Le blog des éditions Libertalia

Rouge dans la brume

vendredi 18 février 2011 :: Permalien

Rouge dans la brume
Gérard Mordillat. Calmann-Lévy, 440 pages, 21 €.

Rouge dans la brume s’ouvre sur une tempête qui dévaste le nord de la France et annonce un autre saccage : celui de la vie d’un millier d’ouvriers qui resteront sur le carreau à la suite de la fermeture de leur usine. Carvin, un ouvrier de la Méka (Mékamotor), brave la tempête pour rentrer chez lui voir sa femme et sa fille. Il sait que les temps qui viennent vont le séparer de ceux qu’ils aiment. Il est la figure centrale du roman, à l’image de Rudy dans Les Vivants et les Morts ou de Gary dans Notre part des ténèbres. Des ouvriers déterminés, qui décident de ne pas courber l’échine, de relever la tête et d’affronter violemment les patrons en se jetant dans une lutte acharnée. Ils sont ces « meneurs », ces « extrémistes » chers à Mordillat, tels les fantômes d’un mouvement ouvrier révolutionnaire.

Variables d’ajustement. Parmi les ouvriers de la Méka, il y a aussi Weber, secrétaire du CE et délégué CGT, Mlle Poinseau, Corda, Monnier de la CGC, Djuna ou Étienne Rolland de la CFDT. Leur boîte a été rachetée par un fonds spéculatif américain qui a décidé de délocaliser en Serbie pour réduire les frais de production, alors que les bénéfices sont encore au rendez-vous et que l’État a injecté des aides publiques afin de conserver l’activité. Les ouvriers demandent que la boîte rembourse les aides pour financer notamment leur prime de départ. Un doux rêve !

Globalisation. L’idée qui germe très rapidement au cours des AG est celle de la « globalisation » des luttes. C’est le fil conducteur du roman qui mène le lecteur de la Méka à la Zitex, puis à la SCN. Le premier à développer cette idée est Corda : « Dans tous les trucs qui se passent en ce moment, ce qui me frappe, c’est que personne ne semble s’intéresser aux luttes qui ont lieu des fois à peine à quelques kilomètres. Regardez, à Hénin, ça fait au moins quatorze jours que la Zitex est en grève. Est-ce qu’on y est allés pour les soutenir ? […] Tout le monde mène sa bagarre dans son coin sans penser à celle du voisin, comme si ça n’avait aucun lien. » Et lors d’une autre AG, il renchérit : « Dans toutes nos entreprises nous sommes confrontés à la même gestion, à des logiques financières et non industrielles. En réalité, nous faisons tous partie d’une seule et même entreprise, unis par une seule et même colère. Il faut arrêter d’être compréhensifs, d’être polis, il faut que cette colère embrase tout le pays ! »

Déjà-vu. Les livres de Mordillat sont toujours agréables à lire, ils distillent une volonté de changer les choses, d’inverser le rapport de force, mais la littérature est aussi d’une exigence ingrate, elle ne tolère ni répétition ni relâchement, et malheureusement pour celui qui a lu Les Vivants et les Morts, ce roman est une pâle copie. En premier lieu, les structures du récit (y compris dans Notre part des ténèbres) sont les mêmes : les sous-parties sont introduites par un surtitre, un mot-clé comme « Réu », « Restaurant », « Fièvre », « AG », etc. Cette structuration à l’identique participe grandement à l’impression de déjà-vu, outre le sujet évidemment : des ouvriers occupent leur usine pour contrer un plan social, de là s’entremêlent des histoires de cœur (de cul disons-le), des adultères, et on suit la lutte à travers un mec charismatique qui a de la répartie et qui entraîne tous les autres. La seule différence dans ce roman est que le récit est entrecoupé de « paroles de dirigeants », des citations hallucinantes, des perles comme : « En taxant les indemnisations des accidents du travail, au nom de l’équité, nous prenons nos responsabilités de parlementaires »… de l’inénarrable Jean-François Copé. Dans le même ordre d’idée, le rôle du syndicaliste, d’un roman à l’autre, est celui d’un rabat-joie qui ne veut jamais sortir des clous. L’action directe, il n’en a jamais entendu parler… Pour finir, dans ce roman, on retrouve le saccage d’une sous-préfecture, qui nous rappelle évidemment la fière lutte des Conti. En bref, si vous n’avez jamais lu Mordillat, achetez Les Vivants et les Morts (sur papier c’est beaucoup mieux qu’à la télé !), et si vous êtes un habitué, ne vous attendez pas à être surpris… dommage !

Charlotte