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La Semaine sanglante dans Le Monde

lundi 12 avril 2021 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Entretien publié dans Le Monde du 18 mars 2021.

Michèle Audin :
« On a trouvé des ossements de communards dans le sous-sol de Paris jusque dans les années 1920 »

Dans La Semaine sanglante. Mai 1871, légendes et comptes, la mathématicienne et écrivaine entreprend de réévaluer le nombre des victimes de l’écrasement de la Commune.

La mathématicienne et écrivaine Michèle Audin a publié cinq livres sur la Commune, dont deux fictions aux éditions Gallimard, Comme une rivière bleue (2017) et Josée Meunier. 19, rue des juifs, qui vient de paraître (L’Arbalète, 208 p., 17 €, numérique 12 €). Dans La Semaine sanglante, elle procède à un examen critique des travaux de comptage du nombre de victimes de la semaine du 21 au 28 mai 1871, qui a vu la Commune violemment réprimée par le pouvoir versaillais, et en propose une nouvelle estimation.

Comment en êtes-vous arrivée à écrire sur la « semaine sanglante » ?
Pour les personnes de ma génération qui, comme moi, ont été élevées dans une famille communiste, la Commune de Paris fait partie du patrimoine génétique. J’avais 17 ans la première fois que je me suis rendue au mur des Fédérés [lieu de commémoration dans le cimetière du Père-Lachaise, à Paris]. C’était à l’occasion du centenaire, en 1971. Ça m’a marquée. Puis, à partir de 2014, je me suis beaucoup documentée pour écrire mes deux romans sur la Commune.
Or, plus je m’y intéressais, plus je me rendais compte que, si nous savons que ces quelques semaines d’espoir se sont terminées par un massacre, personne ne sait exactement ce qui s’est passé ni combien de personnes ont été tuées, notamment lors de la Semaine sanglante. Le moindre des respects qu’on leur doit, c’est de ne pas les laisser disparaître encore une fois. J’ai repris le décompte des morts, de façon sérieuse, en faisant état de toutes les sources que j’ai pu trouver.

Pourquoi ce décompte reste-t-il un sujet polémique ?
Dès le 2 avril 1871, le gouvernement installé à Versailles mène une guerre meurtrière contre cette révolution. Pendant la Semaine sanglante, chacune de ses avancées dans Paris est suivie de massacres dans les quartiers conquis. Les vainqueurs se sont empressés d’écrire l’histoire de l’événement, ce qu’ont fait aussi quelques-uns des vaincus. Mais l’état de certaines sources en dit long sur les édulcorations et les falsifications effectuées dès juin 1871 par le pouvoir.
Une utilisation rigoureuse de ces sources montre que le nombre des inconnus inhumés dans les cimetières parisiens n’est pas de 6 500, comme l’a dit, vers 1879, l’historien « versaillais » Maxime Du Camp [1822-1894], mais d’au moins 10 000. Elle confirme aussi que de nombreux corps ne sont jamais arrivés dans ces cimetières, comme l’avait montré le journaliste radical Camille Pelletan [1846-1915], et que des évaluations plus hautes, autour de 15 000 ou 20 000 morts, ne sont pas exagérées.

Comment êtes-vous arrivée à ces nouvelles estimations ?
Je me suis essentiellement appuyée sur les registres d’inhumation des cimetières de Paris et de sa banlieue. Ils sont assez complets pour la période, non moins meurtrière, du 2 avril au 20 mai. Ce n’est pas le cas pour ce qui est de la Semaine sanglante, pendant laquelle les cimetières voient arriver des cadavres ramassés dans les rues par cinquantaines. Dans certains cimetières, on a un peu paniqué, et on a attendu quinze jours avant d’inscrire les inhumations. Dans d’autres, le registre est relativement bien tenu, comme à Montparnasse.
Certains historiens se sont arrêtés de compter le 30 mai. Mais si l’on prend le premier registre de cimetière venu, Montmartre, par exemple, on remarque que 492 corps d’inconnus sont arrivés le 31 mai. Pour compter les morts de la Semaine sanglante, il faut donc examiner tous les documents sur des inconnus enterrés dans les cimetières entre le 22 mai et le 22 juin. Or certains de ces papiers n’avaient jamais été consultés.

Que vous ont-ils appris ?
Par exemple, que le nombre de morts communiqué par le directeur des cimetières à Maxime Du Camp a été minimisé. Cette même historiographie a longtemps soutenu que de nombreux corps enterrés en dehors des cimetières, notamment dans des squares ou des chantiers, avaient été exhumés pour être finalement placés dans les cimetières. Ce n’était pas vrai. On a trouvé des ossements de communards dans le sous-sol de Paris jusque dans les années 1920, en particulier lorsqu’on a creusé les tunnels du métro. Ceux-là comme bien d’autres n’ont pas été comptés. De sorte qu’il est probable qu’on ne saura jamais exactement combien de personnes ont été tuées pendant la Semaine sanglante.

Propos recueillis par Antoine Flandrin