Le blog des éditions Libertalia

La Croisade de Robert Ménard dans L’Humanité dimanche

jeudi 9 décembre 2021 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans L’Humanité dimanche, 9-15 décembre 2021.

Brouillage de l’histoire

Sous-titré « Une bataille culturelle d’extrême droite », ce court et dense ouvrage de Richard Vassakos présente un intérêt qui dépasse largement les limites de Béziers, sous-préfecture de l’Hérault où règnent Robert Ménard, en tant que maire, et son épouse, Emmanuelle, en tant que députée.
Comme l’écrit justement l’auteur : « Robert Ménard n’est pas un élément isolé, un histrion ou un épiphénomène méridional. Il s’inscrit dans un courant français et européen beaucoup plus large. » En témoignent les nombreuses références de l’ouvrage à la fachosphère, dont les représentants, dans leur diversité, sont en contact régulier avec le maire de Béziers.
Cela n’empêche pas l’auteur de prioriser une étude méthodique et très documentée du cas Ménard. Ce travail déconstruit, dans une démarche universitaire rigoureuse, le monde imaginaire fantasmé avec une efficacité certaine par cette personnalité éminente de l’extrême droite qui s’attaque aux enseignants coupables de le critiquer (« Il ne faut pas réformer le mammouth. Il faut le tuer »), exalte la désastreuse guerre menée contre le peuple mexicain par Napoléon III, ou encore l’Algérie française, OAS incluse.
Quel est l’enjeu ? La prise de pouvoir, et pas seulement locale. Avec Quel est l’enjeu ? La prise de pouvoir, et pas seulement locale. Avec quelle stratégie ? Occulter le réel social de la lutte des classes en esquivant ses défis industriels, sociaux, écologiques, culturels-anthropologiques, depuis le logement et un travail dignement rémunéré, jusqu’à la nécessaire maîtrise consciente de nos vies. Et remplacer tout cela par le mythe de l’étranger venu occuper la France, avec force appels à se montrer digne de notre grandeur passée : celle de notre pays… et celle de Béziers. Ce n’est pas sans écho dans une ville déclassée par le capitalisme financier globalisé. Cette démarche réactionnaire qui se réclame de Gramsci (un Gramsci à l’envers, bien sûr) a pour ambition la conquête de l’hégémonie culturelle. Et pour ce faire, elle pratique un gigantesque brouillage de l’histoire
À cet égard, les exemples analysés sur les « manipulations du passé » sont tout à fait passionnants : Révolution française, Grande Guerre, Résistance, nostalgie coloniale, l’histoire à l’école… escamotages souvent habiles car fondés sur l’ignorance de beaucoup. Mais, quelquefois, le maire de Béziers, emporté par son élan, se démasque : quand il écrit qu’à Oradour « l’armée allemande s’est déshonorée ce jour-là » (ah bon, et pas les autres jours ?), il suscite, à sa grande fureur, un certain tollé.
L’ouvrage évoque la « base », l’infrastructure si l’on veut, qui a pu servir de terreau favorable à l’extrême droite, détaille « les outils de la bataille culturelle » et décrit avec un certain pittoresque l’activisme de Robert Ménard au service de son détournement de l’histoire : une frénésie de discours avec pose de plaques, édification de bustes et statues, occupation de l’espace public, le tout servi médiatiquement, notamment par son Journal de Béziers. Bon, c’est entendu : en dernière instance, ce sont les luttes sociales et politiques pour « les jours heureux » qui sont décisives… mais la connotation même de ce beau slogan qui renvoie au programme du CNR (élaboré sous l’Occupation en mars 1944) montre bien que, pour ces luttes elles-mêmes, la bataille culturelle est essentielle. La croisade de Robert Ménard, au ton à la fois ferme et pondéré, nous invite à des combats sur le fond, théorie et pratique mêlées, pour une humanité en quête de sens.

Serge Ressiguier