Le blog des éditions Libertalia

Trop jeunes pour mourir, sur le site d’À contretemps

lundi 7 septembre 2015 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Trop jeunes pour mourir sur le site d’À contretemps (juin 2015).

« Derniers feux avant l’agonie »

Quand l’historien tisonne le chaudron social, celui où se configurèrent les rêves de lendemains qui pouvaient chanter, ses braises se muent souvent en cendres. C’est que la discipline qu’il pratique, parfois avec sérieux, et l’objectivité qu’il professe, toujours avec naïveté, demeurent rétives à saisir la part d’imaginaire combattant qui nourrit, par exemple, au début du XXe siècle et juste avant la Grande Boucherie, les feux d’une ancienne rage prolétarienne. On y voit généralement le prix à payer du savoir académique : il informe, mais il assèche. 

Rien de tel avec ce livre – dont l’auteur n’est pas du sérail universitaire – qui chronique, au plus près des événements et des passions militantes qu’elle leva, une période historique mal connue, celle des cinq années qui préludèrent à l’effondrement de 1914. On dira même que Trop jeunes pour mourir, fruit de plusieurs années de recherche, constitue, du point de vue de sa construction, par la documentation réunie et par ses qualités évidentes d’écriture, un travail assez remarquable. C’est à L’Insomniaque et à Libertalia que l’on doit cette coédition soignée et richement illustrée d’une somme qui méritait bien qu’on conjuguât ses efforts pour lui donner forme.

Pour l’anarchisme ouvrier, l’année 1909 marque la fin d’une époque, celle des temps héroïques d’une CGT syndicaliste révolutionnaire à laquelle il avait beaucoup donné. C’est sur cette date que s’ouvre Trop jeunes pour mourir, et plus précisément sur le 24 février, jour de l’élection, par une voix de différence, du réformiste Louis Niel, représentant du Livre, au poste de secrétaire général de la confédération. Explosive est, du côté des révolutionnaires (syndicalistes et libertaires), l’ambiance qui règne à La Grange-aux-Belles, siège de l’organisation syndicale. Après Villeneuve-Saint-Georges, en août dernier, et l’arrestation de Victor Griffuelhes, Émile Pouget et Georges Yvetot, la conquête de la direction de la CGT par « l’arriviste » Niel sonne comme un coup de canon. Célébrée par la grande presse du lendemain comme signant le triomphe d’un « syndicalisme de la raison », la victoire de Niel sera pourtant de courte durée : en mai, l’impétrant, accablé, démissionnera de son poste, qui reviendra, en juillet, à Léon Jouhaux, alors proche des syndicalistes révolutionnaires.
Le vrai talent de l’auteur de Trop jeunes pour mourir réside dans sa capacité à nous restituer par le menu ce qui fit la particularité d’une époque où l’anarchisme social irradiait, et assez largement, en dehors de ses propres murs. Et plus encore de nous faire participer, à travers un récit très vivant de leurs affrontements, aux multiples débats qui agitaient alors les deux principales fratries libertaires de la CGT, à savoir les « syndicalistes révolutionnaires », d’une part, et les « anarchistes-syndicalistes », de l’autre. On pourrait, bien sûr, contester cette classification un peu artificielle établie par Davranche qui recoupe, de fait – sur un mode inversé, mais tout aussi subjectif – la distinction opérée, en d’autres temps, par Jacques Julliard entre « politiques » et « ultras ». Julliard préférait, à l’évidence, comme Maitron, les premiers aux seconds. Davranche, lui, penche nettement du côté de Broutchoux plutôt que de Monatte. Chacun ses choix, à condition que ceux-ci ne nuisent pas à la compréhension générale d’une complexe dialectique interne souvent rétive à la manie classificatrice des historiens en tout genre. 

De fait, les « syndicalistes révolutionnaires » de la CGT se situaient dans une dynamique de dépassement de l’anarchisme – dont ils avaient éprouvé, pour nombre d’entre eux et au sens propre, les limites sectaires. À leurs yeux, le syndicalisme incarnait autre chose, l’expression même d’une autonomie ouvrière dont la construction – patiente – supposait, comme l’indique justement Davranche, de « faire prévaloir l’unité ouvrière sur ses propres références partisanes et même idéologiques ». C’est cette conviction qui les portait et, avec elle, l’idée que la CGT était la maison commune des exploités. Ils se percevaient comme minorité agissante capable de faire progresser, par son exemple et sa ténacité, la « conscience du malheur » de leur classe et son niveau d’implication dans la lutte pour son émancipation. Ce qui supposait de ne pas agir comme avant-garde d’une masse qui devait être guidée et ce qui explique sa méfiance du révolutionnarisme discursif. Le pragmatisme des « syndicalistes-révolutionnaires » relevait, en effet, d’une volonté assumée de rompre avec les tics anarchistes et blanquistes d’une radicalité sans lendemain, car incapable de fédérer autre chose que des défaites annoncées. De là à les ranger, comme a tendance à le faire Davranche, dans la catégorie des has been « révolutionnaires » d’une ancienne CGT désormais vouée à se perdre, avec leur complicité, dans les sables mouvants du « recentrage », il y a un pas que la raison historienne, si elle existe, aurait dû lui éviter de franchir. Nous y reviendrons.

L’époque choisie (1909-1914) peut faciliter, il est vrai, une lecture de ce type car, indéniablement, la CGT que scrute Davranche n’est plus celle qu’elle était entre 1902 et 1908. Elle a perdu de sa superbe, stagne, subit des revers et doute de sa propre force. Il n’en demeure pas moins que c’est autour d’elle que gravitent, hormis les « individualistes », les anarchistes de toutes tendances. Combatifs, teigneux même, ceux-ci apprécient davantage la prose exaltée de La Guerre sociale, dirigée depuis 1907 par l’inénarrable Gustave Hervé et son bras gauche Miguel Almeyreda, que celle, un peu fourre-tout, du Libertaire ou, trop rigide, des Temps nouveaux. En clair, les « compagnons » s’abandonnent plus facilement aux lyriques illusions que véhicule l’hebdomadaire de « concentration révolutionnaire » d’Hervé, celui qui vitupère, qui menace, qui apologise le Browning à longueur de pages. Organe d’expression d’un faux socialisme insurrectionnel, La Guerre sociale livre plutôt à ses lecteurs une ratatouille dont le principal ingrédient est la démagogie, mais elle est goûteuse (pour les adeptes du Grand Soir) et juteuse (pour ses propriétaires). C’est ainsi que ses ventes tournent autour des 50 000 quand Le Libertaire plafonne, aux mêmes dates, à 5 000 exemplaires. 

Contrairement à la CGT qui, elle, se méfie naturellement des « braillards » et des « donneurs de leçons » du genre d’Hervé, les anarchistes stricto sensu mettent assez longtemps à comprendre que le pape du « quartier de l’encre » roule, en réalité et à sa manière, pour le Parti socialiste « urnifié », mais surtout pour sa propre cause. Il faudra qu’il en fasse beaucoup dans la dérive droitière pour que se dissipent enfin les sympathies que le Gustave s’était attirées chez les anarchistes. Entre-temps, nombreux sont ceux qui s’enthousiasment pour la Fédération révolutionnaire, regroupement créé en 1909 par les « hervéistes », qui accouche en octobre 1910, en pleine grève du rail, d’une Fédération révolutionnaire communiste (FCR) censée fédérer l’extrême gauche de l’époque, mais dont le principal effet – bienvenu – sera de détacher définitivement l’anarchisme social de l’hervéisme. En 1912, naît, sur des bases plus claires, la Fédération communiste anarchiste (FCA), qu’on peut considérer comme la première organisation spécifiquement anarchiste un peu consistante.

Sur les discussions nombreuses qui agitèrent, en ces années d’avant-naufrage, diverses minorités révolutionnaires, sur les enjeux qui les animèrent, sur leurs divergences, sur leurs principaux protagonistes, sur les lieux qu’elles fréquentèrent, sur les luttes auxquelles elles participèrent avec constance et détermination, Trop jeunes pour mourir fourmille de détails d’une impressionnante précision et d’une belle amplitude. Sa chronique tient même de la fresque tant il apparaît évident, pour le lecteur, que, au-delà du sujet qui intéresse prioritairement son auteur – la façon dont les anarchistes tentèrent, en ces temps incertains, de s’organiser pour inverser le courant dominant –, ce qui se dessine sous sa plume, c’est le tableau pointilliste d’une époque où la résistance au bellicisme structura, avant que la réalité ne les défasse, une multitude d’activités. Bien sûr, Davranche est de parti pris. Il sait où il va, et sa longue quête le mène précisément là où il voulait aller : démontrer que, face à un hervéisme faussement insurrectionnel, à un Parti socialiste déjà gagné, malgré ses protestations, à la perspective d’union sacrée et surtout à une CGT par trop hésitante, les anarchistes-communistes regroupés au sein de FCA – devenue FCAR (Fédération communiste anarchiste révolutionnaire) à l’été 1913 – auront été « parmi les plus intransigeants adversaires de la guerre », ce qui, en soi, n’est pas contestable. Ce qui l’est, en revanche, c’est sa manière de distribuer les bons et les mauvais points en appliquant à cette histoire une grille de lecture par trop figée où la question de l’organisation demeure, comme pour tout communiste libertaire qui se respecte, déterminante. D’où sa propension à minorer ceux qui, par force, n’entrent pas dans cette problématique ou la contrebattent : les libertaires devenus syndicalistes révolutionnaires, d’un côté, et les « individualistes » de l’anarchie, de l’autre, qui se voient carrément caricaturés pour le coup. Le problème, c’est que, partant d’une approche aussi sûrement idéologique, on a toutes les chances de passer à côté de l’essentiel, c’est-à-dire des passerelles, des influences, des transferts qui s’exercèrent continuellement d’une sphère à l’autre d’un milieu/mouvement libertaire où l’appartenance organique ne fut jamais déterminante, même chez les plus organisés d’entre les anarchistes, et encore moins excluante. 

Sur un autre plan, c’est encore, semble-t-il, l’idéologie, qui pousse l’auteur à sur-interpréter des pratiques pourtant assez peu répandues au sein de la CGT de 1909-1913. Nombre d’anarchistes (et pas seulement de la FCA) dénoncèrent alors, il est vrai, l’élection ou la nomination de « permanents syndicaux » jugées nocives à l’esprit d’un syndicalisme, perçu par eux-mêmes comme évoluant vers sa « fonctionnarisation ». À la lumière des dérives bureaucratiques qu’a connues, par la suite et dans des contextes politiques très différents, le mouvement ouvrier organisé, il est évidemment aisé de faire jouer l’anachronisme en validant a posteriori un argumentaire anarchiste relevant pour l’essentiel du refus de toute délégation. Mais on peut aussi y voir, en contextualisant le débat, l’expression d’une incapacité, anarchiquement pure, à saisir une donnée de base du syndicalisme révolutionnaire conçu comme pratique de l’autonomie ouvrière, et qui pourrait s’énoncer ainsi : au vu de son caractère de masse, la CGT ne pouvait évidemment pas fonctionner comme une fédération de groupes d’égaux. D’où l’insistance qu’avait mise Pouget à justifier « cette sorte de tutelle morale » exercée, dans le cadre de l’organisation syndicale, par les « conscients » sur les « inconscients » – c’est-à-dire sur ceux des syndiqués dont le niveau de culture et de lutte devait s’élever avant d’accéder à la conscience de classe, et donc à la conscience de leur émancipation. Cette approche, strictement a-idéologique, de la question sociale par les syndicalistes révolutionnaires se situait, à l’évidence, aux antipodes de celle des anarchistes, même syndicalistes, pour qui l’organisation de classe n’était souvent rien d’autre qu’un champ de manœuvre à conquérir et où expérimenter. Il va sans dire, mais on ne le dit pas assez, et pas ici en tout cas, que la subtile dialectique des premiers fut toujours mal comprise par les seconds. Quand les syndicalistes révolutionnaires pensaient l’articulation de la « double besogne » (la lutte pour l’amélioration quotidienne des conditions d’existence du prolétariat et celle pour son émancipation définitive du salariat) ou la question des alliances, les anarchistes leur reprochaient leur propension au « balancement », comme l’écrivit Henry Combes dans Le Mouvement anarchiste de septembre 1912, ou leur goût immodéré pour l’« apaisement du clivage entre réformistes et révolutionnaires », comme le note sans chercher plus loin Davranche lui-même. Les positionnements respectifs relevaient, en réalité, d’une absolue divergence sur les perspectives. Pour Monatte et ses camarades – qui pensaient, sûrement à tort mais sincèrement, avoir trouvé dans le syndicat la forme d’expression la plus aboutie de l’autonomie de classe –, rien ne différenciait, dans leurs pratiques d’intervention au sein de la CGT, les anarchistes des autres partisans de la conscience séparée (car extérieure à la classe ouvrière). Ils y voyaient une prétention exorbitante, contraire à l’esprit de la charte d’Amiens et devant être combattue comme telle pour sauvegarder l’unité de l’organisation syndicale. D’un point de vue strictement anarchiste, communiste libertaire plus précisément, ce positionnement, original et structurant du syndicalisme révolutionnaire français, mérite rarement mieux que des jugements de valeur un peu hâtifs et souvent disqualifiants. Comme si, dans l’inconscient libertaire, ceux qui l’incarnèrent en se séparant de l’anarchie, demeuraient toujours inexcusables. Comme est inexcusable, d’une autre façon, Victor Serge, d’avoir cru, pour son malheur, que les vents de la steppe russe allaient balayer, le temps d’une révolution, les anciennes appartenances idéologiques.
Ces remarques n’enlèvent rien, cela dit, au plaisir évident, presque jouissif, que l’on ressent à lire cette chronique alerte et instruite d’un temps peu connu où le combat de classe, encore sous forte influence syndicaliste révolutionnaire, pratiquait l’offensive avec science et détermination en maniant la « machine à bosseler » et la « chaussette à clous » contre les « renards » (les briseurs de grève) et « Mamzelle Cizaille » (le sabotage) contre les patrons et l’État. Nombreux sont les exemples que nous fournit Davranche de cette lutte sur plusieurs fronts : la grève (ratée) des postiers et la mobilisation pour Francisco Ferrer, en 1909 ; l’affaire Aernoult-Rousset, la campagne antiparlementaire, la grève des midinettes et celle des cheminots, en 1910 ; la grève du bâtiment et la lutte contre la vie chère, en 1911 ; le mouvement contre les bagnes militaires et la grève générale d’avertissement, en 1912 ; la lutte contre la loi des trois ans et l’agitation antimilitariste, en 1913 et 1914. Derrière ces luttes, diverses, rudes, inventives, combatives, il y a tous les espoirs qui les portent et toutes les solidarités qu’elles charrient. Comme si, chaque jour, il fallait se convaincre que le sort du monde n’était pas joué, que la guerre, qu’on sentait bien sûr venir, pouvait être arrêtée par un front de classe capable de transcender les frontières, de défaire les patriotismes et de lever les aspirations internationalistes.

Il y a dans ce livre une évidente volonté d’en finir avec la seule explication de la démission et de la trahison comme causes de l’effondrement du mouvement ouvrier à la veille d’août 14. Et, parallèlement, un désir profondément ressenti de revaloriser le labeur militant incessant de celles et ceux qui, minoritaires mais extraordinairement actifs, tentèrent, contre vents et marées, à l’intérieur de la CGT ou sur ses marges, de résister au rouleau compresseur de la militarisation des consciences, en marche depuis l’été 1911, quand la rivalité coloniale entre Paris et Berlin sur la question marocaine faillit mettre le feu aux poudres. Parmi ces combattants de l’impossible, les anarchistes de la FCA, que beaucoup de lecteurs découvriront à cette occasion, soutinrent la position « grève-généraliste » de la CGT en cas de déclaration de guerre, mais agrémentée de la menace de « saboter la mobilisation ». C’était, bien sûr, comme souvent chez les anarchistes, faire peu de cas de l’immense conjonction des forces qui allaient contribuer, chacun dans son registre et en suivant sa partition, à attiser la fièvre patriotique, cette peste émotionnelle qui allait finir, en ces temps maudits, par embraser le prolétariat presque tout entier. Si la CGT tenta bien de convaincre les syndicats allemands de la justesse de son mot d’ordre, les vents mauvais d’une histoire déjà dévastée soufflaient en sens contraire. Désespérément. L’honneur des anarchistes fut de tenir jusqu’au bout. Comme celui de Monatte fut de démissionner de la direction de la CGT quand celle-ci accepta l’ordre de mobilisation générale. 


Manfredo GENZ


L’édition sous perfusion

vendredi 19 juin 2015 :: Permalien

Cette expression fait immédiatement écho à tous les acteurs de la filière livre, à savoir les auteurs, les éditeurs et les libraires. Mais on pourrait aussi citer les imprimeurs, les illustrateurs, les traducteurs, les correcteurs, etc. C’est effectivement une filière qui, dans son ensemble, connaît une grande précarité. « Le livre sous perfusion » serait donc une expression plus appropriée. Tour d’horizon des symptômes et de leurs béquilles.

Les auteurs
Dans leur grande majorité, environ 95 %, ils ne vivent pas de leur plume. Pour beaucoup, ce sont des journalistes qui publient, sur commande ou non, des enquêtes, des essais, voire des romans. Car aujourd’hui, pour être publié, il faut avoir un nom, un réseau. L’autre grande catégorie est celle des universitaires. Dans les deux cas, ils n’ont pas besoin de leurs droits d’auteurs pour vivre. Les seuls auteurs qui vivent de leurs droits sont ceux du Top 10 des ventes : Michel Houellebecq, Anna Gavalda, Guillaume Musso, Marc Lévy, etc. Sans parler des personnages médiatiques, pour lesquels les livres s’enchaînent et s’empilent : Alain Finkielkraut, Bernard Henri-Lévy, Eric Zemmour, etc. Le fait d’être connu ou reconnu permet à l’auteur de demander des à-valoir, c’est-à-dire de percevoir une somme d’argent pendant l’écriture du livre, une avance sur les futures ventes.
Mais la réalité est tout autre. Pour un auteur inconnu qui trouve un éditeur qui imprime son livre à 1 000 exemplaires et le vend à 14 euros, celui-ci touchera, au bout de dix-huit mois environ, et si tout le stock se vendait (chose rare), 1 400 euros. Même pas de quoi vivre un mois. Cette situation est bien entendu la plus courante.
Cette année, au Salon du livre de Paris, on a pu assister à une « manif » d’auteurs avec le slogan « Pas d’auteurs, pas de livres », organisée par le Conseil permanent des écrivains, qui regroupe 17 syndicats et associations d’auteurs (voir l’article « Inédit défilé d’auteurs en colère au Salon du livre », Le Monde, 21 mars 2015).
Les auteurs peuvent percevoir des aides du CNL sous forme de bourse ou une résidence d’auteur par le biais de la Société des gens de lettres par exemple.

Les éditeurs
L’édition, comme le monde de la presse, est trustée par de grands groupes comme Hachette-Filipacchi, Planeta, etc. Mais la différence, tout de même, est qu’en matière d’édition, on trouve pléthore de petits éditeurs indépendants. Evidemment ceux-ci sont beaucoup moins visibles sur les tables des libraires et encore moins dans les colonnes des critiques littéraires parisiens. Mais c’est dans cette catégorie que l’on trouve le plus d’audace, autant sur le plan littéraire que sur le plan graphique. Une sorte d’ « avant-garde ». Ils publient moins d’ouvrages, en moins d’exemplaires, mais donnent une véritable vitalité à un marché de plus en plus resserré sur les têtes d’affiche. Certains, par leur qualité, leur curiosité et leur véritable vocation à faire émerger de nouveaux auteurs, ont acquis une réputation d’estime chez les libraires et même dans la presse parisienne. On pense par exemple au Tripode, à Agone, etc.
Editeur devient un métier quand la maison a assez de ressource pour faire vivre ses animateurs. Bien souvent, la profession s’appuie plutôt sur du bricolage : activité alimentaire, bureau dans son propre appartement, etc.
Du côté des éditeurs, les aides parviennent en grande partie du CNL (à la traduction, à la fabrication), des régions et de divers instituts universitaires.
L’autre manne, et pas des moindres, est celle de l’usage exclusif et abusif de stagiaires. Certains services dans les grandes et moyennes maisons ne fonctionnent qu’avec le travail des stagiaires.

Les libraires
La tendance actuelle est à la fermeture. De nombreux points de vente ont vu leurs portes fermées, des institutions comme La Hune à Paris ou Castela à Toulouse. A noter que les chaînes ne résistent pas non plus : 23 librairies Chapitre fermées et tous les Virgin. Le plus grand concurrent étant Internet. A Clermont-Ferrand, les Volcans a fermé pendant six mois, avant que 12 des anciens salariés ne la reprenne en Scop.
Même si de nouvelles librairies voient le jour, le nombre de librairies en France ne fait que diminuer.
Un exemple patent. Un ami secrétaire de rédaction a demandé à faire une formation de libraire dans le cadre du CIF. L’organisme a refusé en avançant que libraire n’est pas un métier d’avenir et que les subventions d’Etat à la formation ne doivent servir qu’à une reconversion professionnelle « qui tient la route ». Tout est dit.
Du côté des aides, les libraires peuvent en bénéficier à l’ouverture de leur magasin. Ils en perçoivent aussi pour l’organisation de manifestations littéraires. Parallèlement, par le biais des mairies, les loyers peuvent être minorés. Car c’est bien là une des causes de fermeture : les loyers toujours plus chers depuis une vingtaine d’années.

Les autres intervenants (graphistes, traducteurs, illustrateurs, correcteurs) sont, dans la quasi-totalité, des précaires. Les maisons d’édition ne les salarient jamais. Il leur faut trouver des contrats. La grande mode, à l’heure actuelle, est de leur demander d’être auto-entrepreneurs.

Une autre problématique, mais là chacun se fera son opinion, est que les institutions mettent le paquet sur le numérique, qui ne rapporte pas grand-chose, voire rien, aux auteurs et aux libraires. C’est clairement un but de l’administration : démocratiser le numérique. Pour cela, les bibliothèques sont équipées de tablettes, les éditeurs perçoivent des subventions pour la numérisation de leur fonds et il est même question que la tablette fasse son entrée à l’école…

Charlotte Dugrand

La récupération de Charles Martel par l’extrême droite est une imposture

samedi 6 juin 2015 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Tribune publiée dans Le Monde daté du 7 juin 2015.

La récupération de Charles Martel par l’extrême droite est une imposture

Symbole de la résistance à « l’islamisation » de l’Europe pour la mouvance identitaire, l’histoire du héros des Francs est bien éloignée de sa légende dorée, comme de sa légende noire.

Le 7 juin 2015, divers courants de l’extrême droite se rassemblent à Poitiers pour célébrer le souvenir de la bataille qui a vu en 732 la victoire du maire du palais franc Charles Martel face aux troupes de l’émir de Cordoue Abd al-Rahmân.
Ce n’est pas la première fois que cet épisode fait l’objet d’une récupération politique de la part de militants nationalistes. Au début des années 2000, Bruno Mégret a érigé le vainqueur de Poitiers en étendard du Mouvement national républicain (MNR) pour concurrencer la figure de Jeanne d’Arc, trop liée au Front national que ses partisans et lui venaient de quitter. En 2012, des militants de Génération identitaire ont occupé le chantier de la mosquée de Poitiers en se réclamant de Charles Martel. Plus récemment, Jean-Marie Le Pen, au surlendemain des attentats du 7 janvier, a déclaré lors d’une interview ne pas être « Charlie » mais « Charlie Martel ». Pour ces hommes, le propos est simple : tout comme au viiie siècle, la France serait victime d’une invasion islamique, non plus militaire mais souterraine. Dans leur esprit, chaque Français musulman, ou supposé tel, est animé de l’esprit de jihad qui avait motivé les guerriers d’Abd al-Rahmân.
Pourtant, les événements de 732 ne découlent pas d’un plan d’invasion soigneusement préparé par une armée de fanatiques. L’arrivée des combattants arabo-berbères en Espagne en 711 est davantage le fruit d’une opportunité provoquée par les luttes internes entre aristocrates wisigoths. Les affrontements qui s’ensuivent n’ont qu’une faible dimension religieuse, tant du côté musulman, où le concept de jihad n’est pas encore codifié, que du côté chrétien, où il faudra plus de trois siècles pour accepter l’idée de guerre sainte. Loin de rencontrer un front chrétien uni, les troupes islamiques trouvent parfois chez les aristocrates du sud de la Gaule des alliés de circonstance craignant l’expansionnisme de Charles Martel. Ce sera notamment le cas en Provence en 737. Les victoires du maire du palais franc marquent ainsi la défaite politique des princes aquitains et provençaux.
Depuis le XIXe siècle, nombre d’auteurs ont été tentés de promouvoir une légende dorée autour de la victoire de 732 et de l’analyser au prisme de leurs propres obsessions. Chateaubriand la considère comme le triomphe du christianisme sur le despotisme oriental. Selon lui, l’expédition d’Abd al-Rahmân justifie les croisades a posteriori (alors que les chroniques contemporaines de ces pélerinages guerriers ne font jamais référence à Poitiers). Le pamphlétaire antisémite Édouard Drumont y voit une victoire des Aryens face aux Juifs. Après-guerre, l’extrême droite utilise peu la figure de Charles Martel. La sympathie de beaucoup de ses militants pour les régimes autoritaires arabes, voire pour les révolutions islamistes que certains d’entre eux considèrent comme d’authentiques mouvements « identitaires », relègue la bataille de Poitiers à l’arrière-plan de leur mémoire historique.
Les théories de Samuel Huntington, diffusées à partir de 1993 sous le coup de la guerre en ex-Yougoslavie, vont tout bouleverser. Ce professeur de Harvard considère la bataille de Poitiers comme l’un des grands moments de l’histoire, qu’il voit scandée par des chocs militaires répétés entre les civilisations occidentale et islamique considérées comme des blocs homogènes. Peu lui importe que Charles Martel, son fils Pépin ou son petit-fils Charlemagne aient passé bien plus de temps à combattre les Saxons sur leur frontière germanique et les Lombards en actuelle Italie que les Arabo-Berbères venus de la péninsule Ibérique ; son modèle fait date et sert, à partir du 11 Septembre, à justifier l’image d’un Occident en proie, depuis le viiie siècle, à une agression islamique dont les croisades et les conquêtes coloniales n’auraient été que les réponses. Plus grave, depuis le début des années 2000, nombre de pamphlétaires et de militants islamophobes ont fait de la bataille de Poitiers l’arrêt d’une véritable colonisation en masse de populations musulmanes dont l’immigration actuelle ne serait que la répétition. Or, tous les éléments historiques et archéologiques montrent que les guerriers arabo-berbères qui ont combattu en 732 n’avaient pas pour objectif d’occuper le nord de la Gaule, mais d’y récupérer le maximum de butin – comme le feront les Magyars deux siècles plus tard –, et qu’ils n’étaient pas accompagnés de femmes et d’enfants.
La pire réponse à apporter à la vision idéalisée de la bataille de Poitiers serait d’en promouvoir une légende noire. Les philosophes des Lumières, Voltaire en tête, ont été les premiers à regretter la défaite d’Abd al-Rahmân. Pour eux, le triomphe de l’Islam aurait permis d’éviter les « siècles obscurs » du Moyen Âge et de parvenir directement à la Renaissance. Cette idée, appuyée sur une vision très idéalisée de la civilisation islamique classique, va de pair avec la légende d’une Andalousie médiévale foncièrement tolérante, havre de paix des trois religions. Ce discours a trouvé nombre de promoteurs depuis deux siècles ; de nombreux laïcs de gauche, comme Anatole France, mais aussi des conservateurs empreints d’orientalisme, comme Claude Farrère. Il faut pourtant le répéter avec force : le travail de l’historien ne consiste pas à savoir qui, des Francs et des Arabo-Berbères, étaient les plus « civilisés » ou les plus tolérants. Il s’agit au contraire de comprendre, dans son contexte, à partir du peu de sources conservées, les enjeux de cette bataille. Un travail long, minutieux, qui permet la mise à distance et évite d’entraîner les figures d’Abd al-Rahmân et de Charles Martel dans des combats qui ne sont pas les leurs.

Christophe Naudin et William Blanc.
Historiens, auteurs de Charles Martel. De l’histoire au mythe identitaire (Libertalia, mai 2015)

Souvenirs d’un étudiant pauvre, dans Le Monde des livres

jeudi 4 juin 2015 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Éditorial de Jean Birnbaum, Le Monde des livres, 4 juin 2015

Jules Vallès, anarchiste à la lettre

Le royaliste Bernanos se disait volontiers anarchiste. Bien que très éloigné de lui politiquement, Barthes tendait vers « l’horizon impossible de l’anarchie langagière ». Chez les deux écrivains, il ne s’agissait pas de prôner le désordre des mots, mais bien de soustraire la langue à l’oppression : « Nous referons des mots libres, pour des hommes libres », avait lancé Bernanos, qui savait lui aussi combien la langue est sans cesse menacée non seulement par le pouvoir, mais également par ses propres défaillances, ses désertions intimes.
Comme l’illustre le dossier que nous consacrons à l’actualité du livre libertaire (lire pages 2-3), elle commence ici, l’anarchie : là où les mots se cabrent, où la phrase se jette en avant, dans l’espoir de maintenir la langue en état d’insurrection permanente. Ce soulèvement appelle moins une théorie qu’une pratique, et c’est ainsi que Jules Vallès (1832-1885) doit être considéré comme l’un des grands écrivains de l’anarchie.
Voyez ses Souvenirs d’un étudiant pauvre, que les éditions Libertalia, encore bien inspirées, ont la bonne idée de rééditer (170 p., 10 €). Texte poignant qui vous fera passer du rire aux larmes, et dont la moindre scène, le portrait le plus fugace, ouvre tout un monde d’échauffourées, de dèche et de tendresse.
Le révolté livre sa prose au tumulte pour lui éviter de se figer, d’être aux ordres, de « tourner la meule de la servilité ». Contre les imposteurs et les « salivards », Vallès met en mouvement une gouaille portée par une « sincérité douloureuse », mêlant l’esprit de révolte, le souci de l’honneur et le « besoin de rigoler ». Sous la plume du communard, chaque ligne trace une émancipation reconquise, une aliénation surmontée. « Tenir » un discours, oui, mais tout en lui lâchant la bride, telle est l’aventure de l’écrivain en anarchie.

Jean Birnbaum

Charles Martel et la bataille de Poitiers, dans Charlie Hebdo

mercredi 20 mai 2015 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Recension et entretien parus dans Charlie Hebdo, 13-20 mai 2015.

Charles Martel. Fabrique d’une icône islamophobe

La figure de Charles Martel est de plus en plus utilisée par l’extrême droite : il a su arrêter les Arabes à Poitiers en 732, et il faudrait s’en inspirer aujourd’hui. Une logique apparemment simple… mais historiquement fausse. C’est ce que montrent deux historiens, William Blanc et Christophe Naudin, dans leur livre, Charles Martel et la bataille de Poitiers. De l’histoire au mythe identitaire (Libertalia). Non, la bataille de Poitiers n’avait rien d’un choc des civilisations, et le pauvre Charles Martel est l’objet d’une piteuse récupération politique.

Depuis quelques temps, Charles Martel est tendance. Surtout à l’extrême droite. Après les attentats de janvier, pendant que le monde entier proclamait « Je suis Charlie », Jean-Marie Le Pen, avec son fameux sens de la formule (qui n’est pas un « détail »), lançait « Je suis Charlie Martel ». Il n’est pas le seul à raviver l’image du vainqueur de la bataille de Poitiers : des tee-shirts à son image se vendent sur Internet, des internautes réclament « un nouveau Charles Martel », et certains historiens déplorent sa disparition des programmes scolaires…
Bref, Charles Martel est devenu le symbole du rempart contre l’islam. Cette réputation peut sembler justifiée. N’avons-nous pas tous appris, à l’école, que Charles Martel a battu les musulmans à Poitiers, en 732 ? Autrement dit, que nous serions tous en djellaba s’il avait perdu ?
Pourtant, ce n’est peut-être pas si simple. Dans un livre intitulé Charles Martel et la bataille de Poitiers. De l’histoire au mythe identitaire (Libertalia), les historiens William Blanc et Christophe Naudin analysent la récupération politique du personnage. Ces auteurs avaient déjà rédigé Les Historiens de garde, où ils dénonçaient un récit identitaire et réactionnaire de l’Histoire, véhiculé par des auteurs comme Lorànt Deutsch ou Stéphane Bern.
Aujourd’hui, ils sondent Charles Martel sous tous les angles, les faits historiques autant que sa représentation au fil des siècles. Il en ressort que la bataille de Poitiers n’était pas ce qu’on en dit aujourd’hui : c’était une bataille parmi d’autres, et rien ne prouve que les musulmans auraient envahi l’Europe s’ils l’avaient gagnée. Contrairement à l’image que veut en donner l’extrême droite, il ne s’agissait pas d’un « choc des civilisations » gagné par la chrétienté contre l’islam.
C’est le propre des personnages historiques que d’être récupérés. D’où l’intérêt de faire le tri entre réalité historique et instrumentation politique. Pas toujours facile. Mais les fachos racontent assez de bobards sur le présent : ne les laissons pas, en plus, réviser l’histoire de France à leur profit. Ils ont déjà mis la main sur Jeanne d’Arc, qu’ils foutent la paix à Charles Martel.
Antonio Fischetti

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Charlie Hebdo : Qu’est-ce qui vous a donné l’idée d’écrire un livre sur Charles Martel ?

William Blanc et Christophe Naudin : Il y a eu plusieurs choses. Entre autres, une couverture du magazine Valeurs actuelles en 2013. Il y avait aussi des gens qui disaient que Charles Martel n’était plus enseigné à l’école. D’une façon générale, on présente Charles Martel comme un chef de civilisation qui unifiait tous les peuples chrétiens derrière la bannière du Christ pour repousser l’envahisseur musulman. Nous avons décidé d’analyser toutes les sources historiques. Il en ressort que l’utilisation massive de Charles Martel dans le discours d’extrême droite est relativement récente.

De quand date cette récupération de Charles Martel par l’extrême droite ?

Jusqu’aux années 2000, la bataille de Poitiers était rarement vue comme un événement fondateur de l’affrontement entre Occident et Orient. Une date marquante est l’utilisation de Charles Martel par Samuel Huntington dans son livre Le Choc des civilisations en 1996. Il voit l’histoire comme un affrontement entre des blocs avec la religion comme base : une pensée binaire que l’on retrouve chez tous les auteurs islamophobes. Mais Charles Martel est vraiment devenu la figure de proue du courant nationaliste depuis une quinzaine d’années. La première personnalité politique qui utilise Charles Martel de façon publique, c’est Bruno Mégret en 2001, avec le MNR. Il le fait pour des raisons internes à l’extrême droite. Le Front national utilisait alors la figure de Jeanne d’Arc, et, comme il lui fallait une figure de substitution, il a pris Charles Martel. Bruno Mégret fait alors de l’islamophobie l’un de ses chevaux de bataille, ce qui n’était pas encore le cas du Front national.

Le Front national n’aurait donc pas toujours été islamophobe ?

Il y a toujours eu de l’islamophobie diffuse au FN, mais dans les années 1970 et 1980 c’est plutôt l’anticommunisme qui cimente l’extrême droite. Après la guerre au Kosovo, l’islamophobie a d’abord émergé dans l’ultra-droite identitaire, avec des gens comme Guillaume Faye. Mais le plus grand virage islamophobe du FN survient après la campagne de 2007, et c’est en 2010 que Marine Le Pen parle pour la première fois de Charles Martel.

Dans votre livre, vous remettez en cause le fait que Charles Martel a stoppé la conquête musulmane. Ce qu’on apprend à l’école serait donc faux ?

La bataille de Poitiers a été importante, mais surtout localement. Il s’agissait d’un affrontement entre rivaux politiques au sein d’espaces en concurrence : d’un côté les musulmans, mais aussi les Aquitains, ainsi que les Francs de Charles Martel. Ces deux derniers clans étaient en concurrence, et la bataille de Poitiers est surtout importante parce qu’elle permet à Charles Martel d’étendre son territoire aux dépens de l’Aquitaine. Les vrais perdants de la bataille de Poitiers, ce sont d’abord les Aquitains.

N’empêche, les Sarrasins auraient quand même progressé au Nord s’ils avaient gagné à Poitiers.

Pas forcément. Même s’ils avaient gagné la bataille de Poitiers, rien ne prouve qu’ils seraient montés plus haut. Aucune source ne prouve qu’ils voulaient envahir la Gaule. Ils avaient leur base à Narbonne, et ils lançaient surtout des raids pour obtenir du butin. Cette bataille n’avait pas la dimension qu’on lui prête aujourd’hui. On n’était pas dans une logique d’affrontement entre un bloc chrétien et un bloc musulman. D’ailleurs, parès la bataille de Poitiers, les Sarrasins vont s’allier avec les Provençaux, qui sont des chrétiens. Et ceux-ci fermeront leurs portes à Charles Martel, alors qu’ils les avaient ouvertes aux Sarrasins. De plus, sur les terres conquises par l’empire islamique, on n’observe pas de conversions massives. Les Sarrasins sont restés une quarantaine d’années à Narbonne, et on n’a aucune trace d’islamisation de ces populations, comme des constructions de mosquées ou ce genre de choses.

Peut-on comparer la figure de Charles Martel à celle de Jeanne d’Arc, qui est aussi récupérée par l’extrême droite ?

Il y a une différence entre Charles Martel et Jeanne d’Arc : cette dernière a longtemps été une figure œcuménique. Au XIXe siècle, c’était même une figure républicaine utilisée par la gauche. Au début du XXe siècle, elle est récupérée par l’extrême droite, notamment par l’Action française, qui commence à organiser des défilés de Jeanne d’Arc. Après la Seconde Guerre mondiale, les communistes vont aussi essayer de la récupérer. Et, dans les années 1980, Mitterrand ira même au défilé de Jeanne d’Arc à Orléans. Ce n’est qu’à la fin des années 1980 que Jeanne d’Arc est récupérée par Jean-Marie Le Pen.

Pour en revenir à Charles Martel, quelle leçon tirer de votre livre ?

Ceux qui présentent Charles Martel comme un rempart à l’islam s’inscrivent dans une histoire identitaire et réactionnaire. Il y a un objectif politique là-dessous. La seule solution est de faire tout simplement de l’histoire, pour aider à prendre du recul par rapport à ce qu’on nous balance.

Antonio Fischetti