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> C’est la nuit surtout que le combat devient furieux dans Alternative libertaire
vendredi 12 mars 2021 :: Permalien
Publié dans Alternative libertaire, mars 2021.
Si vous espérez un texte de réflexion politique, cela ne fera pas votre bonheur, mais vous louperiez quelque chose en ignorant ce livre d’un peu plus de cent pages ! L’histoire est aussi faite des petits mots du quotidien que tissent les échanges épistolaires…
Voici, parmi la foule des parutions qui traitent de l’histoire de la Commune aux éditions Libertalia, un curieux petit ouvrage… Il rassemble des lettres, écrites par une certaine Alix Payen, et collectées par Michèle Audin. Pour beaucoup, elles sont inédites, issues d’archives familiales, de cahiers ou du livre du frère d’Alix Payen, Paul Millet.
Née Louise Alix Millet en 1842, Alix Payen détonne un peu dans l’ensemble des témoignages que l’on a sur la période de la Commune de Paris. Elle n’est pas un personnage marquant et remarqué de 1’époque. Elle a peu attiré l’attention des historiennes et historiens, et pour cause ! Elle n’est pas membre de l’Association internationale des travailleurs, n’a pas écrit d’articles dans la presse d’alors, elle est encore moins une participante remarquable d’un club. Ses origines sociales la tiennent en dehors des référentiels habituels, ni ouvrière ni aristocrate. Elle est née dans une famille bourgeoise et d’appartenance fouriériste. Elle ne fut qu’elle-même, avec ses proches, au milieu de la tourmente.
« Un thermomètre appendu dans un coin »
Elle avait vingt-neuf ans lorsqu’elle prit sa décision. Le fait que son époux soit engagé au combat y fut probablement pour quelque chose. En avril 1871, elle rejoint le 153e bataillon de la garde nationale en qualité d’ambulancière et d’infirmière. À ces titres, elle prend part au combat pour la défense du fort d’Issy, puis du fort de Vanves. Ces deux forts assuraient la protection de la ville de Paris contre les exactions versaillaises.
Alix Payen écrit pendant les rares moments de répit. Ses lettres sont une suite de moments pris sur le vif ; du vécu à l’état brut. La prose se fait émouvante quand elle écrit à Henri, son époux, et aussi dans les lettres envoyées à son père ou à sa mère. Elle emploie des tournures affectueuses : « Cher Mignon », « mon gros », et signe « Ta vieille femme », le tout accompagné d’attentions chaleureuses.
Alix Payen revint également souvent sur les difficultés d’acheminement du courrier et l’absence de réponses. Des événements de mars 1871, de la proclamation de la Commune, des élections… il n’est point question. Elle décrit ce qu’elle voit, ce qu’elle vit ; les conditions difficiles des combats, les hommes qui dorment dans les caveaux des cimetières, la vie dans les tranchées. Elle s’étonne de la parfaite convenance langagière des ouvriers parisiens, de leur amabilité à son encontre. Le 29 mai 1871, son mari décède. Elle ne fut pas condamnée par un tribunal militaire et parvint à quitter Paris, munie d’un laisser-passer. Elle rejoignit la colonie fouriériste de Condé-sur-Vesgre et mourut en 1903.
Les témoignages directs sur cette période sont extrêmement rares. L’essentiel de la documentation vient habituellement de retranscriptions mémorielles effectuées plusieurs décennies après, comme celles de Gustave Lefrançais, de Victorine Brocher (Souvenirs d’une morte vivante), de Lucien Descaves (Philémon, vieux de la vieille), d’Élie Reclus (La Commune de Paris au jour le jour), etc. À ce dernier, on peut emprunter cette citation placée en avant- propos de son ouvrage : « Pas une histoire ceci – je n’étais pas un des personnages, pas même un confident des personnages – j’étais un citoyen, m’occupant, me préoccupant, regardant, écoutant, parmi les moins mal renseignés. […] Un thermomètre appendu dans un coin… » Alix Payen, aujourd’hui oubliée comme beaucoup d’autres, était de ceux et celles-là : « Elle a défendu Paris et elle a donné des soins aux blessé·s. » « Les vaincus n’ont pas d’histoire. Brisons cette chaine d’iniquité » (Benoît Malon)
Dominique Sureau (UCL Angers)