Le blog des éditions Libertalia

Histoire désinvolte du surréalisme, chronique du site Dissidences

lundi 13 janvier 2014 :: Permalien

Histoire désinvolte du surréalisme, Raoul Vaneigem - illustration de Bruno Bartkowiak

Histoire désinvolte du surréalisme.
Un compte rendu de Frédéric Thomas publié sur le site Dissidences.

Raoul Vaneigem
[Jules-François Dupuis],
Histoire désinvolte du surréalisme

Les éditions Libertalia ont eu la bonne idée de rééditer ce livre écrit au début de la décennie 1970 (publié en 1977) sous un pseudonyme, par Raoul Vaneigem, l’une des « têtes pensantes » de l’Internationale situationniste (IS, 1956-1972). Désinvolte, cette histoire l’est. Cependant, elle est loin d’être inintéressante et « légère ». Écrite rapidement, « à la demande d’une maison d’édition française » (p. 7), l’auteur a surtout voulu parer au plus pressé : revenir sur l’histoire du surréalisme, en rappeler la charge de révolte et d’humour, les enjeux et les limites.

Cet essai débute ainsi par une généalogie du mouvement, en le réinscrivant dans le courant plus général du romantisme et dans le prolongement « d’une “esthétique radicale” en “éthique radicale” » (p. 16) et dont l’origine immédiate est marquée par « la triple défaite de Spartacus, de Dada et de la révolution des conseils en Russie » (p. 22). L’auteur cherche également à réhabiliter l’aspect collectif et international – même si le surréalisme belge (pourtant bien connu par l’auteur) et, plus particulièrement, son principal théoricien Paul Nougé, sont peu abordés ; en raison très certainement de leur engagement stalinien après 1945 – ainsi que certaines figures dont la principale est Benjamin Péret : « l’élément le plus indépendant et le plus libertaire du mouvement » (p. 94).

L’intérêt majeur du livre est de situer les principaux nœuds du surréalisme : « la contradiction entre la rigueur volontariste et la compromission » (p. 22), le rapport au communisme entendu comme « façon plus décisive » de « rompre avec les hommes de lettres » (p. 32) mais réorientant et réduisant du même coup la portée de cette « révolution totale » à laquelle le mouvement entendait s’atteler, le commerce de l’art pratiqué par plusieurs surréalistes comme pendant au refus du travail, et le succès de la peinture surréaliste (p. 117). En ce sens, pour Raoul Vaneigem, le cas Dali constituerait, plutôt qu’un accident de parcours, « le meilleur exemple de la réussite et de la faillite du surréalisme ; échec de la créativité comme élément révolutionnaire, réussite de la parfaite intégration au vieux monde » (p. 123).

Bien sûr, le livre est écrit dans la perspective de l’IS, c’est-à-dire du dépassement de Dada et du surréalisme. Mais il est également écrit en fonction de l’éloignement, puis de la rupture entre Vaneigem et l’IS. Cette perspective et ce positionnement orientent l’interprétation en lui donnant tout son mordant… mais également ses limites. Si certaines contradictions sont bien ciblées, elles font l’objet parfois de belles formules plutôt que d’analyses – il en va ainsi de la poésie faite par tous entendue comme « autogestion généralisée » (p. 91). De plus, tout le discours sur la « récupération » du surréalisme, à l’heure où l’IS trouve une place de choix sur le marché, est à revoir à cette lumière crue. Enfin, la critique de Raoul Vaneigem s’inscrit dans une ambition de radicalité qui refusait la production d’œuvres et sanctionnait – il y a déjà plus de 50 ans – la mort de l’art. Les défauts et faiblesses des produits surréalistes doivent aussi se mesurer à une telle prétention – et à ses impasses. Soit à une certaine désinvolture qui aura parfois fait défaut à l’IS.

Frédéric Thomas