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Une belle grève de femmes sur Marsactu

jeudi 17 août 2023 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié sur Marsactu, le 11 juillet 2023.

Mes châteaux d’If : Une belle grève de femmes

« Il fait encore nuit ; elles sortent et frissonnent… »

Si la chanson de Claude Michel, les Penn Sardin, raconte avec exactitude la grève des sardinières de Douarnenez, on s’en rend compte en lisant le livre d’Anne Crignon qui vient à point nommé et le poing levé, de sortir chez Libertalia : (Maison d’édition à ne pas confondre avec Naturalia, l’enseigne bio où les conserves de sardines sont plus chères que les livres de Charlotte et Nico.)
1924, presque un siècle mais ça paraît si près de nous. Les patrons, toujours les mêmes, de la ville rouge sous-paient leurs employées, notamment les femmes qui emboîtaient les sardines. Leurs hommes eux vont plutôt mourir en mer, embauchés comme marins. Le 21 novembre 1924, chez Carnaud, une entreprise de la ville, une offense de trop pousse les femmes des ateliers à sortir dans la rue. Et en chansons, l’Internationale bien sûr. Puis une autre, Saluez, Riches Heureux, une chanson révolutionnaire déguisée en cantique, qui raconte la vie des travailleurs d’alors. C’est entre autres pour ça qu’elle marche tant, tant les Bretons croient en Dieu et dans le même sac, à Douarnenez depuis quelques années, dans le communisme.
La commune est la première de France à élire un communiste et à aligner une femme non éligible alors dans sa liste. Joséphine Pencalet.

« À Douarnenez, il y avait un meeting aux Halles, allez, on chantait : C’est la lutte ! Il y avait quelques chose à l’église ? On allait toutes à l’église chanter, Je suis chrétien ! Voilà ma gloire. C’étaient les mêmes. Toutes les femmes allaient à la messe. Toutes les femmes allaient au meeting. »

Et tant pis pour ceux qui supportent pas les cathos. Ils ne monteront pas au ciel voir chanter les sardinières. Quoique comme chantait Boris Vian : « Et puis on est descendu chez Satan et en bas c’était épatant… »
C’est un peu comme ceux qui ne supportent pas la Marseillaise, même en reggae comme le chanteur énervant Renaud ; on les invite à voir Casablanca, le film de 1942, ressorti à l’Artplexe, quand Victor Laszlo ordonne à l’orchestre de jouer l’hymne français pour faire taire les soldats allemands qui jouent leurs airs teutons chez Ricks, le bar américain tenu par Humphrey Bogart.
Mais repartons vers la baie d’Audierne… loin du Maroc et des yeux luisants d’Ingrid Bergman.
Flanchec, un véritable personnage de roman, est alors le maire de Douarnenez et se déplace dans l’entreprise sitôt qu’il apprend la nouvelle. Ça galvanise les troupes. Le Parti communiste va envoyer Charles Tillon, futur FTP, pour propager et organiser la grève. De Paris, les communistes en font une affaire nationale et organisent des collectes pendant que toute la ville s’est mise en grève. « C’était une grève pour le besoin. On n’était pas politiques » Il n’est pas exagéré de dire que cette grève fut menée en chansons et en bals. Comme les Mondines en Italie tenaient le coup au travail dans les rizières, les sardinières tenaient en usine bon gré mal gré, avec leurs filles âgées pour certaines âgées de 8 ans.
Huileuses, sertisseuses, répareuses, ouvrières en filets, tous les métiers partent en grève le 25 et chantent dans la rue. Les patrons intraitables et odieux enveniment les choses tandis que le préfet, étonnamment, tente de faire aboutir les négociations. Il destitue cependant le maire Le Flanchec. Les archives attestent ce penchant chez le préfet. Des représentantes des sardinières prennent le train pour Paris. Elles sont accompagnées en chanson par des milliers de femmes à la gare de Tréboul. Elles partent pour dix-sept heures de train. Aucun vol Ryanair alors. Les patrons avec à leur tête Béziers, ne reculent devant aucune traîtrise et font venir des malfrats pour casser la grève. La grève s’est étendue dans toute la Bretagne.
Les mercenaires venus semer la discorde dans les rangs des grévistes vont commettre une erreur en tuant Le Flanchec qui éructe l’Internationale et comme Indiana Jones va ressusciter et par la même provoquer la victoire.
« Et voici que de la salle du fond monte cette voix, cette voix insupportable identifiable entre mille, c’est le Flanchec qui la ramène encore avec son Internationale. Les hommes de Raynier, ça leur tape direct sur le système… »
Un homme sort un revolver, tout s’enchaîne…
Anne Crignon doit beaucoup au livre de Lucie Colliard, combattante féministe et syndicaliste envoyée par la CGTU pour organiser la grève, et aux ouvrages de Jean-Michel le Boulanger. L’année 1924, la ville compte 21 usines de conserve et les ouvrières ne touchaient que 16 sous de l’heure en trimant jusqu’à 72 heures par semaine. Les logis sont aussi minuscules que les payes. L’autrice raconte sans charger trop la mule les conditions d’existence du peuple breton. On lira aussi le livre d’Anne-Denes Martin, les Ouvrières de la mer.
Un petit bémol pour ce livre où Anne Crignon, amie des bêtes comme le fut Séverine, la grande journaliste anarchiste, amorce des digressions sur les chiens sans qu’on comprenne bien pourquoi. On n’est pas des bêtes, tout de même. L’autrice qui consacre un chapitre nécessaire à Le Flanchec, qui avait un chien, aurait pu consacrer un chapitre aux conserveries actuelles. On y aurait gagné à savoir comment la vie des sardinières y est plus légère chez Connetable de nos jours. Hasard de l’histoire, ce printemps a connu une grève emblématique chez Verbaudet dans le nord. Sept semaines de grève ! C’est pas rien. Sexisme et conditions de travail et de salaires se tiraient la bourre pour cette société fabriquant du prêt à porter enfant.
Quant à la chanson des sardinières, elle est chantée partout en France dans les conflits sociaux par des chorales militantes. Les chansons se parlent, se questionnent mais surtout s’interprètent.

Christophe Goby