Le blog des éditions Libertalia

Le Bateau-usine

vendredi 11 février 2011 :: Permalien

Le Bateau-usine
Kobayashi Takiji. Éditions Yago, 138 pages, 18 euros.

Cela fait quelques années que Le Bateau-usine, un classique de la littérature prolétarienne japonaise, connaît un regain d’intérêt. Publié sous forme de manga en 2008, ce récit est devenu le porte-flambeau d’une jeunesse qui ne s’identifie plus aux valeurs de la libre concurrence mêlant toyotisme, attachement quasi filial à l’entreprise et asservissement par le travail.

En 2009, les éditions Yago ont eu l’heureuse idée de traduire ce roman en français. Le style alerte et accessible rappelle celui du lointain contemporain B. Traven dans La Révolte des pendus ou du premier Malraux (Les Conquérants).

La trame est simple : au large de l’île d’Hokkaido, à bord du Hakkô-maru, quelque 200 marins pêchent le crabe (un produit de luxe) dans des conditions épouvantables. Mal nourris, battus et humiliés par le capitaine et l’intendant, ils ne peuvent même pas se rincer à l’eau douce pour retirer le jus de crabe dont ils sont recouverts. Les hommes se révoltent, mais la révolte est matée par l’armée impériale.

En lisant les fortes pages du roman de Kobayashi Takiji – qui mourra torturé dans un commissariat en 1933 –, on ne peut s’empêcher de penser aux travaux de Marcus Rediker sur les marins du XVIIIe siècle. À l’instar de leurs frères du siècle XX, ils dénonçaient les traitements inhumains et la vénalité des armateurs, ils ont inventé la notion même de grève (« strike ») qui vient du fait de sabrer les voiles pour immobiliser le navire.

«  Le pêcheur ouvrait la bouche et écrasait bruyamment les poux entre ses dents. À force d’en écraser entre ses pouces, il avait aussi les ongles tout rouges. Il essuyait furtivement ses doigts souillés sur le bas de sa veste, comme font les enfants quand ils ont les mains sales, et aussitôt en écrasait un autre. Malgré ses efforts, il ne pouvait toujours pas dormir. Toute la nuit ils étaient persécutés par des poux, des puces, des punaises, qui sortaient d’on ne sait où. Ils avaient beau inlassablement repousser leurs assauts, c’était sans fin. Debout dans les couchettes sombres et humides, ils voyaient aussitôt rappliquer des dizaines de puces qui leur grimpaient sur les jambes. Au bout du compte, c’était à se demander si leur propre corps n’était pas en train de pourrir. Ça faisait une drôle d’impression quand même, d’être en quelque sorte devenu un cadavre en décomposition, rongé par la vermine.  »