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Handi-Gang dans Télérama

mardi 3 mai 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Télérama, le 13 octobre 2017.

Handi-Gang,
quand les handicapés passent à l’action

Un groupe de handicapés vengeurs au service de la lutte pour l’accessibilité ? Une réalité dans les années 1970, remise au goût du jour dans un roman aussi offensif que tendre signé Cara Zina. Qui sait de quoi elle parle.

Écouter Cara Zina lors d’une des présentations de son second roman, Handi-Gang n’est pas une perte de temps. Qu’elle en lise avec malice quelques pages, ou qu’elle explique dans un langage direct et concret ce que signifie être handicapé en France, elle sait accrocher l’attention sur un sujet que beaucoup voient de très loin.

Le point de départ du roman, c’est une expérience personnelle vécue par Cara Zina et son fils handicapé : « Je l’avais emmené dans une colonie de vacances censée être pensée différemment. Mais aucune activité physique n’avait été prévue pour lui et il n’avait pu participer qu’à un atelier de braille. De là, j’avais imaginé une histoire autour d’un super-héros en fauteuil roulant, connaissant le langage des signes, le braille et d’autres savoirs propres aux handicapés. Mais finalement, je trouvais ça peu crédible et je suis partie sur l’idée d’une équipe très diversifiée ».

Le roman raconte l’histoire de Sam, un adolescent en fauteuil roulant, que le manque d’accessibilité à sa ville révolte au point de fédérer d’autres infirmes, sourds, autistes… Ensemble, ils passent à l’action sous le nom de Handi-Gang, en s’attaquant vengeurs à des lieux non accessibles, que ce soit une école ou une salle de concerts.

« J’ai une certaine nostalgie de ma jeunesse, durant laquelle on pensait encore à changer le monde, faire converger les luttes, ce qui ne préoccupe pas tellement les jeunes d’aujourd’hui. Le livre est presque anachronique », assume Cara Zina, amie proche de Virginie Despentes.

Sa fiction s’appuie de fait sur une certaine réalité. Dans les années 1970, un Comité de luttes des handicapés a vu le jour. Parmi ses faits d’armes, la destruction de marches d’escalier empêchant des étudiants en fauteuil d’accéder à la cafétéria d’une université ; ou encore l’occupation d’un centre qui exploitait des infirmes au travail. Certains combats sont toujours d’actualité, comme le confirme Cara Zina : « L’Association des paralysés de France a accepté que les travailleurs handicapés soient engagés par des entreprises de sous-traitance qui les rémunèrent encore moins que le sont les détenus pour leur travail en prison. »

Au fil des années, le Comité de lutte des handicapés hésite sur sa stratégie, tiraillé entre la tentation d’actions plus violentes et l’acceptation d’un combat légal, relayé au sein de partis politiques de gauche. Idem pour l’Handi-Gang, qui se questionne vite sur la légitimité de la violence et ses limites. « À chaque fois que des gens luttent ensemble, ils le font dans une démarche universelle mais chaque individu est toujours influencé par sa propre histoire personnelle », commente l’auteure. « Un passé douloureux peut alimenter une rancœur qui va guider certains choix politiques. »

Handi-Gang c’est aussi l’histoire de Djenna, mère célibataire, attachante et drôle, elle aussi enivrée par un parfum de révolte face à ce que vit son fils. Leurs deux points de vue s’expriment au fil des chapitres. Une certaine gravité plane sur ceux mettant en scène Sam et son équipe, tandis que ceux dédiés à Djenna, ses copines et ses amours contrariés s’avèrent colorés, tendres et émouvants.

« Je voulais toucher les gens peu concernés par l’histoire d’une mère célibataire de 50 ans, décalée, parfois inconsciente, perdue et essayant de trouver sa place. Dans mon premier roman (Heureux les simples d’esprit, journal intime d’une Bridget Jones punk, délurée et révoltée, découvrant l’âge adulte – NDLA), j’avais délibérément usé de l’humour pour faire passer des événements graves. Si celui-ci peut être drôle, ça a été presque inconscient. C’est sans doute ma propre manière de voir et de faire les choses. » Un humour présent également dans le récit des problèmes quotidiens des handicapés.

Zina donne vie à des adolescents aspirants à l’autonomie, l’émancipation et prenant en mains leur vie. « Contrairement à ce que disent les membres du Handi-Gang dans le livre, les pouvoirs publics prennent des mesures. Mais les lois pour l’accessibilité ne sont pas forcément respectées parce que les mentalités ne suivent pas ». Et de citer un cinéma UGC supprimant ses séances sous-titrées pour les sourds, sous le poids des plaintes de nombreux clients, ou des professeurs décrivant les parents d’élèves handicapés comme « chiants et jamais contents ».

« Il y a une tendance à considérer normal que les handicapés et leurs familles n’aient pas accès à autant de choses que les autres. En milieu scolaire, si les parents n’insistent pas, ils n’arrivent pas à scolariser leurs enfants. Beaucoup d’établissements considèrent qu’ils sont déjà bien gentils de les accepter et qu’ils ne vont quand même pas les prendre toute la journée. » De même, la récente décision du gouvernement de supprimer les emplois aidés a des répercussions directes sur l’accès des élèves handicapés à l’école puisque les auxiliaires de vie scolaire, qui les accompagnent durant leurs journées, sont majoritairement des emplois aidés.

En attendant une véritable prise de conscience et des moyens conséquents, la France ne semble pas la moins bien placée. « Elle reste cependant derrière les pays anglo-saxons », nuance Cara Zina. « Ici, les musées sont gratuits pour les handicapés mais une grande partie des espaces ne leur est pas accessibles. Aux États-Unis, ils le sont et les handicapés paient le même prix que les autres… une démarche qui les aide sans doute davantage à se considérer comme des citoyens à part entière. »

Propos recueillis par Philippe Roizès