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Je vous écris de l’usine, dans L’Obs

vendredi 26 février 2016 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Dans L’Obs (25 février-2 mars 2016).

Je vous écris de l’usine est une admirable chronique ouvrière parue
de 2005 à 2015 dans le mensuel de critique sociale CQFD. Jean-Pierre Levaray y raconte la vie quotidienne dans son usine d’ammoniac et d’engrais, une de ces poudrières classées Seveso 2. Ce site de Grand-Quevilly, dans le Rouennais, était une filiale de Total avant d’être revendu en 2014 à des Autrichiens et à un fonds d’Abu Dhabi. Triste classique auquel a préludé une série de « plans de sauvegarde de l’emploi » (PSE) comme on dit, pour mieux jeter son personnel après usage. « Dans leurs calculs, les ouvriers comptent pour du beurre », lit-on dans la chronique d’avril 2006 intitulée « Putain d’usine : on ferme ! »
Tout est consigné d’une plume fine et incisive, le meilleur comme le pire. La fraternité ouvrière et la servilité des cadres, toujours du côté du manche, le salaire qui peine à monter – 1,8 % pour eux contre 33 % pour celui des actionnaires –, le matériel vétuste, les accidents, nombreux comme celui arrivé à un intérimaire turc recruté pour descendre dans un four immense changer un catalyseur. L’ouvrier est en bas, en scaphandre depuis une heure. Il fait 45 °C. Tout pourrait s’enflammer au contact de l’air, alors de l’azote est injecté en permanence. Sa tâche est dangereuse au point qu’il porte un capteur pour contrôler son rythme cardiaque ; il est sous surveillance vidéo, relié par un filin au collègue chargé de le remonter au cas où. Quelque chose dans le système d’alerte n’a pas marché ce jour-là quand l’homme a crié. CHU, brûlures aux pieds, le gars aurait pu y passer. Ces choses vues alternent avec le récit des calculs froids des stratèges, jamais rassasiés, même par leurs gains colossaux, des « bénéfices immoraux », dit Jean-Pierre Levaray.

Anne Crignon