Le blog des éditions Libertalia

Jacques Roux, le curé rouge, sur Dissidences

vendredi 13 avril 2018 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Jacques Roux, le curé rouge sur Dissidences. Avril 2018.

C’est une œuvre essentielle, une de ces biographies indispensables à une appréhension totale de la Révolution française, que la Société des études robespierristes, associée pour l’occasion aux dynamiques éditions Libertalia, nous propose. Une de ses singularités, et pas la moindre, est d’avoir été écrite par un historien de RDA. Ainsi que Jean-Numa Ducange et Claude Guillon, qui ont élaboré l’appareillage critique et l’aperçu historiographique, l’expliquent en ouverture, la prose pratiquée par Markov est également pour beaucoup dans cette traduction réalisée par Stéphanie Roza [1]. Et il est vrai que la version française restitue bien un style souvent (trop) chargé en références érudites plus ou moins implicites.

Le portrait proposé de l’enragé Jacques Roux [2], élaboré dans les années 1960 à l’aide de nombreuses pièces d’archives, est en tout cas extrêmement détaillé et objectif. Issu d’un milieu plutôt aisé, Jacques Roux s’intégra au clergé par choix de son père, et Walter Markov estime qu’il souffrira de manière croissante, particulièrement en avançant dans la Révolution, de cet engagement professionnel subi. Est-ce lié, mais son caractère est souvent sévère, cassant, sanguin, et peu enclin au compromis. Une affaire de meurtre accidentel lors de son séjour à Angoulême, et dans laquelle il aurait été impliqué, semble aller encore davantage dans ce sens. Au milieu des années 1780, il se retrouva en Saintonge, s’essayant alors à la poésie, non sans susciter certaines moqueries. C’est donc un homme en partie frustré, dans son métier et son expression, qui s’engage au cœur de la Révolution en marche. D’abord, à l’été 1790, par son sermon Le triomphe des braves Parisiens sur les ennemis du bien public, manifestation de soutien d’une Révolution voulue par Dieu [sic] et qui doit encore être consolidée en faveur du petit peuple. Ensuite, peu de temps après ce sermon qui fâcha certains de ceux qui – déjà – tiraient profit d’une Révolution modérée, en partant à l’aventure pour Paris, où battait le cœur des événements.

Il s’y rallie à l’Église constitutionnelle, un sentiment d’accomplissement pour celui dont la vie de clerc fut de plus en plus critique à l’égard de l’Église officielle. Associé à la paroisse de Saint-Nicolas-des-Champs, et au club des Cordeliers, il s’intègre surtout à la section des Gravilliers (située dans le centre de Paris, en un quartier plutôt pauvre, à majorité salariée), se rapprochant du petit peuple au détriment des notables. En 1792, il héberge pendant une semaine un Marat passé un temps dans la clandestinité, ce qui permit aux deux hommes de constater l’importance de leurs divergences et une rivalité rampante. Dans ces mois d’exacerbation de la lutte des classes, Jacques Roux fut poussé à défendre le droit de vivre contre le droit de propriété. Les événements de l’été sont conformes aux idées qu’il défend, et les sans-culottes de sa section le soutiennent totalement. Il approuve également, par réalisme, les massacres de Septembre, mais, contrairement à ce que l’on croit souvent, ne se présente pas aux élections de la Convention, préférant privilégier son rôle d’agitateur. S’en prenant aux aristocraties, qu’elles soient d’ordre ou d’affaires, il appelle à l’interventionnisme de l’État contre les accapareurs, tout en estimant que le pouvoir suprême est celui du peuple, et pas de ses représentants. Élu au conseil général de la Commune de Paris, c’est en tant que représentant de celle-ci qu’il assiste à l’exécution de Louis XVI, qu’il approuve pleinement, mais en ayant un rôle bien plus effacé que ce que veut faire croire sa légende noire.

Walter Markov, dans un récit par en bas des événements révolutionnaires, montre bien que Jacques Roux n’est pas à la tête d’un parti, mais qu’il est porté par les initiatives des masses elles-mêmes qui se choisissent des porte-paroles, ainsi pour les émeutes de février 1793 [3]. « C’est ainsi qu’on peut les considérer : des garde-fous pour maintenir la Montagne à gauche et empêcher les retours en arrière (…) » (p. 262). L’essence de sa pensée, à ce moment clef de la Révolution, on la trouve dans le Discours sur les causes des malheurs de la République française, texte resté inédit, et écrit vers mai-juin 1793, véritable matrice du plus célèbre Manifeste des Enragés. Walter Markov en propose une analyse détaillée, y repérant l’émergence d’une conscience anticapitaliste, une colère dirigée contre les riches et l’enrichissement individuel, tout en prenant en considération les antagonismes proprement sociaux. L’apogée de son expression idéologique, la lecture du dit Manifeste devant la Convention, signe également le début de sa fin. Un large front contre lui et les autres figures des Enragés se coagule, Montagne, Commune, Cordeliers, etc… face au danger de sa « république populaire » (sic Walter Markov). Même sa propre section est retournée contre lui. Après la mort de Marat, Jacques Roux publie un journal se présentant comme l’héritier de l’ami du peuple, et s’efforce de prouver son soutien à la Montagne, qui accède finalement à une partie de ses demandes.

Cela n’empêche pas les tensions avec la Convention de s’exacerber, conduisant à une arrestation en août 1793, avant l’incarcération définitive en septembre, dans la foulée de nouvelles manifestations alimentaires. Walter Markov y voit la nécessité, pour une Assemblée nationale ayant fait le choix de s’allier au mouvement populaire, d’en écarter les indomptables leaders présumés. Jacques Roux poursuivra un temps, bien qu’emprisonné, la publication de son journal, radicalisant sa critique du pouvoir et jugeant également la politique de la Terreur mise en place, mais d’en haut, excessive, avant d’échapper à la guillotine en se suicidant. « Mais en apprenant aux damnés de la Terre à brandir leur propre drapeau, les Enragés s’inscrivirent dans le livre d’or de l’histoire universelle. Ils mirent à l’ordre du jour la question de la place des travailleurs dans la société. […] Leur contribution historique consista à porter à son paroxysme la conception plébéienne de l’égalité, à en tirer les conséquences ultimes. Cela les mena dans une impasse et ils furent éliminés. Mais leur échec était nécessaire pour ouvrir la voie à une alternative non égalitaire à la loi du profit : celle de Babeuf le communautaire et finalement du slogan « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » » (p. 457-458).

Dans ce récit fidèle à une lecture marxiste classique, celle de la Révolution française comme révolution bourgeoise, étape qui ne peut être brûlée, Walter Markov évoque parfois l’interprétation d’un Piotr Kropotkine [4]. Richement appareillée, la biographie proprement dite est complétée par une postface de Matthias Middell, qui revient sur l’itinéraire de Walter Markov et sur son œuvre. Surtout, un CD Rom a été adjoint au livre, permettant d’avoir accès à l’ensemble des travaux de l’historien allemand sous forme de fichiers PDF : l’ensemble des textes de et sur Jacques Roux, base de données de plus de 700 pages, ainsi que plusieurs articles, de l’historien allemand ou d’autres auteurs, parmi lesquels Claude Guillon, qui signe un travail intéressant sur l’iconographie de Jacques Roux (sanguinaire et repoussant dans le récent jeu Assassin’s Creed). On tient bien là l’œuvre de référence sur Jacques Roux, et une contribution d’importance à l’histoire de son courant.

Jean-Guillaume Lanuque

[1Stéphanie Roza, ainsi que Jean-Numa Ducange, sont membres de la rédaction de Dissidences.

[2Sur Jacques Roux, voir notre recension d’une autre biographie, plus sommaire, celle de Dominic Rousseau : http://dissidences.hypotheses.org/8570

[3« Ce ne sont pas les Enragés qui ont fait le 25 février, mais plutôt le 25 février qui a fait les Enragés. » (p. 245).

[4Voir la recension de son maître livre dans notre revue électronique : https://revuesshs.u-bourgogne.fr/dissidences/document.php?id=1822