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Benjamin Péret, dans Le Matricule des Anges

mercredi 30 novembre 2016 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Paru dans Le Matricule des Anges, décembre 2016.

Poursuite de l’exégèse

Desnos et les ondes, Crevel et la solitude, Péret dans ses actes, trois nouveaux livres éclairent ces figures surréalistes.

Triade surréaliste pour l’automne : René Crevel, Robert Desnos et Benjamin Péret ont les honneurs de trois ouvrages. Une biographie (Péret), des lettres inédites (Crevel) et un dossier inédit reproduisant le contenu d’une émission de radio consacrée au rêve (Desnos). La plus grosse surprise, c’est à coup sûr le dossier qu’a exhumé Alain Chevrier des archives du plus surréaliste des psychiatres, Gaston Ferdière. On y aborde Desnos dans ses rapports avec les ondes et avec le rêve, d’abord à travers l’influence de ce dernier sur l’œuvre du poète, puis dans cette Clef des songes (L’Âge d’homme, 332 pages, 24 €) qu’il diffusa entre le 11 février et le 30 septembre 1938 sur le Poste parisien. Il avait entrepris d’y interpréter les rêves pour ses auditeurs. C’est une obsession populaire de toujours, Desnos trouva aisément de quoi nourrir son émission. On lui écrivait des lettres comme celle-ci : « Monsieur, je rêve énormément et je me suis permis de vous citer un de mes plus récents rêves. Je me trouvais dans une immense plaine. Une foule compacte courait en hurlant. Moi je restais seule. J’avais devant moi une grosse pièce qui tournait sans arrêt en sifflant un air de menace “zig… zig, je te tiens zig… gard”. Je voulais crier, aucun son ne sort de ma gorge qui était aussi étroite qu’une aiguille à laine. » Si La Clef des songes de Robert Desnos ne parut jamais sous forme de livre (le projet de 1942 pour les éditions Colbert fut empêché par Gallimard), il reste ces fragments et les analyses d’Alain Chevrier pour tenter d’imaginer ce qu’il aurait pu être.
En ce qui concerne la biographie Benjamin Péret, l’astre noir du surréalisme par Barthélémy Schwartz, il s’agit d’une belle synthèse avec mise à jour des données connues. Peu d’informations nouvelles concernant la vie professionnelle de Benjamin Péret (1899-1959) – il semble n’avoir jamais gagné un sou, ce gaillard, comme Breton du reste –, mais une véritable intégration à sa biographie des commentaires et analyses épars issus d’émissions de radio nouvelles, d’essais tout frais et de sources récemment publiées comme correspondances et souvenirs. Si le sous-titre de cette nouvelle biographie est un peu galvaudé (astres et soleils noirs sont désormais nombreux dans le paysage), le contenu n’en est pas moins sérieux et rend à Péret-la-béquille son rôle d’agitateur et ses attitudes de dadais dangereux. Péret-la-béquille parce qu’il fut au fond celle de Breton : aux côtés du grand énonciateur, il fallait le lascar capable d’aller au charbon, bille en tête. « Tout changera quand Péret sera revenu ! » disait Breton, selon Guy Prévan. « Il attendait son retour avec impatience. On annonçait Péret comme l’ouragan, du moins comme l’homme de la révolution. » Une anthologie de sa poésie est publiée au sortir de la biographie, une heureuse initiative puisque, l’homme enfui, c’est le poète qui reste.
On retrouve une certaine forme d’énergie, bien différente, chez René Crevel. Ce dernier est quant à lui l’auteur des 34 lettres inédites publiées par Alexandre Marc (La Sagesse n’est pas difficile, La Nerthe, 114 pages, 12 €). Elles étaient destinées entre avril 1925 et l’été 1928 à Albert Flament, le critique littéraire et confident de Crevel, Caresse Crosby, jeune veuve et éditrice de Black Sun Press, ainsi que Jean Schlumberger, le cofondateur de la NRF qu’on ne présente plus. Trois interlocuteurs et la même soif de contact, de confidences, de projets sans cesse renouvelés. Trois correspondances nimbées d’angoisse, parfois forte, qui émane de ces demandes incessantes de contact : « Écrivez-moi », conclut-il ces lettres et son appel est si fort qu’il en est déchirant. Il le confessait : « Je n’ai le courage d’aucune solitude. »

Éric Dussert