Le blog des éditions Libertalia

Éditocrates sous perfusion dans Le Combat syndicaliste

lundi 27 avril 2015 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Recension d’Éditocrates sous perfusion dans Le Combat syndicaliste, janvier 2015.

Presse sous perf

On connaît le baratin de la presse dominante relayant le discours ultralibéral. À longueurs de colonnes, on y fustige les « assistés », coupables – à en lire les unes, éditos, enquêtes et dossiers –, d’être la honte, le talon d’Achille voire la plaie le modèle français. Cette même presse qui défend la rigueur partout, exhorte à la réduction des dépenses publiques, fait la leçon aux pauvres, encourage la chasse aux « fraudeurs » et autres prétendus suceurs d’aides publiques (et en fait un argument vente), occulte soigneusement qu’elle est elle-même grassement sous perfusion, grâce à la complaisance de l’État : « aides publiques à la presse », allègements fiscaux, tarifs postaux réduits, s’ajoutent aux subsides directs. En 2013, l’État a versé 288 millions d’euros à 200 titres de presse, les dominantes trustant l’essentiel, plus de 16 millions pour Le Figaro, autant pour Le Monde, 12 pour Le Parisien, 10 pour Télérama, La Croix, Ouest-France, 9,8 pour Libé… La discrétion est de mise sur cette hypocrisie crasse. « Tartuferie en bande organisée » dit l’auteur qui déterre plusieurs rapports officiels critiquant cette assistance, sa pertinence, son efficacité. Cour des comptes (en 1984, en 2013) et rapports parlementaires ont étrillé ces aides, mais comme c’est curieux, la même presse n’a pas moufté ni relayé ces infos sur une gabegie pourtant copieuse. Pas même l’ironie du député Michel Françaix clamant en 2012 que « l’immobilisme est en marche et rien ne saura l’arrêter ! ». Gavée de subsides, cette presse « dédiée à l’exacerbation des inégalités sociales » empoche, et se garde bien, sur ce sujet, d’exiger la fin d’un assistanat bien entretenu.

Nicolas, Interco Nantes

Éditocrates sous perfusion, sur Acrimed

lundi 27 avril 2015 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

In Acrimed, 12 février 2015.

En douze courts chapitres (et un « post-scriptum »), ce bref ouvrage de 105 pages (petit format) dresse le constat accablant qu’annonce son titre Éditocrates sous perfusion : les aides publiques à la presse, trente ans de gabegie. Nous en avons déjà publié un extrait. En voici une brève présentation que résume un article de l’auteur publié dans Le Monde Diplomatique de novembre 2014 (« Aides à la presse, un scandale qui dure »).
L’auteur ne se prononce pas sur l’avenir qu’il conviendrait de réserver à ces aides à la presse. En revanche, il dénonce, avec une particulière et indispensable virulence, la presse qui « dans le même temps qu’elle ensevelit l’État sous une avalanche d’exhortations à mieux maîtriser ses dépenses […] se gave de subventions étatiques », dont l’efficacité n’a jamais été prouvée. Cette même presse, qui ne tarit pas d’éloges sur les rapports de la Cour des comptes quand ils dénoncent les gaspillages de l’argent public, détourne les yeux quand ils mettent en cause la gabegie des aides à la presse.
C’est cette hypocrisie – que nous avions évoquée dans le cas particulier du Point – qui fait l’objet des cinq premiers chapitres. Vient alors le moment, comme nous en avertit l’auteur, d’« entrer dans un assez long tunnel documentaire », puisqu’il s’agit de revenir sur trente ans de rapports. Le titre de chacun des chapitres qui suivent reprend une citation de chacun de ces rapports, dont la liste tiendra lieu de présentation de ce court ouvrage.
– Un « rapport sur les mécanismes d’aide publique à la presse » demandé en novembre 1984 et présenté par la Cour des comptes en septembre 1985 constate déjà ce que tous les autres rapports confirmeront (chapitre 6 : Les aides à la presse : « une charge croissante pour les finances publiques ») ;
– En 1995, un deuxième rapport, parlementaire celui-là, sonne l’alarme (chapitre 7 : « Les arguments ne manquent pas, qui pourraient justifier un désengagement de l’État ») ;
– En décembre 1998, est créé un fonds d’aide à la modernisation de la presse : il fait l’objet d’un « rapport d’information » présenté au Sénat par Paul Loridant en 2004, dont les conclusions sont accablantes (chapitre 8 : encore « une aide supplémentaires dans un panel de subventions déjà particulièrement fourni ») ;
– En 2008, Nicolas Sarkozy convoque des « états généraux de la presse » qui se concluent par la rédaction d’un livre vert qui prélude à de nouvelles mesures de soutien adoptées en janvier 2009. Il est complété par un rapport sur « La gouvernance des aides à la presse », rédigé par un consultant Aldo Caroso, qui est, à sa façon, impitoyable (chapitre 9 : des « mécanismes de soutien dont l’efficacité globale n’est pas établie ») ;
– En octobre 2011, c’est au tour du député socialiste Michel Françaix de rendre un « Avis » (chapitre 10 : « L’immobilisme est en marche et rien ne saura l’arrêter ! ») ;
– En 2013, c’est la Cour des comptes qui remet un rapport sur « Les aides de l’État à la presse écrite » qui parachève – provisoirement – les bilans d’inefficacité (chapitre 11 : « Ces aides non pas démontré leur utilité »).

Henri Maler

Éditocrates sous perfusion, dans Courant alternatif

lundi 27 avril 2015 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Recension d’Éditocrates sous perfusion dans Courant alternatif (n° 246, janvier 2015, p. 10).

On ne peut pas les manquer ; vous les avez tous lus ou vus un jour ou l’autre tant leur omniprésence, pour certains depuis des décennies, a quelque chose d’habituel pour les plus résignés d’entre nous, d’obscène pour les autres. Et ils répètent tous en boucle dans tous les lieux et sur tous les supports de la parole dite légitime le même mantra néolibéral ad nauseam : la dette est insupportable ! les budgets sociaux minent notre compétitivité !, etc. Leurs remèdes sont clairs : il faut « réduire la dépense publique » car la « France des assistés » nous entraîne à la faillite et à la ruine… Dernière scie en date : la réduction du coût du travail ; de plus honnêtes diraient tout simplement la baisse des salaires, puisque c’est bien de cela qu’il s’agit.
On connaît le discours – difficile de faire autrement –, mais qu’en est-il des pratiques de ces bons docteurs ? En une centaine de pages informées et percutantes, Sébastien Fontenelle fait un sort à la crédibilité de ces éditocrates qui prônent des solutions qu’ils se gardent bien d’appliquer aux entreprises de presse où ils travaillent.
En effet, depuis trente ans, la presse écrite, qui fournit quelques-uns des plus beaux spécimens de ces éditocrates et de leurs prestigieux et bienveillants patrons, bénéficie de substantielles aides de l’État, pourtant vilipendé à longueur de colonnes. Le principe de départ partait pourtant d’un bon sentiment : il fallait garantir le pluralisme de la presse et assurer sa pérennité face à la concurrence de nouveaux médias. Mais, au lieu de profiter de ces aides ponctuelles pour améliorer la qualité de l’information tout en en renouvelant le modèle dans un esprit d’éducation démocratique, les groupes de presse concernés les ont intégrées à leurs objectifs financiers sur le long terme tout en se mettant, de plus en plus, au service des puissants et de l’idéologie dominante d’une manière primaire et racoleuse. D’où le cercle vicieux d’une presse de moins en moins critique, de moins en moins bien écrite, passant du grand reportage au publireportage, et qui, par là même, trouve de moins en moins de lecteurs prêts à payer pour une sous-information frelatée et uniformisée !
En dévoilant le long scandale de ces aides inefficaces à l’aide de faits et d’arguments tirés des nombreux rapports parlementaires qui y ont été consacrés, Sébastien Fontenelle soulève un aspect méconnu des problèmes de la presse écrite, tout en soulignant l’hypocrisie des éditocrates et de leurs employeurs qui tiennent un discours exactement à l’opposé de leurs pratiques. Il conclue donc fort justement qu’« il serait surtout temps de réformer enfin, après trente ans d’atermoiements et de renoncements, le système actuel de répartition de ces subsides, où des titres véritablement « citoyens » ne bénéficient d’aucun soutien autre que postal – quand des journaux et des magazines dédiés, in fine, à l’exacerbation des inégalités sociales […] sont littéralement gavés de subsides étatiques ». Reste à savoir comment, mais c’est une autre histoire…

PM

Paris, bivouac des révolutions. Dans les Inrocks

lundi 27 avril 2015 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Paru dans les inrocks, 30 avril 2014.

La Commune, avenir d’un souvenir

Un magistral livre de l’historien Robert Tombs analyse la Commune de Paris. Un événement historique dont les mouvements sociaux actuels réactivent le souvenir. La Commune de Paris, de mars à mai 1871, incarne encore le modèle absolu de la révolution populaire dont Marx disait qu’elle était “un sphinx qui met l’entendement à rude épreuve”.
Au-delà de sa mythologie, entretenue par des générations d’historiens marxistes, l’histoire de la Commune est pourtant encore en mouvement, comme le démontre l’historien anglais Robert Tombs à travers une lecture précise et dépassionnée de l’événement. Son livre impressionnant multiplie les angles de réflexion pour saluer la force historique de l’événement tout en prenant garde de ne pas figer son image dans le formol révolutionnaire.
L’auteur se détache des récits linéaires et mécanistes qui pullulent sur le sujet, pour lui restituer sa vérité plus complète et complexe. Outre une révolte prolétarienne, la Commune fut une “sorte de jacquerie, d’abord patriotique”, rappelle-t-il, tout en laissant en suspens la fameuse question qui flotte autour de la Commune : fut-elle le crépuscule ou l’aurore des révolutions ? À observer aujourd’hui les multiples mouvements sociaux, il est possible de mesurer, que par-delà son éclipse après 1871, l’imaginaire de la Commune s’est réactivé. Et qui peut-dire qu’elle ne pourrait, de ce point de vue, incarner encore l’aurore d’une révolution possible ?

Jean-Marie Durand

Paris, bivouac des révolutions. Dans les Cahiers Jaurès

lundi 27 avril 2015 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Paru dans les Cahiers Jaurès (n° 214, 2015)

La Commune vue d’outre-Manche

On ne saurait assez louer les éditions Libertalia d’avoir voulu rendre accessible en français The Paris Commune, 1871. L’idée n’allait pas de soi, car ce livre de synthèse avait été conçu pour un public anglophone, non familier a priori de l’histoire française et des débats idéologiques et historiographiques que ses moments les plus conflictuels ont suscités. En outre, l’importance de la contribution de ce professeur de l’Université de Cambridge à l’historiographie de la Commune était déjà attestée par la traduction du livre issu de sa thèse, La guerre contre Paris, 1871, pénétrante réévaluation de l’enjeu patriotique dans l’insurrection, des aspects militaires du second siège de Paris et de la brutalité de sa reconquête par les Versaillais. Si son premier attrait est de rendre justice aux historiens français, de Jacques Rougerie, dédicataire de Paris, bivouac des révolutions, à William Serman en passant par Jeanne Gaillard, sans oublier les générations nouvelles, ce livre-ci a aussi l’avantage de rendre accessibles nombre de travaux en anglais, parfois peu connus en France, et pas seulement dus à des historiens. L’auteur a une connaissance aussi complète que possible d’une historiographie dont on connaît l’ampleur, ce qui lui permet de placer à la fin, avant sa propre conclusion, avec autant de modestie que d’habileté, un tableau et un commentaire qui commence avec les premiers écrits des acteurs et s’achève avec la plus récente production universitaire.

Mais cela, qui n’est pas peu de chose, n’aurait peut-être pas suffi à justifier une pareille entreprise. Quel intérêt d’actualité le livre présente-t-il, ou, si l’on préfère, quel profit un lecteur français d’aujourd’hui peut-il en espérer ? Il y trouvera d’abord une défense et illustration de l’histoire sans étiquette ou, si l’on tient à la qualifier, de l’histoire généraliste. Histoire économique, sociale, politique, culturelle, mais aussi histoire militaire ou histoire du genre : à chacune revient une part de l’analyse, mais aucune ne peut prétendre fournir les ultima verba de l’explication. Ce que résume cette phrase, l’un des meilleurs exemples sans doute de l’humour de Robert Tombs : « La difficulté pour expliquer cette révolution parisienne réside dans le fait qu’elle a un trop grand nombre de causes » (p. 150).

Ce caractère généraliste comporte naturellement une leçon de méthode. Qu’il s’agisse de la critique des sources, des relations entre l’histoire et la mémoire, des précautions à prendre devant les interprétations téléologiques ou l’anachronisme mental, on ne prendra nulle part en défaut un livre qui mérite à cet égard pleinement le qualificatif de magistral.

On sait combien il est d’usage de simplifier jusqu’au binaire les options interprétatives des historiens. Le débat entre consentement et contrainte à propos de la Grande Guerre n’en est qu’une illustration parmi d’autres. En ce qui concerne la Commune de Paris, on connaît la fortune du couple « aurore et crépuscule ». Sans renoncer à se ranger, tout bien pesé, du côté de Jacques Rougerie et du crépuscule, Robert Tombs met à sa manière, élégante et discrète, l’accent sur un autre couple possible, l’exception et l’usage. Le fait que cette révolution parisienne n’ait pas été prévisible, qu’elle reste un événement irréductiblement singulier – le Sphinx dont parlait Marx, si l’on veut – n’empêche pas qu’on y trouve des opinions, des décisions, des conduites dictées par des traditions, des habitudes, des normes en usage, tout un appareil d’idées et de représentations reçues, d’autant plus spontanément mobilisées que l’urgence, la situation obsidionale ne favorisaient certes pas par nature l’adoption des innovations. Pour le dire autrement et à la manière de Robert Tombs lui-même, que la Commune fût une révolution ne saurait signifier qu’elle devait être révolutionnaire dans tous les domaines (p. 423).

On goûtera donc dans ce livre le refus des analyses trop théoriques et des effets de mode, le sens de la complexité, des nuances et même des contradictions : que l’on songe au décret du 29 mars abolissant la conscription, ou à l’installation du bataillon chargé de protéger Notre-Dame du pillage, présentée avec malice comme « sans doute l’acte le plus important de l’autogouvernement des citoyens » (p. 187).

Cette histoire qui n’a pas peur de se confronter à l’exceptionnalité et au lien que celle-ci entretient avec le national – singularité française et singularité parisienne en miroir – est aussi, le titre français le souligne, peu ou prou celle de l’idée révolutionnaire en France et de ses déclinaisons sociales au xixe siècle. La première phrase du chapitre II – « Toutes les guerres menacent la stabilité politique des belligérants » – n’a ce caractère de généralité que depuis 1792. C’est donc aussi la question du « nationalisme » français qui se trouve ainsi posée. Puisse-t-on retenir durablement de cette approche l’importance déterminante de la guerre, du siège et de leurs effets économiques et financiers.

Et maintenant ? Robert Tombs est, n’en doutons pas, le premier conscient de ce que la deuxième vie assurée à son livre par cette traduction soignée et bien éditée doit être entendue aussi comme une invitation à s’approprier des questions qu’il n’a pu qu’entrevoir ou entrouvrir.

Une première concerne la relation entre l’histoire démographique et urbaine de Paris et l’histoire politique. Robert Tombs souligne avec force que l’effet principal de l’haussmannisation ne fut pas, comme on continue à le dire parfois, l’exil de populations ouvrières du centre vers la périphérie mais l’immigration qu’elle a entraînée. Cela impose de reconsidérer aussi la question de la transmission de la supposée identité, culture ou tradition révolutionnaire parisienne, comme s’attachent à le faire des travaux en cours, en particulier la thèse d’Alexandre Frondizi sur la Goutte d’Or. Ne conviendrait-il pas aussi de revisiter les rapports entre fiscalité et démocratie, dont il ne semble pas utile de rappeler le potentiel révolutionnaire ? On apprécierait de voir réexaminée, à la suite et sous l’inspiration de travaux comme ceux de Martin Daunton ou de Nicolas Delalande, l’histoire de l’octroi, dont l’importance est justement suggérée p. 60. La province, restée quelque peu en friche depuis les travaux anciens de Jeanne Gaillard et Jacques Girault, est à nouveau l’objet d’une attention soutenue, qu’attestera bientôt l’édition des actes du colloque tenu à Narbonne en mars 2011, « Regards sur la Commune de 1871 en France : nouvelles approches et perspectives ».

Quant à l’historiographie, force est de constater que Lissagaray ou Vuillaume et ses Cahiers rouges, sans parler du Marx des Luttes de classes en France – et en ayant conscience de l’oubli immérité de Benoît Malon –, ont eu une postérité plus féconde qu’Alfred de La Guéronnière ou Maxime du Camp. La damnatio memoriae qu’ont voulu imposer les vainqueurs a, à sa manière, favorisé l’essor d’un Gloria Victis propre aux communeux, au point que les maudits de l’histoire seraient plutôt aujourd’hui les Versaillais et leurs soutiens. Enfin, l’étude de la place de la Commune dans l’histoire du socialisme et de l’internationalisme est aujourd’hui en plein renouvellement, les lecteurs de nos Cahiers le savent mieux que personne.

C’est pour eux une raison de plus de lire le beau livre de Robert Tombs.

Jean-François CHANET