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Le Roi Arthur sur BibliObs

jeudi 5 janvier 2017 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Le Roi Arthur sur BibliObs.
Propos recueillis par Baptiste Legrand, janvier 2017.

BibliObs. Ce qui étonne à la lecture de votre livre, c’est la quantité incroyable de références au mythe du roi Arthur, et à toutes les époques.

William Blanc. J’ai été le premier surpris, c’est gigantesque ! Le mythe arthurien a été sans cesse repris, réinventé. La légende du roi Arthur est une superposition de nombreux textes qui se sont entremêlés au fil des âges. La première allusion certaine à Arthur date du IXe siècle, dans le texte du moine gallois Nennius. Merlin, la Table ronde, le Graal et Lancelot apparaissent progressivement jusqu’au XIIe siècle. Et ces éléments évoluent avec le temps.
Car le mythe arthurien est sans cesse en chantier. On trouve au XVe siècle des versions écossaises dans lesquelles Arthur fait figure de méchant. Pourquoi ? Parce que dans le mythe, Arthur se confronte au clan des Orcaniens : Arthur est donc à leurs yeux un usurpateur. On retrouve aussi une version en hébreu au XIIIe siècle, une version en yiddish au XVe –les références au christianisme y sont gommées.
Le mythe arthurien réapparaît dans l’Angleterre du XIXe siècle et se diffuse surtout aux États-Unis, à partir de l’après-guerre, à travers les médias de masse – cinéma, télévision, bande dessinée, musique, jeux… Il est présent chez les X-Men comme dans la musique métal. Et les Américains n’hésitent pas à assimiler certains hommes politiques, à commencer par le président John F. Kennedy, au souverain légendaire.
Puis, c’est la diffusion de la culture populaire américaine qui fait qu’on retrouve Arthur aussi bien au Japon qu’en France, avec notamment la série Kaamelott d’Alexandre Astier.

Comment le mythe du roi Arthur réapparaît-il en Angleterre ?
L’aristocratie du XIXe siècle est fascinée par le Moyen-Âge. C’est une époque où des nobles anglais se font construire des châteaux néo-médiévaux. Le romantisme succède au classicisme qui, lui, s’inspirait de l’Antiquité. Et dans ce contexte médiévaliste, on redécouvre Le Morte Darthur, de Thomas Malory. Ce texte du XVe siècle devient le texte canonique du mythe d’Arthur au Royaume-Uni.
Dans ce XIXe siècle où l’Occident s’est pensé par opposition avec l’Orient – le courant orientaliste apparaît en même temps que le courant médiévaliste – être un chevalier fait complètement sens. L’exemple très parlant, c’est Lawrence d’Arabie.

Lawrence d’Arabie ? Quel rapport entre les sables du désert et le roi Arthur ?
Une partie des officiers coloniaux britanniques se considéraient comme des chevaliers qui partaient évangéliser le monde. Quand Lawrence part en mission auprès de tribus bédouines du Proche-Orient, en 1916, il emporte seulement trois livres, dont un exemplaire du Morte Darthur de Malory. À cette époque, le mythe représente Arthur et ses chevaliers comme des passeurs qui entraînent leur nation de la barbarie – le Moyen-Âge – à la civilisation. Alors qu’au même moment, l’Occident prétend faire pareil avec des populations extra-européennes.

Vous avez mentionné le président Kennedy. Lui aussi est influencé par le mythe ?
Kennedy ne fait pas lui-même référence au roi Arthur. Mais en 1963, une semaine après son assassinat, sa veuve fait une comparaison explicite. « Il y aura de nouveau de grands présidents. Mais il n’y aura pas d’autre Camelot », dit-elle. Elle déclare que les trois années de sa présidence ont été « un bref instant de lumière », en référence à la comédie musicale Camelot qui a triomphé à Broadway trois ans plus tôt. Et on retrouve sans cesse des références à Arthur dans les discours de son frère Robert Kennedy, ainsi que dans de nombreuses biographies populaires consacrées aux « années JFK ».
Les parallèles entre le règne d’Arthur comme il est décrit dans Camelot et les idéaux du président assassiné sont nombreux. La comédie musicale de 1960, puis l’adaptation en film par Disney en 1963, sont inspirées d’un roman du britannique T.H. White, qui a publié en 1938 The Sword in the Stone, « l’Épée dans la pierre ». Dans la version de T.H. White, Arthur est un roi à la fois démocrate et pacifiste. C’est aussi un roi pédagogue, sa Table ronde est un lieu de formation civique ouvert à des personnes de toutes les conditions - ce qui n’est pas le cas dans les textes du Moyen-Âge.
C’est aussi l’époque des X-Men…
Les comics sont pensés comme une métaphore de la lutte pour les droits civiques, avec les mutants dans le rôle des Noirs. Les références au mythe arthurien y sont très claires. Le professeur Xavier est une sorte de Merlin.

C’est à partir des États-Unis que le mythe du roi Arthur se propage à travers le monde. Un exemple de mondialisation culturelle ?
Complètement. La culture américaine se diffuse à travers le monde, et c’est ainsi que le mythe arthurien arrive au Japon. Dans les mangas, bien sûr, mais aussi avec le film Avalon de Mamoru Oshii, qui place le mythe arthurien dans un univers cyberpunk. Les auteurs japonais inventent de nouveaux personnages qui s’insèrent dans le mythe. C’est là un processus normal : on transforme le mythe pour qu’il s’adapte à son public.

La force du mythe arthurien, c’est donc que chacun peut y prendre ce qu’il veut…
Oui, et il ne faut pas opposer un mythe arthurien originel et les adaptations d’aujourd’hui. Dès le Moyen-Âge, chacun présente sa version. Au début du XIIe siècle, on invente une rhétorique propre à exalter le christianisme au sein de l’aristocratie. On devient chevalier du roi Arthur en devenant un bon chrétien. C’est à cette époque que Chrétien de Troyes apporte le personnage de Perceval et le Graal lui-même. On passe du chevalier violent au chevalier courtois, puis au chevalier chrétien, préoccupé par son salut, et qui doit donc mener les bonnes guerres contre les Sarrasins. On canalise la violence pour la rendre acceptable dans la société chrétienne.

Le personnage de Merlin connaît une évolution frappante…
Au Moyen Âge, Merlin est un personnage qui pose problème car il est magicien. C’est une référence au paganisme. Au XIIIe siècle, Robert de Boron présente Merlin comme le fils du diable… et d’une vierge. Il est presque l’antéchrist, mais le salut est possible.
Dans l’Amérique des années 1950, Merlin est complètement absent. Nous sommes en plein maccarthysme, l’époque est à l’opposition manichéenne entre monde communiste et monde libre, il n’y a pas de place pour un personnage aussi trouble, aussi ambivalent que lui.
Dans les années 1960, en réaction, apparaît un Merlin néo-païen. La génération hippie découvre une « vérité » d’avant la société patriarcale : le monde des celtes. Pour résumer, le monde moderne, c’est la société capitaliste, c’est la pollution ; le monde prémoderne, ce sont les Celtes, c’est la magie, c’est Merlin. On retrouve ensuite Merlin et la figure du magicien dans la musique, notamment avec Led Zeppelin, qui va financer en partie le film des Monty Python Sacré Graal.

Comment le mythe arthurien se popularise-t-il en France ?
Il arrive par la culture populaire américaine, par la deuxième vague de médiévalisme durant les années 1960. C’est une réaction au monde moderne et à la disparition de la paysannerie du monde occidental. Montaillou, village occitan de 1294 à 1324, paraît en 1975 en plein Larzac, et ce n’est pas un hasard. Il y a bien sûr les films Lancelot du lac de Robert Bresson (1974) et Perceval le Gallois d’Éric Rohmer (1978), mais ces films font à peine 100 000 entrées chacun, c’est beaucoup moins que les millions de spectateurs de Monty Python : Sacré Graal ! (1975) et Excalibur de John Boorman (1981).
Arthur arrive aussi par la BD – Chevalier Ardent est une copie de Prince Vaillant – mais aussi par la fantasy, avec Marion Zimmer Bradley et son Cycle d’Avalon, qui valorise le rôle de la fée Morgane. Si bien que le mythe arthurien a fait son retour en force dans les années 1980. En 1991, Alan Stivell sort l’album The Mists of Avalon, une référence évidente au livre de Marion Zimmer Bradley.

Et puis arrive la série d’Alexandre Astier, Kaamelott…
C’est certainement la plus importante œuvre arthurienne francophone des deux derniers siècles, par son ampleur – 30 à 35 heures de programme – mais aussi par l’envergure du propos, qui réussit à mélanger diverses thématiques. Au premier degré, c’est de l’humour, mais on trouve derrière une réflexion très sérieuse. Alexandre Astier reprend le roi Arthur de T.H. White – le roi pédagogue – et il ajoute une réflexion sur le mythe lui-même.

Vous semblez admiratif ?
Alexandre Astier met son Arthur dans une position de doute. C’est un roi qui a des maîtresses, qui n’est pas à la hauteur de son mythe et qui est préoccupé par l’exemple qu’il laissera à la postérité. Dans la série, le Graal n’est pas tant un objet physique que la construction d’une légende digne de servir aux générations suivantes. Le mythe, c’est l’image que l’on a de soi.
Alexandre Astier montre que le mythe a une vertu pédagogique, et l’on comprend ainsi pourquoi différents auteurs ont créé leurs versions au cours des siècles. Cela nous rapproche d’eux. Le travail historique permet de situer le contexte et de comprendre pourquoi ces auteurs ont tour à tour modifié le mythe arthurien. Chaque génération invente son Arthur.