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« Quand on lui dit “sale sioniste de merde”, on n’est plus dans la théorie politique. »

lundi 18 février 2019 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié sur francetvinfo.fr, le 17 février 2019.

Insultes contre Alain Finkielkraut : « Quand on lui dit “sale sioniste de merde”, on n’est plus dans la théorie politique. »

« Sale sioniste de merde, tu vas mourir ! »« Retourne dans ton pays ! », « sale race » : ce sont là quelques-unes des insultes qui ont visé, samedi 16 février, le philosophe et écrivain Alain Finkielkraut lors d’une manifestation des « gilets jaunes » à Paris. La classe politique et de nombreux intellectuels ont vivement condamné cette violence verbale.
Sur Twitter, quelques-uns ont débattu de la différence entre la notion d’antisémitisme et d’antisionisme. Julien Bahloul, ancien journaliste de la chaîne israélienne i24News, s’est ainsi ironiquement réjoui que Benoît Hamon admette que « l’antisionisme est de l’antisémitisme ». Dans son tweet posté quelques heures avant, le leader du mouvement Génération.s avait indiqué condamner « sans aucune réserve ceux qui ont conspué, insulté et traité d’un “sale sioniste” qui voulait dire “sale juif” » le philosophe et académicien.
Quelle différence existe-t-il entre les deux termes ? Que recouvrent-ils précisément ? Le journaliste et écrivain Dominique Vidal, collaborateur du Monde diplomatique et auteur de l’essai Antisionisme = antisémitisme ? Réponse à Emmanuel Macron (éditions Libertalia), note que les deux termes tendent à être confondus, notamment à cause de l’emploi qu’en font Dieudonné et Alain Soral. Il explique à France Info qu’il s’agit d’un « passe-passe linguistique » pour leur éviter toute condamnation judiciaire.


France Info : Quelle différence faites-vous entre antisémitisme et antisionisme ?
Dominique Vidal : Il y a une différence radicale. L’antisémitisme est un délit, puni comme tous les racismes par les lois françaises. L’antisionisme est une opinion que chacun est libre d’approuver ou non.
Le sionisme date de la fin du XIXe siècle : c’est une pensée politique qui a été imaginée par Theodor Herzl. Il venait de constater les dégâts de l’affaire Dreyfus dans l’opinion française. Il considérait que les Juifs ne pouvaient pas s’assimiler dans les pays où ils vivaient et qu’il fallait leur donner un État pour qu’ils puissent tous se rassembler.

Emmanuel Macron a affirmé que l’antisionisme était le « nouvel antisémitisme » lors de son discours en 2017 pour les 75 ans de la rafle du Vel d’Hiv. Êtes-vous d’accord ?
Non, je pense que cette phrase d’Emmanuel Macron, qu’il n’a d’ailleurs jamais répétée, constitue un amalgame entre ces deux concepts qui n’ont pas de lien l’un avec l’autre. Cet amalgame est une erreur historique et une faute politique.
C’est une erreur historique car depuis que Theodor Herzl a développé cette stratégie du sionisme, on peut observer que l’immense majorité des Juifs ne l’a pas approuvée. C’était évident entre 1897 et 1939 (quand débute la Seconde Guerre mondiale) : l’écrasante majorité des Juifs était alors hostile à l’idée d’un État juif en Palestine. Mais la Shoah a bouleversé leur situation dans le monde. À partir de ce moment-là, il y a eu trois grandes vagues d’émigration des Juifs vers la Palestine. Celle des survivants du génocide tout d’abord, la seconde était celle des Juifs arabes après la guerre de 1948, et la troisième, celle des Juifs soviétiques, dans les années 1990. Ce qui est commun à ces trois vagues de plusieurs millions de personnes est qu’il ne s’agissait pas d’un choix politique sioniste. 
Les survivants de la Shoah voulaient par exemple aller aux États-Unis mais ils n’avaient pas de visas. Pour les Juifs de l’Union soviétique, il était souvent impossible de revenir chez eux à cause des pogroms. Et les Juifs arabes n’étaient pas bien acceptés en Europe. Tous n’ont eu qu’une seule solution : aller en Palestine et en Israël.
C’est d’autre part une faute politique d’Emmanuel Macron car on ne peut pas réprimer une opinion. Ce serait comme si les communistes demandaient une loi pour réprimer l’anticommunisme ou si les libéraux demandaient une loi pour réprimer l’altermondialisme. On entrerait dans un processus totalitaire où on exigerait que des opposants soient muselés au nom de leur idéologie.

Pour vous, les insultes proférées contre Alain Finkielkraut relèvent-elles de l’antisionisme ou de l’antisémitisme ?  
Aucune insulte n’est antisioniste. L’insulte est forcément antisémite. À partir du moment où il y a un caractère haineux dans les propos, comme c’était le cas des « gilets jaunes » face à Alain Finkielkraut, il s’agit forcément d’un délit, condamnable par la justice. Quand on lui dit « sale sioniste de merde », on n’est plus dans la théorie politique. C’est juste purement raciste.

Est-ce que le fait d’utiliser « sioniste » n’est pas aussi une manière de remplacer le mot « Juif » pour échapper à une condamnation en justice ?
Bien sûr. Cette opération de passe-passe linguistique a notamment été utilisée par Dieudonné et Alain Soral. À partir du moment où ils étaient poursuivis en justice pour leur incitation à la haine antisémite, ils ont changé de manière de s’exprimer. « Juif » est devenu « sioniste » et « antisémitisme » est devenu « antisionisme » dans leur discours. Ceux qui s’en sont pris à Alain Finkielkraut ont fait la même opération. Ils méritent d’être condamnés avec la plus grande clarté. Moi qui me suis souvent opposé aux idées d’Alain Finkielkraut, je considère que ce qui est arrivé hier est inacceptable.
Par ailleurs, je ne comprends pas pourquoi un certain nombre de confrères journalistes s’étonnent que dans le mouvement des « gilets jaunes » il puisse y avoir des antisémites. L’extrême droite a fait 33 % des voix à l’élection présidentielle de 2017. Ses idées sont prégnantes dans la société française, pas étonnant que le mouvement des « gilets jaunes » n’y échappe pas. 
Mais cela ne veut pas dire que tous les « gilets jaunes » sont antisémites : dans leurs manifestations, l’antisémitisme reste un phénomène marginal, même s’il existe.

Propos recueillis par Juliette Campion