]. Très vite les Espagnols ont compris ce que ça voulait dire : on allait mettre leurs dossiers basques dans un tiroir et on les oublierait. Ils se sont mis à acheter des TGV, et on a ressorti les dossiers… »

Dense et passionnant, parfois psychologisant, ce livre offre de multiples grilles de lecture. À ce jour, il est de loin le plus complet et le plus fiable sur le sujet.

N.N.