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Paris en armes (revue L’Histoire)

mardi 15 juillet 2014 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Chronique de Paris, Bivouac des révolutions (Robert Tombs), publiée dans la revue L’Histoire, juin 2014.

Paris en armes

Robert Tombs livre une approche au ras du sol de la Commune, conduisant le lecteur au plus près des individus, au cœur de chaque pâté de maisons.

Marx y voyait un « sphinx qui met l’entendement à rude épreuve ». Engels en a fait la première dictature du prolétariat. Les usages de la mémoire de la Commune sont plus nombreux encore, de la gauche communiste ou socialiste à (plus rarement) la droite nationaliste. Monstre historique et quasi mythologique, la Commune a déjà donné lieu à de nombreuses synthèses de grande qualité, parmi lesquelles celle de Jacques Rougerie (Paris libre, 1871, Seuil, 1971, rééd. « Points », 2004), synthèses qui ont ramené la dernière expérience révolutionnaire française à son histoire et à son irritante étrangeté. Dans cette lignée, l’ouvrage de Robert Tombs, professeur au Saint John’s College de l’université de Cambridge, lui aussi, fera date.

Ce livre, publié en 1999 et dont les éditions Libertalia proposent à présent une traduction actualisée à partir des travaux historiens publiés plus récents, nous offre en effet une vision renouvelée de l’épisode. Kaléidoscopique, pourrait-on dire, abordant la vie politique bien sûr, mais également économique et culturelle, depuis le rôle des femmes qui prennent la parole et entendent réorganiser le travail jusqu’à l’organisation de la vie quotidienne, en passant par la définition du « Peuple », les suspicions policières ou la dimension festive de la Commune, moment carnavalesque où le monde se trouve bouleversé et où les statuts sociaux s’inversent.

L’approche anthropologique et compréhensive de Robert Tombs conduit le lecteur au plus près des individus, des solidarités de voisinages, au cœur des pâtés de maisons. Grâce à une écriture précise et concrète, porteuse d’un art de la distance interprétative (et très bien rendue par la traduction), il restitue avec brio l’atmosphère particulière, parfois intense, parfois triviale, d’un Paris tout juste bouleversé par l’haussmannisation, que ses habitants ont alors défendu.

Mais comment, plus largement, comprendre « l’événement » de la Commune ? C’est là une des grandes originalités de l’étude de Robert Tombs. En même temps que l’auteur resitue celle-ci dans la trame des épisodes révolutionnaires du XIXe siècle, il insiste sur sa contingence, sur la grande part d’improvisation qui l’accompagna. La guerre et le siège de Paris s’avèrent bien essentiels, pour une expérience qui semble en outre n’avoir jamais pu se stabiliser, et être restée comme en suspens.

La population, en armes, revit de manière décalée la figure du citoyen combattant. D’excellentes pages sont consacrées à la garde nationale, armée populaire mais aussi espace de vie politique et urbain, marquée par ses spécificités très locales (plus mesurée dans le 2e arrondissement, plus engagée dans les quartiers ouvriers…).

Dans cette veine, Robert Tombs révise le bilan de la Semaine sanglante. On admettait jusqu’alors que la féroce répression versaillaise avait fait environ 30 000 victimes. À l’issue d’un patient décompte, l’auteur ramène prudemment ce chiffre à 7 000 environ. Cela n’enlève rien à l’horreur de l’épisode, au contraire : comme le démontre Robert Tombs, loin d’être un moment de violence incontrôlée, la Semaine sanglante, ici réinsérée dans la longue durée des violences révolutionnaires et répressives, a été un massacre d’État, méticuleusement planifié. L’interprétation et les pistes sont ainsi rouvertes, comme le rappelle la conclusion. Paris, Bivouac des révolutions est donc un important livre sur la Commune, mais aussi un important livre sur l’histoire de France au xixe siècle, et plus largement une leçon de méthode sur le traitement de l’événement et de l’incertitude des situations révolutionnaires en histoire.

Quentin Deluermoz