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La Croisade de Robert Ménard sur Bibliothèque Fahrenheit 451

jeudi 16 septembre 2021 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié sur Bibliothèque Fahrenheit 451 le 10 septembre 2021.

Élu maire de Béziers en 2014, Robert Ménard se pose en porte-parole d’une France des oubliés et mène, grâce à sa place stratégique au carrefour de la presse et de la politique, « une véritable bataille culturelle identitaire ». Richard Vassakos, chercheur en histoire-géographie à l’université Paul Valéry-Montpellier-III, montre comment celui-ci instrumentalise l’histoire à des fins idéologiques réactionnaires.
Il explique comment la région biterroise, « quintessence quasi mythique du Midi rouge », est devenue « une place forte électorale de l’extrême droite ». Il réfute l’explication classique d’une tradition contestataire qui s’opposerait au pouvoir central. « L’idée que le vote d’extrême droite en biterrois et dans l’Hérault est un vote populaire est battue en brèche par les chercheurs. Ce sont les effets de la crise économique et de la périurbanisation qui en sont les causes. »

« Robert Ménard veut montrer que son expérience politique à Béziers peut devenir un modèle de syncrétisme des droites et que c’est la voie qu’il faut suivre pour permettre à la “vraie” droite de conquérir le pouvoir. Béziers et surtout son maire ne doivent pas apparaître comme une exception mais comme une avant-garde. » Richard Vassakos présente ensuite les thématiques idéologiques qu’il parvient à imposer dans sa « bataille culturelle », les méthodes et les outils qu’il utilise. Robert Ménard use, tout d’abord, abondamment de la toponymie urbaine pour marquer symboliquement le territoire, conformément au récit mémoriel qu’il entend défendre, notamment par l’attribution de noms en lien avec des attentats terroristes : allée du colonel-Beltrame, promenade du père-Hamel, rond-point du 13-novembre, école Samuel Paty. Si ces choix sont légitimes, ils dissimulent des arrière-pensées idéologiques que confirment les discours d’inauguration. Il s’agit d’introduire une dimension religieuse et civilisationnelle, d’inscrire les événements auxquels ces plaques font références dans une guerre des civilisations. De la même façon, il a fait ériger un nombre important de statues au cours de son premier mandat dans le but de donner une lecture politique particulière de la Résistance : l’étudiant tchèque Jan Palach, la résistante allemande et « chrétienne » de la Rose blanche Sophie Scholl, le prêtre polonais Jerzy Popieluszko, le militant antifasciste italien Giacomo Matteotti, Jeanne d’Arc et Jean Moulin. Des spectacles sons et lumières, projetés sur les façades du théâtre pendant l’été, confortent ce récit d’une ville qui se singularisait par « une forme de rébellion envers le pouvoir central tout au long de son histoire dont Robert Ménard serait l’ultime avatar », après les Cathares et Jean Moulin donc. Ainsi, s’il pourfend par ailleurs « le prosélytisme des extrémistes islamiques », il l’imite « symétriquement » en mettant en place chaque année depuis 2014 une crèche chrétienne dans l’hôtel de ville, en infraction avec la loi de séparation de 1905… et à l’encontre de l’histoire de la ville qui s’est caractérisée dès 1870 par une ferveur anticléricale ! « Il s’agit […] d’un choix partisan et confessionnel mûrement réfléchi avec pour objectif d’enraciner un récit identitaire totalement construit et destiné à exclure une partie de la population. » Des conférences sont organisées dans le cadre de la manifestation « Béziers libère la parole », durant lesquelles sont intervenus Alain de Benoist, Philippe de Villiers, Éric Zemmour, Renaud Camus, Patrick Buisson, Jean-Frédéric Poisson. Robert Ménard multiplie aussi les commémorations, autant d’occasions de discours et de prétextes à marteler ses thèmes favoris. « Très souvent, et bien qu’il s’en défende, le propos est suffisamment ambiguë pour ne pas être attaquable, mais les sous-entendus, les allusions et les références délivrent un message politique. D’ailleurs cette technique habile est pour ainsi dire la marque de fabrique du discours ménardien au sens large. Cela lui permet en cas de réaction opposée ferme de se draper dans le costume de la victime, de l’offensé, et de dénoncer les “staliniens” qui interprètent ses propos et lui font dire ce qu’il n’a pas dit. »
S’il refuse de célébrer le 19 mars 1962, date du cessez-le-feu en Algérie, mettant en berne les drapeaux tricolores de la ville ce jour-là, il commémore la bataille de Camerone et les attentats contre les forces françaises au Liban en 1983.
Le Journal de Béziers, avec une fréquence de deux numéros par mois et des couvertures souvent provocatrices, déclinées en affiches sur toute la ville et qui ont plus d’une fois défrayé la chronique, contribue à sa mesure à cette bataille culturelle. Son éphéméride égrène des faits historiques anodins dont certains sont déformés, décontextualisés, tronqués ou instrumentalisés à des fins politiques. Toute la communication municipale est ainsi minutieusement passée en revue, ce qui permet de dégager un bruit de fond qui fait sens et récit. Ainsi, en pleine affaire George Floyd, le choix du nouveau slogan touristique n’est pas anodin : « Béziers la sudiste » ! L’activité numérique compulsive est également analysée, en particulier ses connexions avec la fachosphère, par l’intermédiaire du site Boulevard Voltaire qu’il a fondé avec sa femme. L’auteur décortique scrupuleusement l’idéologie ménardienne, articulation d’un déclin de la France opposé à un passé idéalisé, d’une xénophobie et d’une « obsession anti-immigration et antimusulmane plus ou moins explicite mais latente ». Ces discours utilisent la tactique théorisée par Henri Guaino, la « plume » de Nicolas Sarkozy : la désaffiliation des figures historiques, dépolitisées et intégrées à un « récit ordonnancé au seul prisme du nationalisme ». Le maire de Béziers a par exemple récupéré et instrumentalisé Jean Jaurès et Giacomo Matteotti, deux martyrs de la gauche assassiné par l’extrême droite, pour les retourner contre la gauche elle-même. De la même façon, il nie et escamote les convictions de Jean Moulin, pour en faire « l’exemple même du sacrifice patriote », il réduit le 14 juillet à une fête nationaliste, celle de tous les Français, qui doivent aussi défendre leurs frontières culturelles, fruit de leur histoire européenne et chrétienne. Il tente de montrer coûte que coûte la présence de membres de l’extrême droite dans la Résistance et met en avant une résistance « chrétienne », autre façon de parler du présent. Il affiche un attachement viscéral à l’Algérie française et à l’histoire dramatique des rapatriés, par calcul politique et, comme toujours, pour donner « une lecture du présent à travers le miroir d’un passé déformé et réinterprété ». De façon caricaturale, il réduit l’histoire de la présence française en Algérie a une « artificielle opposition entre “nostalgériques” et “repentants” », tout en laissant croire que la réalité historique est falsifiée. Dès son élection, il débaptisa la rue du 19-mars-1962 pour lui donner aussitôt le nom d’Hélie Denois de Saint Marc, officier putschiste, mais également résistant, déporté à Buchenwald, choix habile qui permet une nouvelle fois de brouiller l’image. En 2003, le monument dédié aux victimes d’outre-mer s’est vu rajouter une plaque rendant hommage à quatre fusillés de l’OAS, dont l’organisateur de l’attentat du Petit-Clamart. Mais Robert Ménard ne s’arrête pas là, puisqu’il fait aussi de la guerre d’Algérie « le point de départ de l’immigration de remplacement », adoptant ainsi les thèses de Renaud Camus, tissant un lien entre les violences d’alors et le terrorisme islamiste. 
« Ce fond idéologique le pousse à attaquer les notions d’intégration et surtout de vivre-ensemble que l’ancien chantre des droits de l’homme voue désormais aux gémonies. » Aux historiens qui dénoncent ces instrumentalisations, il retourne habilement l’accusation de dogmatisme, suivant le même procédé qu’utilise Éric Zemmour.

Rigoureux décryptage des méthodes discursives de Robert Ménard, dangereuses parce qu’habiles et complexes. L’idéologie est souvent dissimulée, sous-entendue, mise en récit par une communication rodée. Richard Vassakos fournit des outils pour mettre à nue les rhétoriques utilisées, bien au-delà de Béziers évidemment, par les extrêmes droites.

Ernest London, le bibliothécaire-armurier