Le blog des éditions Libertalia

Retour à Killybegs

mercredi 11 janvier 2012 :: Permalien

Retour à Killybegs.
Sorj Chalandon.
Grasset, 336 pages, 20 euros.

Amateurs de récit social, de roman d’aventures ou de polar ; guérilleros en herbe et militants révolutionnaires ; amoureux d’une langue imagée et châtiée, presque emphatique, ne manquez pas Retour à Killybegs, le dernier roman de Sorj Chalandon, vous vous priveriez d’un beau moment de lecture.

Trois ans après Mon traître (Grasset, disponible en poche), Chalandon inverse le point de vue. Le narrateur-personnage n’est plus Antoine Chalons, le petit luthier parisien amoureux de l’Irlande du Nord et farouche partisan de l’IRA, mais Tyrone Meehan, un des chefs de l’Armée républicaine irlandaise, celui qui trahit.

Mon traître nous questionnait quant au soutien et à la solidarité qu’un individu peut manifester envers une lutte de libération nationale qui n’est pas la sienne. Retour à Killybegs va plus loin encore en interrogeant les tréfonds de notre âme : pourquoi s’engage-t-on ? Pourquoi choisir, à un moment, de prendre les armes ? Comment peut-on trahir ? Le traître est-il un salaud ? Comment passe-t-on si vite de l’adulation à l’ostracisme ?

En quelque trois cents pages parfois bavardes, Chalandon dresse le portrait d’un fils du peuple d’Irlande embarqué dans les péripéties d’un siècle qui le dépasse. Où l’on revit – avec force analepses – toute l’histoire du pays, de l’insurrection de Pâques (1916) au cessez-le-feu des années 1990, sans oublier les années noires de la Seconde Guerre mondiale.

Hommage aux prisonniers républicains, à un peuple, à une ville (Belfast), à un combat, ce livre poignant, inspiré de faits réels, a reçu le… Grand Prix de l’Académie française.

Extrait, page 236 : « Alors j’ai renoncé à mourir. À vivre aussi. Je serais ailleurs, entre ciel et terre. Je les emmerderais tous ! Les Brits, l’IRA, ces donneurs d’ordres ! Je n’en pouvais plus de cette guerre, de ces héros, de cette communauté étouffante. J’étais fatigué. Fatigué de combattre, de manifester, fatigué de prison, fatigué de clandestinité et de silence, fatigué des prières répétées depuis l’enfance, fatigué de haine, de colère et de peur, fatigué de nos peaux terreuses, de nos chaussures percées, de nos manteaux de pluie mouillés à l’intérieur. Séanna mon frère me hurlait aux oreilles. Je reprenais mot à mot ses slogans désarmés. Qu’est-ce qu’elle avait fait pour moi la République ? Les beaux, les grands, les vrais, les Tom Williams, les Danny Finley, étaient morts avec notre jeunesse ! Enterrés avec nos livres d’histoire, Connolly, Pearse, tous ces hommes à cravates et cols ronds ! Nous étions des copistes, des pasticheurs de gloire. Nous rejouions sans cesse les chants anciens. Nous étions d’âme, de chair et de briques, face à un acier sans cœur. Nous allions perdre. Nous avions perdu. J’avais perdu. Et je ne ferais pas à l’Irlande l’offrande d’une autre vie. »

N.N.