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Comment peut-on être anarchiste ? sur Dissidences

lundi 27 avril 2015 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Recension de Comment peut-on être anarchiste ? sur Dissidences, avril 2015.

Claude Guillon est un auteur que l’on connaît, sur Dissidences, principalement pour ses travaux sur la Révolution française (Notre patience est à bout. 1792-1793, les écrits des Enragés) et pour ses essais ayant parfois suscité la polémique (Suicide, mode d’emploi en 1982 avec Yves Le Bonniec). Avec ce nouveau livre, il propose une sélection de ses écrits couvrant la période débutant en 2000, faisant de la sorte suite à Pièces à conviction, qui concernait les années 1970-2000. Sont pris en compte aussi bien des articles pour la presse anarchiste que des tracts ou des billets diffusés en ligne, l’ensemble étant classé suivant une dizaine de thématiques. Le titre en aurait tout aussi bien pu être Comment peut-on être un intellectuel anarchiste ?, d’abord parce que c’est ainsi que Claude Guillon se définit, ensuite du fait qu’il propose sa vision personnelle de l’anarchisme, exposée par le biais d’une prose incisive, souvent drôle, parfois très intime.
Bien sûr, on retrouve tout au long de ces textes des caractéristiques fondatrices du mouvement libertaire tel qu’il s’est défini au fil du temps, y compris par la négative : une défense de l’alternative révolutionnaire et communiste, entendue comme société sans hiérarchie, « libre association d’individus libres » (p. 137), contre les « gauchistes » que sont pour lui les trotskistes ; un rejet, à travers l’exemple d’Action directe, de l’assassinat politique tel que le groupe le pratiqua, tout en se déclarant solidaire de leur libération face aux « appareils répressifs d’État » ; une exigence de radicalité enfin, opposé à tout réformisme, qu’il soit « petit-bourgeois » (le cas d’Attac et de ses animateurs, « bouffons du capital » p. 422) ou anarchiste, avec des figures comme celles de Noam Chomsky, en qui il voit le défenseur d’un « anarchisme d’État » (p. 30).
Mais s’il y a bien un axe que Claude Guillon privilégie par-dessus-tout, c’est la réflexion, la critique, y compris de fondamentaux présupposés, comme la position anarchiste sur les élections, qu’il rejette comme excessivement dogmatique au profit d’une analyse de chaque situation, tout en demeurant fidèle à l’analyse d’ensemble. De même, il adopte une position que l’on peut qualifier de nuancée sur les émeutes de 2005 (ni condamnation ni éloge aveugle), refuse dans les manifestations toute autorité sur les cortèges, même anarchistes, préconisant leur appréhension comme assemblée générale en actes et n’hésitant pas à prôner l’autodéfense. De son analyse de l’évolution géopolitique dans le prolongement des événements de septembre 2001, on retiendra, outre des développements sur les motivations économiques profondes des interventions étatsuniennes, la caractérisation de l’antiaméricanisme comme « l’internationalisme des imbéciles » (p. 301) et l’idée d’un état de guerre permanent, à l’extérieur comme à l’intérieur.
Parmi les sujets abordés en détails, aux côtés d’une défense pleine d’empathie des sans-papiers et de leurs luttes (à travers l’exemple du centre de rétention administrative de Vincennes), ou des écrivains et des intermittents du spectacle eux aussi exploités, il y a celui du féminisme et plus largement la question des supposés besoins sexuels masculins, explication bien commode de certaines situations d’agression ou de viol, que Claude Guillon refuse de confondre avec le désir. Il se réclame d’ailleurs à plusieurs reprises de Fourier et de la construction d’une « nouvelle utopie amoureuse » contre « l’utopie de la rencontre amoureuse / romantique débouchant sur la formation du couple exclusif/hétérosexuel (la variante homosexuelle étant plus ou moins tolérée) » (p. 97) ; rejetant le « terrorisme normatif » imposé aux femmes, il en appelle également à l’élaboration d’une véritable théorie du genre, a contrario de ce qu’il considère comme une position défensive allant dans le sens de ses contempteurs. Les Femen, dans cette optique, sont critiquées en tant qu’elles s’inscrivent pleinement dans la société du spectacle tout en faisant preuve d’une amnésie historique sur les mouvements antérieurs de femmes, probablement une tendance de notre époque, et pas seulement un phénomène générationnel.
Un herbier anarchiste bien représentatif d’un électron libertaire, plutôt méfiant vis-à-vis des organisations, parfois féroce voire rapide (sur Onfray, vilipendé pour sa position au début de l’affaire Tarnac et qualifié d’intellectuel surplombant, mais dont il aurait été utile d’analyser les œuvres) ; un ensemble qui ne peut laisser indifférent, conclu par « Vous faites erreur, je ne suis pas Charlie » (utile mise en perspective rejetant en particulier toute idée d’union nationale), et dont le seul manque réside dans les éventuelles évolutions de Claude Guillon sur l’ensemble de sa vie militante.

Jean-Guillaume Lanuque