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lundi 24 mars 2025 :: Permalien
William Blanc, Justine Breton et Jonathan Fruoco étaient les invités de Xavier Mauduit dans Le Cours de l’Histoire du 11 mars 2025 sur France Culture.
Nous partons sur les traces d’un brigand au grand cœur… Un brigand ou plutôt des brigands, tant son image est plurielle et varie selon les versions produites à travers les siècles, des chroniques médiévales aux séries télévisées, en passant par le dessin animé ; Robin des bois est une bande de brigands à lui tout seul !
« Je connais des rimes de Robin des Bois »
Le Robin des Bois historique n’a manifestement pas existé. En l’absence de sources qui établissent la réalité d’un tel personnage, les historiennes et historiens concluent plutôt à une synthèse littéraire aux multiples influences, d’abord orales. La première apparition écrite du personnage date de 1377, dans une des œuvres les plus importantes de la littérature médiévale anglaise, Pierre le Laboureur de William Langland (1332-1386). La mention ne se limite pourtant qu’à une phrase isolée – "je connais des rimes de Robin des Bois" – et les premières traces de l’histoire telle qu’elle est connue aujourd’hui n’apparaissent qu’au milieu du 15ᵉ siècle, dans Une geste de Robin des Bois : confrontation avec le shérif de Nottingham, concours de tir à l’arc, rencontre entre Robin et le roi… Dans cette version, Robin est un yeoman, c’est-à-dire un paysan petit propriétaire terrien, fier de son identité rurale qu’il revendique face à la noblesse et à l’Église. Le vert qu’il arbore n’est pas qu’un bon moyen de se camoufler dans la forêt ; Jonathan Fruoco, historien médiéviste à l’Université Paris Nanterre, explique : « C’est une couleur qui est associée à sa classe sociale, celle des yeomen. Le “vert de Lincoln”, cité comme la couleur des vêtements de la capuche [hood en anglais] de Robin, est très spécifique. C’est une couleur peu noble parce qu’elle se délave facilement, d’où la tendance à l’éviter dans la noblesse. » Le vert emblématique de Robin est donc, avant tout, une marque sociale.
Jouer (à) Robin
D’abord incarné à l’occasion de fêtes de village, le personnage de Robin est ciblé par le pouvoir royal d’Henri VIII puis d’Élisabeth Ire qui jugent ces célébrations populaires incompatibles avec l’anglicanisme. Alors réécrit pour correspondre aux exigences du théâtre élisabéthain, le personnage s’anoblit : il devient le comte de Huntingdon, un homme dépossédé de ses terres qui cherche à les récupérer. Sous l’influence des chroniqueurs du 15ᵉ siècle, qui ont situé la légende au temps de Richard Cœur de Lion et de Jean sans Terre, le théâtre dote Robin d’une épaisseur historique fictive.
Dans le même temps, « Robin des bois » devient un surnom pour de vrais hors-la-loi. Les autorités se servent de l’expression pour disqualifier les contrevenants, tandis qu’il arrive à ces mêmes contrevenants de le revendiquer. Cette ambivalence est particulièrement sensible outre-Atlantique, où le nom sert tantôt à désigner des pirates dangereux, tantôt à valoriser l’opposition du monde rural à l’État fédéral. Après la guerre de Sécession (1861-1865), le sudiste et esclavagiste Jesse James incarne ce combat contre les Républicains, capitalistes et selon lui oppresseurs des honnêtes ruraux. Le déguisement occupe une place centrale. À cet égard, William Blanc, historien spécialiste des représentations du Moyen Âge dans les cultures populaires, emprunte au théoricien russe Mikhaïl Bakhtine le concept de « carnavalesque » : la légende de Robin est « une fête, une transformation, un moment de déguisement où on renverse les valeurs [sociales et morales] », où les femmes, comme Marianne, s’habillent comme des hommes et où les riches sont détroussés au profit des plus pauvres.
Robins et Mariannes
Si le cinéma et la littérature populaire contribuent à fixer un imaginaire, y compris chez les enfants, l’histoire de Robin des Bois est constamment réécrite pour répondre aux enjeux du présent. Le film hollywoodien d’Allan Dwan et Douglas Fairbanks de 1922, peint, en dépit du noir et blanc, un Moyen Âge éclatant et joyeux qui contraste avec le traumatisme européen de la Grande Guerre, boueuse et meurtrière. Seize ans plus tard, en 1938, la version de Michael Curtiz et William Keighley prend acte de la menace fasciste et propose un Robin rooseveltien et favorable à la redistribution des richesses, dans la droite lignée du New Deal. Rien à voir, pour William Blanc, avec le film des studios Walt Disney, connus pour « [leurs] positions très conservatrices » : « En 1973, l’oppresseur est celui qui prend les impôts. »
Le personnage de Marianne connaît également une trajectoire surprenante entre son introduction au 16ᵉ siècle, où elle est un objet sexuel et de désir, et les réécritures féministes les plus récentes. Pour autant, elle reste l’unique femme de la légende. Pour Justine Breton, maîtresse de conférences en médiévalisme et en littérature comparée à l’Université de Lorraine c’est « le “syndrôme de la Schtroumpfette” ; il y a un unique personnage féminin, qui représente ’la’ femme, et de nombreux personnages masculins qui gravitent autour. »