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Le Roi Arthur sur Slate.fr

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— REVUE de PRESSE —

Sur Slate.fr, 13 décembre 2016

Le roi Arthur : sept siècles d’aventures, et pas une ride

Sept siècles, et pas une ride : c’est ainsi que se présente le roi Arthur dans le dernier livre de William Blanc, Le Roi Arthur, un mythe contemporain, qui retrace la façon dont le mythe arthurien a évolué au fil des siècles, depuis sa première formulation au tournant du XIIIe siècle jusqu’à l’actualité la plus récente. Dans la continuité de ses deux précédents ouvrages, qui s’intéressaient respectivement à la renaissance d’un « roman national » en France et au mythe de la bataille de Poitiers, il s’empare cette fois-ci d’un sujet pour le moins large : plusieurs siècles, plusieurs médias, plusieurs milliers de réécritures, dans une grande diversité de langues.
Trahissons d’emblée une partie du suspens : le pari, extrêmement ambitieux, est tenu. En un volume épais, mais richement illustré, et dans un style simple et accessible, William Blanc balaye une diversité étourdissante de sources : romans, bien sûr, mais aussi albums de musique, peintures, films et séries télé, jeux vidéo, de rôle et de plateau, comics, bandes dessinées et mangas. Certains noms sont attendus : T.H. White, Tennyson et Mark Twain, Richard Thorpe, Monty Python et Kaamelott. D’autres sont plus originaux : saviez-vous que derrière Luke Skywalker, Batman, Captain America, Buffy ou Harry Potter se cachent des ombres, plus ou moins retravaillées, de la légende arthurienne ?
Se faisant détective de l’imaginaire collectif, l’auteur traque le mythe arthurien et ses avatars à travers la fiction, bien entendu, mais aussi dans la vie quotidienne – et c’est l’un des grands mérites de ce livre que de rappeler ainsi que la frontière entre fiction et réalité est poreuse, et que les œuvres romanesques peuvent influencer en profondeur les réalités sociales, économiques et politiques. Et ce à toutes les échelles : ainsi croise-t-on par exemple un ancien esclave afro-américain installé en Floride qui, en 1897-1898, baptise ses deux fils « King Arthur » et « Lancelot ». À l’autre bout du spectre social, les années Kennedy sont couramment comparées au règne du roi Arthur, les deux mythes s’entrecroisant et se nourrissant mutuellement.

Lectures politiques d’Arthur

Car – et c’est probablement le leitmotiv de l’ouvrage– ces réécritures constantes de la légende arthurienne sont le plus souvent fortement chargées et connotées politiquement. Et ce dès l’origine du mythe : comme l’a bien montré Amaury Chauou, aux XIIIe et XIVe siècles, les rois Plantagenêt se servent de la figure d’Arthur pour nourrir le prestige de leur monarchie et leurs revendications territoriales sur le continent. Plusieurs siècles après, cette charge politique du mythe est toujours bien vivace : dans les années 1960, on voit par exemple apparaître sur les campus américains des badges réclamant « Gandalf for President », à un moment où Le Seigneur des anneaux de Tolkien, profondément influencé par la légende d’Arthur, est devenu un symbole du rejet de la modernité industrielle.
Comme l’a montré récemment Tommaso di Carpegna Falconieri, dans un essai capital et d’ailleurs bien utilisé dans Le Roi Arthur, un mythe contemporain, le Moyen Âge peut être récupéré dans tous les sens, pour servir toutes les idéologies et tous les combats. C’est très clairement le cas du mythe arthurien, et le livre rend justice à ces récupérations divergentes, voire conflictuelles. Dès 1893, William Forbush fonde les « Knights of the Round Table », une organisation de jeunesse qui anticipe le scoutisme. Quelques décennies plus tard, on croise sur les écrans de cinéma des chevaliers bikers (Knightriders de Romero) et un Tristan transgenre (Camelot 3000) ; Superman comme Iron-Man se rendent à la cour du roi Arthur ; Camelot devient le symbole du progrès et de l’espoir, associé dans les années Kennedy à la course aux étoiles, tout en étant dénoncé parodiquement comme une « maquette » par l’écuyer du roi Arthur dans le film des Monty Python.
Au fil des années et des auteurs, le mythe arthurien peut être récupéré pour délivrer un message antisoviétique, antitechnologique, écologique, conservateur, révolutionnaire, pour défendre les droits des minorités ou mettre en scène des femmes guerrières, pour nourrir le folklore breton et les revendications identitaires qui lui sont liées, etc. Dans le fleuve de ces multiples réinterprétations, William Blanc garde le cap en ne cessant d’interroger les identités sociales et politiques de ces auteurs, ainsi que leurs propres paysages mentaux : les œuvres ne se produisent pas toutes seules, elles sont toujours enracinées dans des contextes de production et de réception, au sujet desquels l’auteur propose des analyses souvent très pertinentes.

Les recompositions du mythe

Ce foisonnement d’interprétations peut donner le vertige, mais il n’empêche pas de dégager des éléments de fond. En particulier, on voit que la progressive acclimatation du mythe aux États-Unis participe d’une véritable translatio imperii : la jeune Amérique s’affirme comme l’héritière de la vieille Angleterre, et met en scène ce message politique à travers le couple vieux Merlin – jeune Arthur (ou jeune chevalier), que l’on retrouve dans Prince Valiant, dans le dessin animé de Disney, dans X-Men ou encore dans la série de « livres dont vous êtes le héros », La Quête du Graal. La lecture politique se double d’une lecture historique : comme le montrent Un Yankee à la cour du Roi Arthur de Mark Twain et ses nombreuses réécritures, l’Amérique contemporaine se définit par opposition à un Moyen Âge obscur et violent.
Très présent dans l’univers ludique, le monde arthurien se retrouve derrière des jeux de rôle, des jeux vidéo, des jeux de plateau : nous jouons à Arthur. Cela contribue à nous rapprocher du Moyen Âge, et il y a là une véritable continuité de pratiques : les seigneurs médiévaux aimaient en effet se déguiser en Chevaliers de la Table Ronde lors de grandes fêtes – on en a un exemple éloquent en 1223 à Chypre. La seule différence réside dans la popularisation actuelle du mythe – même si William Blanc sous-estime probablement la diffusion de la légende à l’époque médiévale : on sait en effet, par un célèbre exemplum de Césaire de Heisterbach, que les moines étaient friands des romans arthuriens.
Mais cette histoire de la transmission d’une légende n’est pas une histoire linéaire : la France, par exemple, oublie la figure arthurienne – alors même que les premiers romans arthuriens sont rédigés en ancien français – avant de la redécouvrir, dans les années 1950-1960, à travers une culture populaire américaine qui se mondialise peu à peu.
Dans l’autre sens, William Blanc en vient également à suggérer l’existence d’un mythe « merlinien », certes lié au mythe d’Arthur, mais qui semble prendre toute son indépendance, avec des avatars de Merlin un peu partout (Gandalf et Dumbledore, pour ne citer qu’eux) et des œuvres centrées uniquement sur lui. Cela pose la question, fascinante, de la capacité d’un mythe à en engendrer d’autres.

Le roi Arthur reviendra

En renonçant à un plan strictement chronologique pour préférer des chapitres thématiques, articulés autour des grands axes des réécritures – Merlin, les femmes, les super-héros, etc., – William Blanc évite de rigidifier son propos, même si cela amène à quelques répétitions. Les toutes premières pages, consacrées à la fabrique médiévale de la légende, sont peu originales – même si elles sont probablement nécessaires – alors que le dernier chapitre est quant à lui un peu court, presque expédié. Seules les « annexes » laissent sceptique : ajoutées à la fin des chapitres, elles approfondissent un point ou une œuvre, mais on ne comprend pas bien l’intérêt de les isoler ainsi de la trame générale du livre. Parfois un peu touffu, frôlant dans quelques passages le name-dropping, le livre reste cependant très clair et toujours passionnant.
En plus de proposer de belles analyses approfondies sur des œuvres peu connues du grand public francophone (Camelot 3 000 de Mike Barr ou Avalon de Oshii Mamoru), l’ouvrage peut même servir d’outil de travail, d’autant plus qu’il s’appuie sur un très grand nombre de travaux universitaires. Un détail qui n’en est pas un, et qui participe du projet politique des éditions Libertalia : de très nombreux articles sont disponibles en ligne, notamment sur le site Histoires et Images médiévales.
Comme l’auteur le reconnaît lui-même dans sa conclusion, il est impossible, sur un tel sujet, d’être exhaustif. Le lecteur, forcément, regrettera que ne soient pas abordées « ses » œuvres, celles qui ont contribué à construire « son roi Arthur » : William Blanc aurait ainsi pu évoquer les chansons celtisantes du groupe Manau, la belle réécriture du mythe arthurien proposée par Guy G. Kay dans The Fionavar Tapestry ou encore l’utilisation de la figure d’Arthur à des fins de critique politique que fait Stephen Lawhead dans son roman Avalon : The Return of King Arthur.
De même, rien n’est dit de la publicité, qui ne s’est jamais retenue d’utiliser la figure arthurienne pour vendre de la colle, du sopalin ou du cidre… Mais cela aurait probablement conduit à ajouter une centaine de pages à un livre déjà très dense : espérons simplement que, comme tout bon roman arthurien qui se respecte, il y aura des continuations.

Florian Besson