Le blog des éditions Libertalia

Les Rois du rock : une sortie en musique !

vendredi 3 mai 2013 :: Permalien

Il y avait beaucoup de monde jeudi 2 mai au soir, sur les pentes de Ménilmontant, pour fêter la sortie officielle des Rois du rock. Thierry « Cochran » Pelletier a signé 119 livres puis a pris le micro aux côtés de ses vieux compagnons des Moonshiners.

Photo Yann Levy

On vous attend tous le dimanche 2 juin à 18 heures au CICP (21 ter rue Voltaire, Paris 11e), afin de fêter une nouvelle fois la parution de ce livre, mais également celle du disque Les Rois du rock, compilation des groupes eighties. Avec, au programme, d’ores et déjà confirmés : les Moonshiners, Fantazio, les Daltons.

Un détail inutile ?

vendredi 26 avril 2013 :: Permalien

Un détail inutile ? Le dossier des peaux tannées, 1794
Jean-Clément Martin
Vendémiaire, 2013, 154 pages, 16 €

Outre le fait d’avoir été guillotineuse, la Révolution fut-elle « tanneuse » ? Les membres du Comité de salut public ont-ils porté des culottes de peau humaine lors de la fête de l’Être suprême ? Une tannerie humaine secrète a-t-elle été mise en place par la Terreur au château de Meudon ? L’écorchement des Vendéens relevait-il d’une pratique encouragée par les autorités ? Autant de questions sensibles car aptes à renforcer la « légende noire » de la Révolution. Ce livre stimulant a un horizon politique affirmé et constitue un clair exemple de méthode.

Jean-Clément Martin commence par étudier la construction des rumeurs, nées lors des luttes de pouvoir de Thermidor puis perpétuées au xixe siècle sous la plume de quelques historiens contre-révolutionnaires. Il s’intéresse ensuite aux faits eux-mêmes. Oui, quelques peaux humaines ont été exceptionnellement tannées par des révolutionnaires, et non par la Révolution elle-même. Refusant l’effet de sidération que pourrait produire ce détail d’une horreur gothique, JC Martin restitue ses pratiques dans une longue durée anthropologique (ce passage est un peu trop rapidement mené, seule critique à ce livre) puis dans la situation précise de la fin du xviiie siècle. Or, si l’écorchement des « corps vils » est une pratique sociale (scientifique, judiciaire, guerrière) prégnante à la veille de la Révolution, elle devient marginale au xixe siècle. La période révolutionnaire est celle d’une profonde mutation des sensibilités. Les atteintes inutiles aux corps choquent de plus en plus, et la seule vue du sang commence à poser problème. En d’autres termes, les très rares révolutionnaires tanneurs sont presque anachroniques aux moments de leurs actes ; ne sont en aucun cas soutenus par des autorités qui, évidemment, n’ont pas créé des tanneries secrètes de peaux humaines ; et opèrent toujours dans une situation précise : la guerre à outrance, qui favorise ces exactions.

Il n’est donc pas question ici de nier ces actes isolés – ce qui reviendrait à substituer une « légende dorée » à la « légende noire » – mais de les rendre intelligibles en les rendant à leurs temps successifs et emboîtés, en articulant la durée intense des épreuves de la Première République, celle des guerres révolutionnaires et impériales, celle aussi de la violence répressive des états modernes à partir du xviie siècle dont hérite la Révolution ; celle enfin de la construction des mémoires au xixe siècle. Ainsi inscrite dans la longue durée des atteintes mutilantes aux corps, la Révolution n’apparaît pas plus violente que son temps. Et pourtant, si ses exactions sont ressassées, celles de Napoléon sont presque effacées des mémoires. Ne reste que la gloire d’une France conquérante, tableau nationaliste que vient à peine troubler la force des images de Goya.

Un livre à conseiller à ceux qui veulent mieux comprendre les liens entre histoire et mémoire, mieux saisir la Révolution, mieux répliquer aussi aux images d’Épinal droitières. C’est ce qu’exprime la remarquable conclusion qui, à partir d’un détail pas si inutile que ça, offre une belle mise en perspective de la période révolutionnaire et impériale : « Napoléon n’était à tout prendre qu’un Alexandre, catalysant des énergies à son profit. Les révolutionnaires ont, sans le vouloir, libéré des forces qui ont échappé à tout contrôle, remodelé ce qui était déjà là pour projeter des structures inattendues. […] La Révolution, c’est ce moment où l’humanité s’est dépouillée. »

Éric Fournier

Les Bas-fonds. Histoire d’un imaginaire

lundi 18 mars 2013 :: Permalien

Les Bas-fonds. Histoire d’un imaginaire
Dominique Kalifa
Seuil, 2013

Ce qui marque d’emblée à la lecture du dernier livre de Dominique Kalifa lorsqu’il entraîne le lecteur dans les bas-fonds du XIXe siècle, c’est la clarté et la fluidité du style et de la trame. Cet historien reconnu, dont les séminaires et les articles savants peuvent être très pointus, montre ici sa capacité à rendre accessible à un plus large public possible la synthèse d’un vaste chantier universitaire de plusieurs années. Au-delà de cette écriture exemplaire qui pourrait justifier à elle seule, à mon sens, la recension de cet ouvrage ici, rayonne un bel objet : ces fameux bas-fonds, véritable enfer social où chutent les rebuts de l’humanité industrielle ; décors édifiants de tous les récits de crimes et d’émeutes, où se mêlent invariablement la misère, le crime et le vice. Ces images évocatrices ont longtemps semblé aller de soi, tant la misère urbaine était une réalité indubitable. Mais Dominique Kalifa déconstruit avec force cette évidence et débusque les mécanismes qui président à la construction d’un imaginaire social.

Dans toute l’Europe, les bas-fonds français, mais aussi l’underworld anglais ou son pendant allemand l’unterwelt, surgissent sous la plume conjuguées de romanciers, de policiers ou d’enquêteurs sociaux. Il en résulte un fort effet de réel et personne ne remet en cause l’existence effective de ce qui n’est, rappelle avec force ce livre, qu’un imaginaire social historiquement situé dont on peut suivre la création, l’expansion et la fin. La diffusion de ce thème est telle qu’il influence jusqu’aux regards de Marx et Engels lorsqu’ils croient déceler l’existence d’un lumpenproletariat, dont on sait aujourd’hui qu’il est tout aussi imaginaire que les bas-fonds. Une autre réussite du livre montre comment cet enfer urbain entre en résonance avec les représentations coloniales. En Angleterre, un récit d’exploration du « dark continent » peut ainsi emmener le lecteur indifféremment à Whitechapel ou aux sources du Nil. En France, les « Mohicans de Paris », effraient les lecteurs.

Cet imaginaire qui ne reflète pas – ou si peu – le monde social peut cependant finir par l’influencer, à travers les pratiques policières, les politiques urbaines, les œuvres philanthropiques, mais aussi les riches touristes en mal de sensations (telle est à l’origine la « tournée des grands ducs »). Autant d’actes guidés par la volonté de résorber ou de maîtriser les bas-fonds et qui influencent concrètement l’existence des quartiers populaires. En étudiant de façon stimulante comment les représentations et la matérialité sociale interagissent, Dominique Kalifa rappelle qu’un imaginaire n’est pas qu’un fantasme insignifiant mais constitue bien un ressort d’action sur le monde.
Le livre s’achève, peut-être un peu trop rapidement, par la disparition des bas-fonds, terrassés après la Seconde Guerre mondiale par l’État-providence qui rend ces discours anachroniques. Mais la thématique de la « classe dangereuse », des « barbares de l’intérieur » n’a pas entièrement disparu de nos jours, comme l’attestent les productions des « marchands de peur » (voir le livre de Mathieu Rigouste) dont les procédés discursifs empruntent encore à celui des bas-fonds.

Un thème haut en couleurs et politiquement signifiant, une analyse et une écriture limpides. Un livre utile et agréable donc. Que demander de plus ?

Éric Fournier

CQFD, une autre Zone à défendre (ZAD)

lundi 11 février 2013 :: Permalien

Dix ans, toutes ses dents mais plus un rond !
Il lance un appel pour rassembler 100 000 euros….

« Il reste 217 dollars dans les caisses de l’État zimbabwéen », annonçait récemment le site d’informations d’un journal de banquier. Voilà qui nous situe à peu près sur l’échelle globalisée de la fortune : CQFD est aussi riche, à quelques dizaines de dollars près, que le trésor public du Zimbabwe. Les sous qui nous restent ne suffiront même pas à payer l’impression du prochain numéro. Si nous vivions dans un monde raisonnable, les Zimbabwéens se la couleraient douce, les banquiers feraient la manche au feu rouge et CQFD triompherait. Mais nous vivons dans un monde déraisonnable où les flibustiers de la presse libre crèvent la gueule ouverte. CQFD, qui ouvre la sienne depuis dix ans, risque bien cette fois de devoir la fermer, et pour de bon.

En mai 2003, quand nous avons lancé notre premier numéro depuis la tanière marseillaise qui nous sert de vaisseau amiral, nous étions raisonnablement convaincus de ne pas faire de vieux os. Notre idée, c’était de faire le journal qu’on avait envie de lire, un journal sans chefs ni patrons, sans comptes à rendre ni bailleurs à cajoler, un canard d’expression directe pour les insoumis chroniques, les passe-frontières têtus, les aventuriers des minima sociaux, les déserteurs du marché salarial, les artistes de la grève, les bricoleurs de solidarités épiques, les réfractaires à l’ordre des choses. Une équipée collective de débrouillards impécunieux mais gourmands d’utopies, une exploration sociale menée au rire et à la sueur contre les vents dominants. Forcément, un tel journal n’était pas fait pour durer. Dix ans plus tard, pourtant, on est toujours là. Certains ont quitté le navire, d’autres sont montés à bord. On a bravé le mal de mer, le scorbut et les requins. On a tangué, on a morflé, on a tenu bon. On a vu du pays, tissé des réseaux, élaboré un savoir-faire, perfectionné l’art de produire un journal exigeant avec des bouts de ficelle et de belles rencontres. Bref, on y a pris goût. C’est vous dire qu’on n’a pas l’intention de lâcher l’affaire.

Mais, pour que l’aventure continue, on a besoin de vous. Et surtout de vos euros ! Oui, amis lecteurs fidèles ou épisodiques, compagnons d’escale ou camarades au long cours, vous avez bien entendu : le sort de CQFD est suspendu à vos poches, aussi dégarnies ou trouées soient-elles – et, peuchère, elles le sont vraisemblablement autant que les nôtres…

Comment une publication aussi rodée à la mouscaille en arrive-t-elle à la pénible extrémité d’appeler ses lecteurs à la rescousse ? Le cri de détresse pour journal sur la paille va-t-il devenir un genre à part, une discipline enseignée dans les écoles de journalisme, avec ses figures de style et ses trémolos savamment dosés ? Pourquoi la « crise de la presse », cette crise d’affairistes vaniteux et pleurnichards, ébranle-t-elle aussi à des degrés divers la quasi-totalité des journaux non marchands, dits « petits » ou « alternatifs », CQFD parmi tant d’autres ?

Il y a plusieurs explications. La première tient à la démobilisation des lecteurs. Depuis notre campagne d’abonnements de 2008, le nombre de nos abonnés n’a cessé de s’effriter, passant de quatre mille à deux mille en cinq ans. Nos ventes en kiosques ont suivi une pente à peine moins rude, avec deux mille exemplaires écoulés aujourd’hui contre trois mille en 2008. Imputable sans doute aux effets cumulés de la lassitude, des fins de mois longues et difficiles et d’une désaffection générale pour la presse papier, cette dégringolade s’avère d’autant plus funeste pour nous que CQFD – encore heureux ! – ne dispose d’aucune ressource publicitaire, capitalistique ou népotique. À la différence d’une feuille moribonde comme Libération, qui peut toujours se blottir dans le giron moelleux d’un Rothschild, biberonner les subventions publiques (2,9 millions d’euros en 2012 [Source : la Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC). À noter que le quotidien d’extrême droite Présent bénéficie lui aussi de cette manne étatique, avec une subvention de 227 000 euros en 2012.]) ou éditer un sac à pubs en guise de supplément, le mensuel au chien rouge ne peut compter que sur ses lecteurs. Plus précisément : ses lecteurs payants. Car l’audience de CQFD s’étend évidemment bien au-delà de son carré de fidèles solvables, grâce à ses abonnements gratuits pour les détenus et, surtout, à la mise en ligne gracieuse de ses articles sur son site Internet, auprès duquel des foules innombrables viennent avidement s’abreuver chaque mois. Et c’est très bien comme ça. Mais ce serait mieux encore si nos lecteurs sur écran franchissaient le pas jusqu’au kiosque, au bulletin d’abonnement ou à la bibliothèque municipale, au besoin pour exiger haut et fort que CQFD s’y trouve en bonne place, et en plusieurs exemplaires, s’il vous plaît.

La raréfaction des lecteurs « papier » n’a pas qu’une incidence économique. Elle assèche aussi le terreau social dans lequel un journal comme le nôtre puise sa force. C’est parce que ses exemplaires circulent de main en main que CQFD peut multiplier les rencontres stimulantes, obtenir des informations, s’ouvrir des pistes, être là quand ça chauffe, se faire engueuler, trouver de quoi réfléchir, parler, agir, écrire, dessiner, photographier. C’est pour ça qu’on y tient, à notre version papier : pas question de se recroqueviller sur Internet, outil oh combien précieux mais qui dématérialise et finalement dévitalise le rapport d’un journal à sa matière organique. Sans compter que le vacarme des imprimeries et l’odeur du papier, nous, on aime bien.

Seulement le papier coûte cher, de plus en plus cher. L’encre, les rotatives, tous les coûts de fabrication : hors de prix. Et puis, il y a Presstalis. Le géant de la distribution de presse en France, qui taille à grands coups de serpe dans ses effectifs et impose aux kiosquiers des conditions de vente si retorses qu’elles clochardisent littéralement toute une profession. La « crise de la presse » a bon dos. Les ventes s’effondrent, d’accord, mais la faute à qui ? Outre l’indigence de l’immense majorité des publications dont les Unes malodorantes dégueulent au nez du piéton, la stratégie d’étouffement appliquée aux titres à faible tirage rend de moins en moins attractif le détour par le marchand de journaux. Le cas de CQFD est parlant. En vertu d’une politique commerciale consistant à évincer les petits pour donner encore plus de place aux gros, Presstalis « répercute » sur nous une avalanche de frais dont les modes de calcul écœureraient un capo de la mafia new-yorkaise. Il y a deux ans, nos ventes en kiosques nous assuraient une recette astronomique de deux milles euros par mois, de quoi couvrir les frais d’impression du numéro suivant. Aujourd’hui, à volume égal, ces ventes ne nous rapportent plus que six cents euros. Même pour nous, c’est peu. Quand tous les canards indépendants auront été virés du circuit, quand les kiosques auront été remplacés par des boutiques Relay exclusivement dédiées aux programmes télé, aux DVD sous blister, aux cours de la Bourse, au péril islamique, aux régimes minceur et aux éditos de Christophe Barbier, sûr que la presse française aura fait un grand pas vers la « sortie de crise ».

D’autres facteurs concourent à notre débine actuelle. L’affaiblissement temporaire des mobilisations sociales se traduit mécaniquement par une chute des ventes militantes, lesquelles, à d’autres périodes, nous revigoraient en petite monnaie et bons moments. Si on ajoute à cela la suspension des regrettées éditions du Chien rouge et des revenus annexes tirés de la vente de nos livres, la faillite de notre diffuseur en librairies, Court-Circuit (huit mille euros dans la vue), et les coups de mou qui résultent inévitablement d’une pareille série rose, on comprendra que nos coffres sonnent creux.

Pour nous renflouer à un niveau opérationnel, il nous faut réunir cent mille euros (oui, 100 000 euros). Pour relancer la machine, repartir à l’abordage et éditer de nouveaux livres. C’est jouable avec seulement quelques milliers de chèques de cinq, dix, vingt euros... Par ici la monnaie, souquez les euros ! Abonnez-vous si ce n’est déjà fait. Réabonnez-vous si vous hésitez encore. Incitez vos cousins, vos frangines, vos voisins de comptoir et vos compagnons de bordée à faire de même. Nous comptons sur vous. Gros comme une maison que votre élan de solidarité va encore nous saboter notre droit à la paresse pour les dix prochaines années !

 www.cqfd-journal.org

CQFD

La Domination policière. Une violence industrielle

jeudi 7 février 2013 :: Permalien

La Domination policière. Une violence industrielle.
Mathieu Rigouste,
La Fabrique, 2012, 258 pages, 15 €.

Pour rédiger cet ouvrage de synthèse sur la police française, Mathieu Rigouste a eu recours à deux sources principales : les témoignages de terrain, recueillis auprès des « damnés de l’intérieur » (ceux qui subissent l’ordre sécuritaire) et les Mémoires ou autres récits nostalgiques et complaisants rédigés par d’anciens flics. À cette matière première s’ajoutent bien évidemment les recherches entreprises précédemment pour la rédaction de L’Ennemi intérieur (La Découverte, 2009) et Les Marchands de peur (Libertalia, 2011).

Cinq chapitres et 450 notes de bas de pages plus tard, on sort de la lecture particulièrement sonné. En dépit de quelques redites et d’une phraséologie anti-impérialiste trop appuyée, le nouvel opus de Mathieu Rigouste est solide et vaut d’être lu attentivement. Mêlant les registres (sociologie de l’émancipation, géographie critique, philosophie politique, manuel de résistance), cet essai démontre que le capitalisme sécuritaire se porte bien : les populations paupérisées sont de plus en plus ségrégées et reléguées spatialement, humiliées par une police qui pratique « l’enférocement » en s’appuyant de façon croissante sur les brigades anti-criminalité (BAC) qui tuent et mutilent en quasi-impunité. Avec force exemples, l’auteur décrypte la mentalité policière et démontre que les commandos policiers sont d’une grande rentabilité symbolique et financière pour l’État et le marché de la coercition. Il dissipe l’illusion d’une police humaniste : « Alors que la gauche de gouvernement se concentre sur la fabrication de polices d’occupation et sur l’augmentation des effectifs en tant que “service public”, la droite a plutôt tendance à étendre les polices de choc en favorisant le développement des technologies et la productivité policière. » En conclusion, « l’auto-organisation des opprimés face à la domination policière est une question de survie pour les quartiers populaires et leurs habitants ».