Le blog des éditions Libertalia

Tenir la rue dans Les Lettres françaises

vendredi 17 octobre 2014 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Extrait des Lettres françaises, numéro 129, octobre 2014.

Groupes d’autodéfense socialiste

C’est un sujet original qu’aborde Matthias Bouchenot dans son livre consacré à « l’autodéfense socialiste » pendant les années 1930. Si tout (ex)-militant de ces dernières décennies connaît l’importance des services d’ordre dans les organisations politiques issues du mouvement ouvrier, on connaît mal ou peu les groupes d’action et d’autodéfense de l’ancêtre du Parti socialiste, la SFIO. C’est le grand mérite de ce livre que de nous détailler, à partir de solides connaissances sur la période, d’une maîtrise incontestable de la bibliographie sur la violence politique et d’une exploration minutieuse de différents fonds d’archives, l’existence de ces groupes envisagés comme des dispositifs de sécurité musclés pour faire face à l’extrême droite (et, pendant une période, aux communistes), mais aussi parfois comme de véritables embryons de groupes armés révolutionnaires, prêts à agir contre l’ennemi de classe en temps voulu.
L’auteur présente une myriade de sensibilités politiques au sein de la SFIO ; son aile gauche, notamment autour de la figure de Marceau Pivert (animateur hors normes de la section du XVe arrondissement de Paris), fut particulièrement active sur ce terrain de l’autodéfense. Ainsi sont éclairées d’un nouvel œil les luttes internes au sein des socialistes pendant cette période cruciale de 1934-1938. En trame de fond, on retrouve le vieux débat du mouvement ouvrier sur les milices populaires pensées comme alternatives à l’armée permanente inféodée à l’État et à la bourgeoisie. Peut-être d’ailleurs la grande érudition dont fait preuve l’auteur aurait gagné à inscrire ces débats sur un plus long terme, ce qu’il ne fait que trop timidement. De même, la dimension internationale – certes, évoquée – aurait pu être plus fouillée, notamment le poids de la référence à la social-démocratie autrichienne et à son groupe armé, le Schutzbund, dont les membres avaient combattu en février 1934 dans les rues de Vienne, suscitant réflexion, admiration – ou défiance – dans les rangs socialistes. Mais tout passionné des années 1930 devra lire ce livre qui restitue à merveille l’ambiance politique si spécifique de cette époque.

Jean-Numa Ducange