Le blog des éditions Libertalia

Carnets d’Iran 4

jeudi 16 juillet 2009 :: Permalien

On l’appelait « la moitié du monde »

Mercredi 15 juillet.
Décrite comme le joyau de l’ancienne Perse, Ispahan compte parmi les plus belles villes d’Islam. Dans mon imaginaire, elle était surtout associée à des lectures de jeunesse, notamment les bandes dessinées Alix et Vasco. Depuis hier, je chemine au milieu des monuments essentiellement bâtis par Shah Abbas Ier – dit « le grand » – qui régna de 1587 à 1629 et fut le plus puissant des souverains de la dynastie safavide (1501-1722). Ce sont les Safavides qui ont donné au chiisme son statut de religion d’État afin de constituer une unité dans la Perse pluriethnique et la distinguer de ses rivaux sunnites : les Ottomans à l’ouest, les Ouzbeks au nord-est et les Moghols à l’est. La mosquée dite de l’Imam, aux proportions monumentales et aux innombrables faïences bleues m’a moins marqué que la mosquée Jameh, la plus grande d’Iran, tout en dénuement et majesté. J’ai longuement flâné dans le bazar, il présente un intérêt quasi anthropologique et il y fait frais. Les activités sont soumises à une hiérarchie. D’abord les joailliers, les orfèvres et les vendeurs de tapis persans, puis les boutiques d’épices, de vêtements, et enfin la boucherie, reléguée aux confins de l’ensemble, car c’est une activité moins noble et passablement malodorante en ces temps de grandes chaleurs. Des allées principales partent des passages qui mènent à des cours carrées, ombragées par la vigne, souvent gratifiées d’une fontaine en leur centre. La comparaison peut sembler étrange, mais j’ai pensé à Venise et aux ballades de Corto Maltese dans la Sérénissime. Ispahan m’a aussi rappelé Damas et Jérusalem (al-Quds), Cordoue à certains égards, mais dans mon cœur, elle est loin de détrôner Istanbul. En dépit de la pollution liée à l’excessif trafic auto-moto, il fait bon se reposer ici. On voit un peu moins de portraits des officiels de l’État, question de centralité certainement, et les affiches de la dernière campagne présidentielle, du tenant du titre notamment, sont toutes arrachées ou maculées. En revanche, il est absolument impossible d’accéder aux sites Internet de l’opposition iranienne en exil (que ce soit les Moudjahidin du peuple ou l’héritier du Shah, Reza Pahlavi), ni même à YouTube ou Dailymotion. Quand je songe aux dizaines de milliers d’opposants abattus de sang-froid par les compagnons de Khomeini au cours des années 80 et 90, ou même à la jeune Française détenue depuis quinze jours pour avoir pris des photos de manifestation, je me dis qu’il vaut mieux être prudent ici…

PS : j’ai une profonde pensée pour mon camarade Joachim Gatti, l’un des coordonnateurs de Feu au centre de rétention, éborgné à coup de Flash-Ball à Montreuil – chez nous – le 8 juillet dernier par la police républicaine de Nicolas Sarkozy.

N.N.