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Jacques Roux dans L’Humanité

vendredi 12 janvier 2018 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Paru dans L’Humanité du 8 janvier 2018.

Jacques Roux,
une vie subversive à en mourir

La remarquable édition de la biographie du « curé rouge », chef-d’œuvre du grand historien de langue allemande Walter Markov, est un petit événement.

La parution en français et en France du grand livre paru en allemand et en RDA en 1967 est à double titre un grand événement. D’abord parce qu’il donne à connaître en profondeur la pensée et l’action du plus illustre des « curés rouges » qui ont accompagné le mouvement populaire antiaristocratique et antibourgeois au cœur même de la Première République, de 1792 à 1794. Ensuite parce que son auteur, Walter Markov (1909-1993), s’est imposé dans le concert international comme l’un des historiens de langue allemande parmi les plus importants de la seconde moitié du XXe siècle. La biographie de Jacques Roux est un récit qui n’est qu’une partie de l’œuvre que Markov a consacré au « curé rouge »… Pour s’en tenir à ce qui nous est ici offert, quel livre que cette seule biographie ! À l’érudition qui en nourrit le texte s’ajoute une manière de dire les choses qui frise le grand art : on songe à celui de Stefan Zweig, dont Markov admirait l’œuvre. Jamais l’auteur ne pontifie. L’inattendu, l’aléatoire, le cocasse (« La transaction vint en aide à la Providence et mena Jacques Roux à la tonsure »), l’évocation des détails significatifs (« Le pantalon du travailleur s’embourgeoisa en faisant son entrée triomphale dans les salons de l’ancien et du nouveau monde »), les hasards de la vie y ont leur place tout comme l’évocation, non dénuée d’humour, des conditions de vie dans la célèbre prison parisienne de Sainte-Pélagie.

Le sens de son combat et le grand vent qui l’entraîne…
Chaque moment de l’existence et de l’écriture de Jacques Roux s’accompagne de digressions plaisantes ou éclairantes. Mais le sens de son combat et le grand vent qui l’entraîne : avant 1789, dans les petitesses d’un destin ordinaire pris dans le mouvement de contestation de la société d’ordres ; plus tard, après le grand élan initial, quand vient à la surface la « question de classe » et que, simultanément, se joue l’avenir de la Révolution elle-même, Markov traite avec grandeur des moments de crise, montrant les enjeux décisifs, les raisons du divorce et de ses limites entre mouvement populaire et pouvoir. Porté par le soutien qu’il reçoit des compagnons, ouvriers et artisans du centre de Paris, dont les assemblées de la section du quartier des Gravilliers expriment les aspirations profondes, Jacques Roux, l’ancien cordelier, se proclamant lui-même « le nouveau Marat », après l’assassinat du premier, lui que l’histoire a retenu pour avoir été l’auteur du Manifeste des enragés, texte fulgurant de colère et d’ambition émancipatrice, le défroqué porte-parole entouré de ses « jacqueroutins » (magnifique néologisme markovien), se retrouve rapide- ment, et même contre son gré, en opposition au pouvoir révolutionnaire du « bloc » jacobin-robespierriste… Traduit devant le Tribunal révolutionnaire, Jacques Roux se veut martyr de la cause des plus démunis et s’y reprend à deux fois pour se donner la mort, celle du héros qui en appelle à l’avenir, lequel sera radieux ! Suicide héroïque ? Parole de prophète ? Nous sommes ici aux limites de la geste révolutionnaire enclenchée quatre ans plus tôt : en huit chapitres et un épilogue inspiré par la pensée du jeune Marx, Markov excelle à nous dire le drame qui se joue à Paris : chef-d’œuvre !
Avec sa bibliographie et un cédérom joint incluant la plupart des sources, voilà un livre complet qui honore l’édition française et qui rend hommage à l’un des meilleurs historiens dont l’Allemagne est souvent féconde. Mme Merkel devrait ne pas l’oublier.

Claude Mazauric, historien