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> Jacques Roux, le curé rouge dans la revue Dix-Huitième Siècle
lundi 12 octobre 2020 :: Permalien
Publié dans dans la revue Dix-Huitième Siècle, n° 52 (2020).
Cette traduction de l’œuvre majeure du grand historien allemand Walter Markov (1909-1993) sur une figure de la Révolution parisienne, parue en RDA en 1967 et rééditée avec l’ensemble de ses travaux sur Jacques Roux en 2009 à l’occasion du centenaire de sa naissance, est particulièrement bienvenue. En dépit de la distance idéologique significative qui sépare le contexte historiographique actuel de celui des années 1960, cette biographie d’une grande érudition, dont le style littéraire « à la Stefan Zweig » avait jusque-là rebuté les traducteurs, suscite dans sa version française un demi-siècle après sa publication en allemand un véritable plaisir de lecture, due à l’inventivité et à l’habileté de la traductrice. Un CD-Rom, joint à l’ouvrage, donne avec les Acta et scripta, les textes de Jacques Roux édités en français en 1969, et les Digressions sur Jacques Roux, publiées à Berlin en allemand en 1970, les clefs du travail de recherches accompli par Markov, qui consacra dix ans de sa vie et quatre livres au curé rouge. Avec cette mise en perspective des analyses de Markov et de l’intégralité des textes et discours disponibles, l’appareil critique réalisé par Jean-Numa Ducange et Claude Guillon fournit les éclaircissements nécessaires et actualise les repères historiographiques.
Les huit chapitres de l’ouvrage retracent sans complaisance la carrière du révolutionnaire avant et pendant la Révolution, en replaçant les épisodes de sa vie dans le contexte des événements et des milieux dans lesquels il évolue, en Angoumois puis dans la capitale, et en restant au plus près de l’analyse de ses écrits. Né en Charente en 1752, fils d’une famille nombreuse, Jacques Roux devient prêtre, et sera sous la Révolution vicaire de Saint-Nicolas-des-Champs, à Paris, section des Gravilliers. C’est dans ce quartier qu’il s’imprègne de la culture politique radicale, dans une section qui sera un des pôles de l’insurrection du 10 août, avec celle du Théâtre-Français et celle de Santerre, au faubourg Saint-Antoine. Prêtre constitutionnel en 1791, il est proche des Cordeliers et de Marat, devient conseiller municipal et fait figure de chef de parti quand il est chargé d’assister Louis XVI lors de son exécution. Markov retrace son itinéraire en 1793 dans le groupe des Enragés et fait une analyse approfondie de ses discours, de celui Sur les causes des malheurs de la République au Manifeste des Enragés du 25 juin 1793 : « La liberté n’est qu’un vain fantôme quand une classe d’hommes peut affamer l’autre impunément… » Après l’assassinat de Marat, Roux publie la suite d’un de ses journaux, Le Publiciste de la République, tandis que Théophile Leclerc reprend le titre de L’Ami du Peuple. Leclerc et Roux servent la cause populaire avec les Citoyennes républicaines révolutionnaires, soutiennent la contestation sociale et les journées de septembre 1793, un soutien qui leur est fatal. N’ayant pu s’imposer dans la bataille, ils sont écartés sans difficulté par les chefs de la Montagne, qui cèdent en apparence aux revendications populaires pour imposer une économie de guerre et assurer la victoire de la République par la mise en œuvre programmée du gouvernement révolutionnaire. Jacques Roux est une des premières victimes de ce tournant ; arrêté comme d’autres porte-paroles du courant égalitaire après les journées de septembre, il ne se fait guère d’illusions, lui que son état de prêtre désigne comme suspect. Renvoyé devant le Tribunal révolutionnaire par le tribunal du Châtelet en janvier 1794, persuadé qu’il sera condamné, il se poignarde par deux fois et meurt le 10 février 1794. La publication sur le CD-Rom des écrits de Jacques Roux et des textes de Markov publiés en allemand donne les clefs de lecture de ce travail d’une immense érudition. Des articles de Claude Guillon sur les Enragés et de Roland Gotlib, véritable passeur des travaux de Markov en 1989 dans le Dictionnaire historique d’Albert Soboul et ses recherches sur les Gravilliers, s’ajoutent à l’ensemble. Un index et une bibliographie sélective des ouvrages généraux, tant sur la révolution populaire que sur Jacques Roux, les « curés rouges » et les Enragés parachèvent cette biographie remarquable, enfin disponible en français. La postface de Matthias Middell, qui met en contexte la carrière internationale du professeur de Leipzig et replace ses travaux sur la Révolution française dans les enjeux historiographiques et le débat général sur les rapports entre violence et révolution, souligne les multiples aspects et l’intérêt d’une recherche qui va bien au-delà de la biographie d’un individu.
Raymonde MONNIER