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jeudi 18 octobre 2018 :: Permalien
Dans L’Humanité, 24 mai 2018.
Deux historiennes britanniques retracent le combat des ouvrières pour le vote des femmes au Royaume-Uni
Bien avant les Françaises, les Britanniques ont obtenu en 1918 un droit de vote encore partiel (les femmes de plus de trente ans notamment). Le suffrage deviendra universel dix ans plus tard en 1928. Ce fut le point d’aboutissement d’un long combat qui, des années 1860 à la Grande Guerre, vit l’émergence du premier grand mouvement féministe de l’histoire.
On connaît surtout les suffragettes, issues pour l’essentiel de la middle class, adeptes des opérations « coup de poing », bris de vitrine, incendie de bâtiments notamment, et qui subirent une répression féroce de la part du gouvernement libéral de l’époque. Tabassées lors des manifestations, gavées de force quand, emprisonnées, elles se lançaient dans des grèves de la faim, elles payèrent pour certaines au prix fort leur engagement. Mais le mouvement était aussi moins violent. Celles que l’on appelait les suffragistes par opposition aux premières organisèrent d’impressionnantes manifestations de masse et cherchèrent tout au long du combat l’alliance avec les syndicats et le mouvement travailliste alors naissant.
Jill Liddington et Jill Norris, dans un livre paru pour la première fois en 1978 et qui eut un grand succès outre-Manche, ont eu la curiosité de plonger dans les archives de Manchester, capitale du radicalisme à l’époque victorienne. Toutes deux habitantes du nord de l’Angleterre elles ont mené un travail pionnier à la découverte des ouvrières de cette région engagées dans le mouvement et qu’elles baptisèrent « les suffragistes radicales ». Dans ce berceau de l’industrie cotonnière considéré alors comme « l’atelier du monde », sur les 250 000 femmes qui travaillaient dans les fabriques 90 000 étaient syndiquées C’est parmi elles que se distinguèrent des militantes comme Selina Cooper, Ada Nield Chew, l’une bobineuse, l’autre couturière qui, inlassablement, tentèrent de gagner à la lutte non seulement leurs semblables mais aussi les hommes du mouvement ouvrier. Jill Liddington et Jill Norris, qui ont rencontré dans les années 1970 leurs filles Mary et Doris, retracent leur vie avec un luxe de détails qui nous les rend proches. Nées dans des familles ouvrières, promises à la fabrique dès l’âge de onze ans, elles se révoltèrent très tôt contre ce destin tout tracé et devinrent des propagandistes acharnées. Elles ne reculaient devant rien : harangue montée sur des caisses en bois devant les usines, prises de parole dans les meetings où elles se rendaient parfois en roulotte, motion pour le suffrage des femmes dans les congrès des syndicats ou du parti travailliste, organisation de pétitions dont l’une, en 1901, recueillit la signature de 30 000 ouvrières du coton et fut portée en délégation à Londres. Elles furent nombreuses comme elles à ne jamais se décourager malgré les résistances et les difficultés de la vie quotidienne. Ce n’est qu’en 1912 par exemple que le parti travailliste se prononça en faveur du vote des femmes…
Ce livre d’historiennes scrupuleuses est aussi un récit haletant sur les traces de pionnières oubliées de l’histoire. Justice leur est enfin rendue. Quarante ans après, cet ouvrage magnifique, enfin magistralement traduit, n’a pas pris une ride.
Claudine Ducol