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Antisionisme = antisémitisme ? dans Le Courrier

mardi 8 mai 2018 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Paru dans Le Courrier, 8 mai 2018.

« Une faute grave »

Rencontre. Le 16 juillet 2017, dans son discours au Vél’ d’Hiv’, le président de la République française, Emmanuel Macron, fait l’amalgame entre antisionisme et antisémitisme. « Une faute grave », selon l’historien et journaliste Dominique Vidal, qui s’en indigne dans un nouvel ouvrage paru aux éditions Libertalia. D’autant que le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, était pour la première fois invité à cette cérémonie ; une présence vivement débattue dans la presse française. De passage à Genève pour une formation d’enseignants sur la « Nakba », l’exode du peuple palestinien en 1948, Dominique Vidal a accordé un entretien au Courrier.
L’historien raconte avec ferveur sa soirée du 16 juillet dernier. « J’écoutais le discours diffusé en direct à la télévision. Je le trouvais au départ très bien. Le président prenait le temps de raconter en quarante-cinq minutes ce que Jacques Chirac avait dit en une seule phrase en 1995. Il a explicité de manière pédagogique en quoi Vichy et l’État français portent une responsabilité écrasante dans la rafle du Vél’ d’Hiv’, et plus généralement dans la déportation des Juifs de France. » Toutefois, la fin du discours surprend le journaliste. « Une dernière phrase tombe comme un cheveu sur la soupe, le président dit : “Nous ne céderons rien à l’antisionisme car il est la forme réinventée de l’antisémitisme.” Là, j’ai sauté en l’air. Ma femme en est témoin. »

Erreur historique

Pour Dominique Vidal, Emmanuel Macron venait de commettre un dérapage : « Le président condamnait dans le même élan un délit, l’antisémitisme, qui est sanctionné par la loi comme toutes les formes de racisme en France, et une opinion, l’antisionisme, qu’on est libre d’approuver, désapprouver ou condamner, mais qui n’est en aucun cas un délit. » Ce soir-là, Dominique Vidal décide de répondre au président français, convaincu que celui-ci venait de commettre « une erreur historique énorme ». « Le président ne connaît visiblement ni l’histoire des Juifs, ni celle du sionisme, ni le rapport des Juifs au sionisme », soutient-il. « Israël n’existait évidemment pas lorsque la police française arrêtait et parquait les Juifs au Vélodrome d’Hiver avant de les déporter vers les camps de la mort nazis », rappelle-t-il dans son livre, dénonçant au passage « une confusion entretenue entre les Juifs français et l’Etat d’Israël ».

Le risque de faire de l’antisionisme un délit d’opinion

Il souligne aussi dans ses pages que « l’antisionisme a été et reste le positionnement de nombreux Juifs ». Et que la grande majorité d’entre eux rejetait le projet d’État juif jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Après, explique-t-il, l’immigration juive, aliyah en hébreu, a rarement été un « choix sioniste » : parfois ils n’avaient nulle part ailleurs où aller d’autre, comme les rescapés de la Shoah, les Juifs des pays arabes ou ceux d’Union soviétique.
Le journaliste poursuit son explication sur l’antisémitisme. Chiffres à l’appui, il estime que celui-ci comme idéologie est en recul constant depuis 1945, jusqu’à être devenu marginal aujourd’hui, en France. Il n’exclut pas pour autant la persistance de préjugés, ni de pics de violences. « Ce n’est pas du tout le cas de l’islamophobie, qui n’existait pas, il y a de cela vingt ans. En 2015, il y a eu une explosion de violences contre les musulmans, elles reculent depuis », précise-t-il. Conscient que ces faits sont objectifs, il prend en compte la part subjective et le poids des événements. « Pour un grand nombre de Juifs en France, c’est la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale que des Français tuent des Juifs parce qu’ils sont juifs : les victimes de Mohamed Merah à Toulouse, celles des frères Coulibaly dans l’Hyper Cacher à Paris, mais aussi Ilan Halimi, Sarah Halimi ou récemment Mireille Knoll, des meurtres où se mélangent antisémitisme, crime crapuleux et folie. »

BDS fait régulièrement débat

La petite phrase d’Emmanuel Macron est aussi une « faute politique » aux yeux de l’historien. Le président ouvre, selon lui, la voie à l’instauration d’un délit d’opinion. Il commente dans son livre : « […] Benyamin Netanyahou, ses amis au Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) […] ont vu dans la petite phrase présidentielle un soutien à la politique d’occupation et la colonisation d’Israël. » Dominique Vidal se dit inquiet : « Après la tentative de criminalisation de la campagne Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS), certains veulent interdire les opinions antisionistes. On ouvrirait ainsi une brèche allant vers le délit d’opinion et des personnes sont prêtes à s’y engouffrer », explique-t-il. Le président du CRIF, Francis Kalifat, « a demandé qu’une loi prenne en compte l’antisionisme comme une forme d’antisémitisme ».
L’historien revient sur BDS, qui fait régulièrement débat en France. Il rappelle qu’aucune loi n’interdit le boycott en France. « Il n’existe qu’une circulaire ministérielle signée par Michèle Alliot-Marie, ministre de la Justice en 2010, appelant les parquets à sévir. Or, sur des centaines d’actions BDS en France, il n’y a eu que douze procès dont dix se sont soldés par un acquittement », relève le journaliste. Et de préciser : « La condamnation des militants de Colmar, confirmée par la Cour de cassation, a été portée devant la Cour européenne des droits de l’homme (en 2009 et 2010, des militants avaient distribué aux clients d’un magasin Carrefour des tracts appelant au boycott des produits en provenance d’Israël, ndlr). Or la ministre européenne des Affaires étrangères, Federica Mogherini, passe son temps à répéter que, pour l’Union européenne, ce qui compte c’est la défense de la liberté d’expression et d’association, y compris de BDS. »

Macron prudent

Le « dérapage » d’Emmanuel Macron date de l’été dernier. Depuis, le président français semble avoir mis de l’eau dans son vin. « Il n’a pas répété sa phrase tant décriée. Pas un mot sur l’antisionisme dans son discours au dernier dîner du CRIF, un moment important de la politique française, le 7 mars dernier. De même, le 19 mars, le Premier ministre, Édouard Philippe, n’a pas repris la petite phrase du Vél’ d’Hiv’ lors de la présentation de son plan d’action contre le racisme et l’antisémitisme. Est-ce un recul définitif ? Ou bien risque-t-on de voir la phrase sortie par la porte revenir par la fenêtre ? » s’interroge l’historien. L’avenir le dira. « Je ne peux pas imaginer que le président se laisse instrumentaliser pour instaurer en France un délit d’opinion. Le Conseil constitutionnel ne le suivrait pas. »

Selver Kabacalman