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> « Les musulmans ont droit au même respect que les autres parents »
mercredi 9 octobre 2019 :: Permalien
Tribune de Véronique Decker parue dans Le Monde, 9 octobre 2019.
Après la récente polémique provoquée par une affiche de la FCPE montrant une mère voilée, Véronique Decker, ancienne directrice d’école, estime que l’on devrait remercier ces femmes pour leur présence lors de sorties scolaires, plutôt que de les stigmatiser.
La Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) a édité, en septembre, une affiche défendant le droit des mères voilées d’accompagner les sorties scolaires. Alors que la polémique prend de l’ampleur, le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, finit par employer un adjectif fatal à propos de cette affiche : « regrettable ».
Mais voilà, la laïcité n’a pas à être ouverte ou fermée, stricte ou molle. La laïcité est un accord qui doit être recréé à chaque génération, pour permettre à des gens ayant différents impératifs laïques ou religieux de partager un espace commun. Il y a un siècle, certaines communes avaient interdit aux curés de porter la soutane, d’autres faisaient fermer les écoles publiques le jour de la procession du saint qui protégeait l’église, les écoles et collèges permettaient de manquer l’école pour les jours de retraite de communion, sans compter l’Alsace-Moselle, qui conserve encore aujourd’hui un statut différent du reste de l’Hexagone, et les Comores ou la Guyane, dans lesquelles les valeurs de la République ont été si largement adaptées à la réalité locale qu’on y a négligé de construire suffisamment d’écoles pour scolariser tous les enfants…
Rancœur ordinaire
Quoi qu’on puisse penser du fait de porter un voile sur les cheveux, la laïcité a défini, en 2004, des règles qui s’imposent aux fonctionnaires et aux élèves, mais ne s’appliquent pas aux parents, qu’ils soient délégués des parents ou accompagnateurs des sorties. Il a fallu plusieurs actions judiciaires pour que le Conseil d’État acte ce fait. Néanmoins, cette question resurgit encore, surtout dans les périodes électorales.
Chaque parti se demande s’il fera du « chiffre » en créant du malaise islamophobe, alors que le simple bon sens permet de voir que le XXe siècle est terminé et qu’une communauté importante de musulmans partage le territoire français. Certains sont étrangers, mais la majorité est de nationalité française et souvent née de parents français, et envoie dans les écoles des enfants français nés en France de parents français eux-mêmes nés en France.
Il reste des gens pour le regretter, sans aucun doute. Mais les incroyants, les juifs, les catholiques, les athées, les protestants, les bouddhistes, les musulmans et toutes les autres minorités qui vivent en France sont dans l’obligation de vivre ensemble et de s’accorder sur les règles d’usage de l’alimentation, de la construction des lieux de prière, de l’habillement, des pratiques des fêtes et de l’organisation de l’école, car un des rôles de l’école publique est justement de permettre aux enfants de toutes origines, de toutes confessions de se rencontrer et aux parents de se fréquenter. Lorsque le ministre décide que c’est « regrettable », que regrette-t-il ? Le bon temps des ouvriers des foyers Sonacotra qui laissaient leurs familles dans les pays d’origine pour trimer ici loin d’elles ?
La FCPE s’est battue pour que tous les parents puissent accompagner les sorties, habillés tels qu’ils sont, et ils ont eu gain de cause. Les musulmans ont le droit au même respect que les autres parents. Et pourtant, en sous-main, il reste des gens dans l’Éducation nationale pour affirmer aux directeurs d’école que « c’est eux qui choisissent et que s’ils veulent éliminer les parents portant des signes religieux, il leur suffit de privilégier les autres ». Donc la FCPE a raison de faire campagne à ce sujet, car il reste des écoles où le respect n’est pas de mise.
Rien n’est plus important que le respect pour construire la laïcité. Lorsqu’un groupe se sent humilié, la rancœur ordinaire devient le terreau de toutes les agressivités.
Alors, bien sûr, toutes les femmes musulmanes ne portent pas le voile. Un bon nombre d’entre elles travaillent dans les écoles, les collèges et les lycées dans tous les métiers de l’éducation, sans compter le reste de la fonction publique. Mais d’autres le portent. Et elles en ont le droit, car toutes les femmes ont ici le droit de s’habiller comme elles veulent.
Polémique stérile
Ce qui m’agace considérablement, c’est que le ministre alimente cette polémique stérile. Car tout le monde sait qu’aucune décision ne sera prise, vu que des mamans disponibles et dévouées pour accompagner les sorties, il n’y en a pas tant que cela et encore moins de papas.
Les rares parents accompagnateurs bénévoles sont choyés dans la plupart des écoles, et, comme pour tous les bénévoles, la seule chose que l’école publique peut leur dire est « merci ». Merci d’être avec nous pour passer toute la journée au Louvre. Merci de venir chaque mardi à la piscine. Merci d’accompagner les CP à la bibliothèque. Merci de préparer les repas froids pour la journée canoë à la base de loisirs. Non, rien ne vous oblige à enlever votre voile pour venir nous aider.
M. Blanquer va-t-il devoir en même temps conduire la nouvelle politique d’Emmanuel Macron, destinée à prendre des voix à Marine Le Pen, et instiller un peu de haine chaque jour pour faire prendre la mayonnaise, quitte à empêcher les enfants des écoles de visiter le Louvre, d’aller à la piscine ou d’aller à l’opéra ?
On est juste dans le déversement d’« éléments de langage » n’ayant plus aucun rapport avec un débat réel autour de la laïcité, qui sera forcément un débat constructif, car la laïcité est la construction commune d’un espace où nous vivrons ensemble, où nos enfants vivront ensemble et dans lequel la haine n’est jamais souhaitable. Jamais.
Véronique Decker a été directrice de l’école Marie-Curie, cité scolaire Karl-Marx, à Bobigny. Elle a notamment écrit Pour une école publique émancipatrice.