Le blog des éditions Libertalia

Trop jeunes pour mourir, dans Réfractions

lundi 7 septembre 2015 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Trop jeunes pour mourir dans Réfractions, numéro 34.

Fruit de huit années de recherches à travers les rapports policiers, la presse, les mémoires de militants ou l’historiographie, cet ouvrage étudie le mouvement ouvrier et révolutionnaire français de 1909 à 1914. Une chronique fouillée, vivante et bien faite, ni la syndicalisation féminine ni l’antisémitisme ne sont oubliés.
« Les faits parlent d’eux-mêmes », annonce l’auteur. Pas un livre à thèse donc. Mais une histoire qui dit pourtant les prémices d’une subordination au pouvoir politique d’un syndicalisme qui, avant de s’abandonner à l’Union sacrée, se recentre face à la montée en guerre, au parlementarisme socialiste et à la structuration anarchiste. L’évolution de Gustave Hervé, le fondateur en 1906 de La Guerre sociale qui constitue pour l’anarchisme « une caisse de résonance d’une puissance sans pareille » est à cet égard caricaturale.
À partir de 1911, Hervé prône le militarisme révolutionnaire puis le lien parti-syndicat et le réformisme patriotique. Unis en 1910 dans une grande campagne abstentionniste, libertaires et hervéistes se divisent. Les premiers rejetant le Parti révolutionnaire forment la Fédération révolutionnaire communiste puis la Fédération communiste anarchiste (FCA) qui répudie l’individualisme et l’illégalisme. L’élan syndicaliste révolutionnaire s’épuise. La FCA préfigure en quelque sorte « la pensée anarcho-syndicaliste de l’entre-deux-guerres » et veut impulser un élan libertaire à la CGT car « les socialistes eux n’ont pas renoncé à domestiquer le mouvement ouvrier. ». Certains anarchistes sont attachés à l’unité ouvrière, d’autres font prévaloir leurs idées. Attaques contre le modérantisme, le fonctionnarisme, la « réduction pragmatique » de l’action directe au corporatisme : la CGT en crise doit retrouver son idéal.
En 1910, elle s’oppose aux socialistes qui soutiennent une loi sur les retraites par capitalisation. En 1912, des leaders confédéraux écrivent une lettre ouverte à Jaurès : « Un parti comme le vôtre n’a sa raison d’être que s’il gravite autour de l’État ; un mouvement comme le nôtre ne se justifie que s’il agit au sein même du prolétariat, dressé contre l’État. » Mais à l’été 1913, la CGT entame une rectification de tir et se démarque des anarchistes. Les élections de 1914 marquent une poussée du PS. Le bellicisme provoque un rapprochement de la CGT avec les socialistes aux dépens des libertaires et un brouillage de l’antimilitarisme de l’organisation. Celui-ci a pourtant été extrêmement actif, du Nouveau Manuel du soldat (1902) aux multiples actions antimilitaristes. Grâce notamment au Sou du soldat, les déserteurs et insoumis sont 80 000 en 1911. Sous la pression des modérés, la CGT adopte en 1908 une position alambiquée. Un spontanéisme tactique qui sera déterminant. En cas de guerre, la confédération risquant la décapitation n’appellera pas à la grève générale révolutionnaire : la responsabilité en incombera aux travailleurs eux-mêmes.
La FCA vivement réprimée déploie une intense campagne préconisant le sabotage de la mobilisation et l’insurrection. Les tentatives de la CGT pour agir avec un syndicalisme allemand soumis à la social-démocratie (SPD) posent aussi de façon cuisante la question des rapports du mouvement ouvrier au politique. La confédération allemande conditionne toute action à une entente avec le PS et le SPD. La CGT oscille entre conciliation avec le parlementarisme (1911), autonomie (1912) et refus de participer à un congrès international syndicaliste révolutionnaire (1913).
Le primat du politique sur le social, c’est surtout un mouvement ouvrier qui évolue dans une atmosphère patriotique « saturée d’agressivité guerrière » alimentée par la grande presse, la pression des nationalistes et une accentuation du militarisme inscrite dans le quotidien même : parades militaires, extension du service de deux à trois ans. Contre cette dernière mesure, les casernes se rebellent en mai 1913. La dissolution de la CGT jugée responsable est évoquée. La répression massive sévit dans 88 villes. Le carnet B tenu par l’État recense plus de 15 000 militants antimilitaristes. L’armée prépare deux camps de concentration à leur intention. La CGT choisit alors la prudence réformiste.
À l’approche de la guerre, la logique étatique neutralise une CGT intoxiquée et intimidée qui pense via le PS que l’État œuvre à la paix et croit à une vaste rafle basée sur le carnet B. La position sur la grève générale est rappelée puis n’est plus évoquée par les leaders. Des manifestations pacifistes importantes se déroulent mais les socialistes dissuadent la CGT d’accélérer le mouvement. Jaurès assassiné, les dirigeants craignent un massacre d’antimilitaristes, se soumettent totalement au PS et ne tentent rien. Le gouvernement reconnaissant n’applique pas le carnet B. La FCA est dispersée mais nombre d’anarchistes prendront part à des actions pacifistes y compris des individualistes.

Alexis Bonnet