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Dix questions sur l’anarchisme sur le blog Fahrenheit 451

samedi 7 mars 2020 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Paru sur le blog Fahrenheit 451, 1er mars 2020.

Guillaume Davranche présente de façon extrêmement synthétique l’anarchisme, comme courant politique très structuré, porteur d’une alternative au capitalisme et d’une vision globale de transformation de la société, à partir de ses fondamentaux idéologiques, tout en se référant aux pratiques existantes.

Les origines.
Il choisit une approche historique, plutôt qu’une inscription dans le « continuum plurimillénaire » d’une tendance à rejeter l’autorité, et date de la fin des années 1870, la naissance d’un mouvement, au sein de la Première Internationale, réunissant une poignée d’ex-communards, d’ouvriers suisses, de révolutionnaires russes en exil et de maquisard italiens, aspirant au communisme tout en répudiant la voie parlementaire. Il revient sur les bases jetées par Proudhon d’un socialisme non étatique, fédéraliste et autogestionnaire, le clivage initié par Bakounine, opposé à Marx, puis la scission de l’AIT, les congrès de la Fédération jurassienne autour de Kropotkine et Élisée Reclus, la courte période de la « propagande par le fait » puis la conversion à la grève générale avec la naissance du syndicalisme révolutionnaire.

Le projet économique.
« L’abolition du capitalisme, du marché, et la distribution égalitaire des richesses sont une condition sine qua non pour l’épanouissement d’un système démocratique et écologique, propice à la dissolution des hiérarchies sexistes et racistes. » Les infrastructures de production et d’échanges vitales ne doivent pas être confisquées par une classe d’actionnaires capitalistes ou une bureaucratie étatiste mais appartenir de droit à toute la société, devenir propriété sociale. Chaque établissement autogère son travail et le débat démocratique détermine les choix dans les domaines alimentaire, énergétique, urbain, éducatif, des transports, au lieu d’être décidés par le marché ou des lobbies capitalistes au sein de l’appareil d’État. Chacune et chacun travaille librement et consomme sans limitation. « Le point d’équilibre à atteindre, c’est l’adéquation entre les besoins de la population, les capacités productives et les capacités de la biosphère. Jamais le capitalisme ne le permettra : c’est le grand défi du communisme libertaire. »

Le projet démocratique.
« En réalité, l’anarchisme ne prône pas simplement la destruction de l’État, mais son remplacement par un système d’autogouvernement fédéral, structuré « de bas en haut et de la périphérie vers le centre » pour reprendre une formule bakouninienne, encadrant l’exercice d’un authentique pouvoir populaire. » Chaque échelon gère les affaires qui le concernent directement, sans ingérence de l’échelon supérieur. Tous les grands choix de société relèvent de la législation directe de la population et les élu.es sont « les maîtres d’œuvre du pouvoir populaire », leur mandat est impératif, révocable et leur renouvellement limité.

L’approche écologique.
Que l’on socialise l’économie en la réorientant radicalement avant que la situation soit irréversible, ou qu’on n’y parvienne pas avant l’effondrement et que s’ouvre alors une ère révolutionnaire, dans les deux cas, l’anarchisme propose des réponses. Murray Bookchin contribua à introduire l’écologie dans l’anarchisme. Il martelait que, plus que l’ « humanité » ou la « société industrielle », les rapports sociaux induits par le capitalisme menaçaient la biosphère, notamment les rapports de domination parce qu’ils légitiment que l’homme doit dominer la nature. L’anarchisme prône une décroissance collective (à l’opposé des démarches individuelles qui n’ont aucun effet sur le capitalisme), démocratique (plutôt qu’un « écofascisme » qui rationnerait la majorité de la population pour qu’une petite classe privilégiée maintienne son niveau de vie) et raisonnée (avec une décroissance différenciée selon les régions).

L’approche féministe.
Rétif au suffragisme, le mouvement libertaire était en revanche en pointe sur les questions de la liberté sexuelle, de la contraception, de l’union libre. 1968 a donné l’impulsion de la « deuxième vague féministe » : le mouvement révolutionnaire dans son ensemble a intégré le féminisme comme front de lutte à part entière contre le système de domination politique et économique fondé sur la division sexuée du travail : le patriarcat.

La politique internationaliste.
Face à l’ambivalence des luttes de « libération nationale », porteuses d’un potentiel à la fois progressiste et réactionnaire, les anarchistes combattent l’idéologie nationaliste, le patriotisme, « instrument de l’État pour museler la contestation », et prônent « la fédération libre des individus dans les communes, des communes dans les provinces » (Bakounine), etc., une autonomie productive de chaque région du monde.

L’anarchisme invite à la mise au rebut des religions, instruments d’aliénation collective, mais s’oppose à toute forme de persécution contre les croyants et les croyantes, préconise une société laïque garantissant liberté de culte et de conscience.
Guillaume Davranche présente les trois grands types de stratégies, non exclusives, coexistant au sein de l’anarchisme :
• L’insurrectionnalisme qui cherche à provoquer l’étincelle suffisante pour enclencher l’insurrection, puis un basculement révolutionnaire.
• Le syndicalisme qui cherche à mettre en mouvement les travailleurs de toutes opinions, tout en espérant éveiller en eux une conscience anticapitaliste. La rupture révolutionnaire surviendrait suite à une grève insurrectionnelle.
• Et l’éducationnisme-réalisateur qui propose d’élever les consciences par l’éducation populaire et l’exemplarité des « alternatives en actes ».

De la même façon, il développe les différents types d’organisation qui ont été expérimentés : informel, en réseau, des « minorités agissantes » selon la conception bakouninienne, anarcho-syndicaliste, plateformiste, synthétiste, « spécifiste ». Puis il rappelle le rôle joué par les anarchistes dans les révolutions espagnole, russe, mexicaine, macédonienne et dans la Commune de Shinmin, avant de présenter rapidement une vingtaine de figures parmi les plus importantes.
Nous proposons une sorte de synthèse de ce bref ouvrage déjà très synthétique. D’une densité et précision remarquable, il évite de noyer le lecteur, veillant au contraire, à lui proposer les informations les plus pertinente pour une appréhension globale. Magnifique travail, aussi nous empressons nous de commander une dizaine d’exemplaires, pour commencer, à offrir à quelques personnes qu’on sent intéressées mais avec qui on ne sait jamais par où commencer, et invitons bien sûr nos lecteurs à faire de même.

Ernest London