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> Journal d’un rescapé du Bataclan dans Le Canard enchaîné
lundi 7 décembre 2020 :: Permalien
Publié dans Le Canard enchaîné du 2 décembre 2020.
Il n’a pas l’intention de pardonner. Mais il veut comprendre. Et, pour lui, comprendre n’est pas pardonner (comme le prétendent d’autres). Les terroristes sous le feu desquels il s’est trouvé au Bataclan, ce soir du vendredi 13 novembre 2015, il n’a « jamais ressenti que du mépris, pas de la haine » envers eux. Ce qui ne l’empêche pas de vouloir saisir les raisons qui les ont conduits à lui tirer dessus, à tuer son ami Vincent et tant d’autres.
Historien, Christophe Naudin enseigne dans un collège du Val-de-Marne. Il a travaillé sur l’Islam médiéval et sur les usages politiques de l’Histoire. Engagé à la gauche de la gauche, longtemps lecteur de Charlie, il essaie de penser ce qu’il lui est arrivé. Ce qu’il raconte ici, ce n’est pas la soirée du Bataclan, dont il ne dit que des bribes. Il livre les trois années du journal qu’il a commencé à tenir trois semaines après le massacre.
Ses réflexions, ses doutes, sa reconstruction. Ses élèves, qui le soutiennent avec « beaucoup de pudeur », ses collègues, sa psy, la compagne qu’il a rencontrée depuis. Son pouilly-fumé, un concert d’Iggy Pop, ses insomnies. L’actualité qui vient le percuter (le massacre d’Orlando, Saint-Étienne-du-Rouvray), la vie quotidienne et « l’impression diffuse que quelque chose peut arriver et briser tout ça ». Les commémorations qui font tout remonter à la mémoire, les autres rescapés avec lesquels il échange, l’importance de ces rencontres, du programme Remember, qui a pour but de collecter tous les témoignages des victimes, sa conviction qu’ils constitueront « des sources indispensables pour comprendre et expliquer cette période, dans le futur ».
Et sa volonté de comprendre. Son effarement de voir s’affronter dans les médias « des camps caricaturaux » enchaînant de pseudo-analyses sur le terrorisme. D’un côté les « islamitophiles », terme qu’il préfère à celui « d’islamo-gauchistes », utilisé par les islamophobes ; de l’autre ces derniers : trop simpliste pour être honnête. S’il tient à « ne pas écarter les raisons sociales, psychologiques et surtout politiques qui motivent plus ou moins les terroristes », il ne supporte plus ceux qui s’échinent à leur trouver de bonnes excuses : « Quand je lis que ces derniers ont “mis des mots jihadistes sur une violence sociale”, encore aujourd’hui mon sentiment balance entre exaspération, pitié et rire nerveux. » en homme libre et intègre, il dit, vivement, abruptement parfois, sa, ses vérités.
Dans sa très éclairante postface (à lire de préférence avant !), il rappelle en passant la « menace toujours latente » du terrorisme sur les établissements scolaires. Ce livre, nécessaire, est arrivé dans les bacs des librairies quelques jours après l’assassinat de Samuel Paty.
Jean-Luc Porquet