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Voyage au bout de Traven

mardi 8 mai 2018 :: Permalien

Entretien avec l’auteur et metteur en scène de la pièce B. Traven. Paru dans CQFD, numéro 165, mai 2018.

Voyage au bout de Traven

Un écrivain fantôme sur les planches.
La pièce virevolte, pendant près de trois heures, jusqu’à se muer en quasi-épopée, drolatique et intense. Centrée sur la figure d’un écrivain mystérieux et fantasmé, elle prend acte de son impossible biographie pour mieux rebondir avec jubilation. Rencontre avec Frédéric Sonntag, auteur et metteur en scène de B. Traven.

Pourquoi te lancer dans un tel projet ?  

« Ça fait longtemps que je tourne autour de Traven. Depuis que j’ai découvert, il y a quinze ans, Le Trésor de la Sierra Madre, de John Huston, adaptation cinématographique d’un de ses romans. Le film m’a amené vers le romancier, qui s’est révélé mystérieux et fantomatique. Le genre de personnage qui me captive. À tel point que je me suis lancé dans une trilogie théâtrale – La trilogie fantôme – autour des figures énigmatiques. Avec une pièce centrée sur George Kaplan, en 2009, puis une autre sur Walter Benjamin, en 2013. Le tour de Traven était venu.
Cet écrivain fascine parce qu’il est parvenu à ses fins : brouiller toutes les pistes le concernant. Il a fait couler beaucoup d’encre, mais le mystère demeure – je me suis largement documenté sans le percer. Entre autres, je recommande la riche biographie de Recknagel, qui cherche l’écrivain dans ses textes et fait le lien avec sa deuxième identité, celle du révolutionnaire allemand Ret Marut. Et À la recherche de B. Traven, de Jonah Raskin, journaliste californien qui débarque à Mexico dans les années 1970. Il y rencontre Rosa Elena, la veuve de Traven, et pense rédiger avec elle la première biographie officielle. Mais il s’y casse vite les dents tant tout s’emmêle : les divers témoignages ne concordent pas. À deux doigts de devenir fou, il finit par dormir dans le lit de Traven et par essayer ses chemises. Avant de comprendre que cette biographie est un exercice impossible, échec qu’il relate dans son livre. Des éléments que j’ai intégrés à la pièce, en me présentant comme un détective menant une investigation. »

Ta pièce est foisonnante, partant du Mexique de 1917 pour finir dans le Paris des squats en 1994. Comment as tu articulé le tout ?  

« Mon idée n’était pas de conduire un travail de spécialiste, mais de dresser un portrait fragmenté. Une pièce en compagnie de Traven et de ce qu’il m’inspire. Je ne pouvais pas dérouler un seul fil narratif. J’ai donc structuré la pièce autour de cinq histoires se déroulant à différents moments du XXe siècle, parce que B. Traven traverse ce siècle et ses problématiques. Je n’ai pas voulu m’arrêter à sa mort, en 1969. Ni aux années 1970, quand paraissent plusieurs enquêtes à son propos. J’ai donc intégré l’émergence de Marcos (une autre figure masquée) et de l’EZLN dans les années 1990. Et je suis même allé jusqu’en 2009, pour évoquer la grande crise économique. Il en ressort forcément une dramaturgie éclatée. Sur le papier, c’était plutôt marrant d’imaginer l’articulation de ces cinq périodes ; mais la mise en pratique scénique s’est avérée plus hasardeuse. »

Pourquoi intégrer l’écrivain-boxeur Arthur Cravan à la narration ?

« Cravan appartient à la constellation des écrivains fantômes et renvoie aux identités fantasmées de Traven - ça avait donc un sens de lier ces deux personnages. Au fond, les fausses pistes me plaisent autant que les vraies. Et les légendes constituent un excellent terreau littéraire. 
Bref, l’une des histoires structurant la pièce s’appuie sur la rencontre (réelle) de Cravan et Trotski sur un bateau pour les États-Unis en 1917. L’occasion de revenir sur leurs parcours respectifs. De souligner qu’ils ont multiplié les masques et identités pour des raisons politiques. Et de revenir au lieu central du récit, le Mexique. »

Ainsi que d’introduire un « personnage » attachant, le perroquet de Traven, qui clame « J’ai tué Léon Trotski »...

« Parmi les figures récurrentes de ma trilogie, il y a en effet celle de l’oiseau. Dans George Kaplan, c’était une poule ; dans Benjamin Walter, un corbeau ; et dans B. Traven, le perroquet. Pas un hasard : le Mexique est terre de cacatoès. Et Traven en possédait un. Comme la pièce est d’abord un pastiche de récit d’espionnage, jouant des codes du genre avec ironie, je me suis permis de donner une large place à ce perroquet empaillé, dont la voix a été enregistrée. Des psychanalystes ayant assisté à une représentation m’ont même dit qu’il en était en réalité le personnage principal. »

La musique est aussi très présente, avec tous les comédiens qui jouent d’un instrument...

« Ils participent en effet à la reprise d’une chanson de Dylan. Mais le reste du temps, ce sont deux musiciens professionnels qui assurent la bande son. Laquelle participe de la dramaturgie et facilite la promenade temporelle, de 1917 aux années 1950 ou à 1994. Elle recontextualise et crée du lien entre les histoires fragmentées. »

Propos recueillis par Nicolas Norrito