Le blog des éditions Libertalia

Souvenirs d’un étudiant pauvre, dans L’Obs

lundi 7 septembre 2015 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Souvenirs d’un étudiant pauvre, dans L’Obs du 13 au 19 août 2015

Dans la dèche au quartier Latin

« Le Cri du peuple » eut son feuilleton d’hiver. En 1884, de janvier à mars, Jules Vallès publie ses souvenirs d’étudiant dans ce quotidien engagé qu’il a lui-même fondé en 1871. Il souffre de diabète – l’année suivante il sera mort. Neuf ans d’un exil douloureux pour punir ses ardeurs de communard l’ont cassé. Ce récit des jours de dèche au quartier Latin complète « le Bachelier », paru trois ans plus tôt. Au lycée Bonaparte (Condorcet aujourd’hui), le jeune Vallès cherche en vain chez ses pairs un feu intérieur et face à ses maîtres un sujet d’admiration. Il n’est heureux au fond que dans ces familles pauvres qui le gardent à dîner après avoir donné vint sous contre une heure de latin à leur enfant et ajoutent, pour lui, un bout de lard dans la soupe, ravis d’avoir à table « un éduqué ». De la passion des idées ou d’un dégoût grandissant qu’il voile comme il peut, on ne sait ce qui le consume le plus. « Je ne savais encore que ceux qui se jettent dans le courant et le remontent sont rares. » Il a 17 ans, il va lui falloir un destin.

Anne Crignon

Ma guerre d’Espagne à moi, dans Le Canard enchaîné

lundi 7 septembre 2015 :: Permalien

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Ma guerre d’Espagne à moi dans Le Canard enchaîné, mercredi 29 juillet 2015

Ma guerre d’Espagne à moi

Des livres sur la guerre écrits par des soldats, il y en a des milliers. Mais des livres sur la guerre écrits par des soldates ? Les compte-t-on sur les doigts d’une main ? Une main amputée d’un doigt ? Mika Etchebéhère et son mari, furieux d’avoir raté la révolution des Asturies, en 1934, se dépêchent de venir en aide à la révolution espagnole de 1936. Le mari périt très vite. Mika, Juive russe née en Argentine, se retrouve capitaine désignée par son groupe de combattants du Poum, le parti trotskiste espagnol.
Se préoccuper de la santé de ses hommes, distribuer sinapisles et sirop pour la toux, réquisitionner des lots de bouteilles Thermos est une excellente façon de forger une unité combattante efficace. Mika n’oublie pas de combattre parmi ses hommes, qui, bien entendu, n’imaginent pas plus grand hommage à sa bravoure que de lui dire qu’elle est un homme. Et de coller leurs deux poings l’un contre l’autre pour proclamer urbi et orbi la dimension de ses cojones
L’ironie de Mika sur elle-même est l’un des charmes de ce livre. On recommandera en particulier le long passage où cette fille de bourgeois se gratte, persuadée qu’elle souffre d’« un eczéma dû à l’avitaminose provoquée par les boîtes de conserve ». Pour finalement découvrir que, comme les pauvres, elle est couverte de poux.
J. C.

J. C.

Trop jeunes pour mourir, dans Le Monde diplomatique

lundi 7 septembre 2015 :: Permalien

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Une chronique de Trop jeunes pour mourir dans Le Monde diplomatique de juin 2015.

Au début du XXe siècle, la Confédération générale du travail (CGT) oscillait entre réformisme et anarchisme. La Grange-aux-Belles, son quartier général, résonnait d’appels à la grève générale et au sabotage, deux formes de lutte alors couramment employées.
Les rédacteurs de La Guerre sociale se retrouvaient régulièrement en prison pour délit de presse. De nombreux syndicalistes passaient devant les tribunaux pour antimilitarisme. En 1909, quand le pédagogue Francisco Ferrer, au projet éducatif fondé sur la mixité et l’autonomie, est fusillé en Espagne, accusé d’avoir impulsé l’insurrection de Barcelone, des dizaines de meetings rassemblent des milliers de travailleurs dans toute la France.
Guillaume Davranche, journaliste et chercheur, voulait rendre compte du grand passé de la Fédération communiste anarchiste : il s’est laissé déborder en consultant des montagnes d’archives, mais cela en valait la peine, car cette histoire-là est bien rarement racontée.

Christophe Goby

Charles Martel et la bataille de Poitiers, dans Jeune Afrique

lundi 7 septembre 2015 :: Permalien

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Charles Martel et la bataille de Poitiers , dans Jeune Afrique, août 2015.

L’Histoire a retenu qu’il avait repoussé les Arabes à Poitiers en 732, l’extrême droite en a fait un symbole de résistance face à une prétendue « invasion musulmane ». Une récupération pour le moins abusive qui témoigne de la montée de l’islamophobie depuis quinze ans.

C’est un habitué des calembours douteux. En lançant : « Je ne suis pas Charlie, je suis Charlie Martel » le 9 janvier, deux jours après l’attentat contre Charlie Hebdo à Paris, Jean-Marie Le Pen a ulcéré de nombreux Français. Le message du président d’honneur du Front national (FN) est limpide : à la manière de Charles Martel, victorieux de l’armée d’Abd al-Rahman à Poitiers en 732, il faut défendre la France contre une invasion musulmane imminente.
Depuis une quinzaine d’années, le souverain franc est abondamment utilisé par l’extrême droite et érigé en sauveur de la civilisation occidentale. Poitiers est devenu le théâtre de rassemblements en mémoire de l’aïeul de la dynastie carolingienne, jusque-là davantage connu à travers sa descendance – surtout Charlemagne – que pour ses exploits personnels. La première « journée Charles Martel » a même vu le jour le 7 juin : un « rendez-vous patriotique » animé par l’un des fondateurs de Riposte laïque, organisation islamophobe proche de l’extrême droite.
Comment expliquer ce soudain engouement pour un personnage qui, selon les historiens William Blanc et Christophe Naudin, auteurs de Charles Martel et la bataille de Poitiers (2015), « a longtemps été un personnage secondaire, voire oublié, de l’histoire de France » ?

Charles Martel, défenseur des chrétiens ? Pas vraiment. Paranoïa et déformation de l’histoire
Pour les défenseurs d’une France chrétienne, l’Hexagone serait menacé par « le grand remplacement » théorisé en 2011 par l’écrivain d’extrême droite Renaud Camus : « Le grand remplacement, le changement de peuple, que rend seule possible la grande déculturation, est le phénomène le plus considérable de l’histoire de France depuis des siècles, et probablement depuis toujours », détaillait-il alors dans un entretien accordé à l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur.
Mais la comparaison entre la situation actuelle en France – un mélange de crise identitaire et de paranoïa islamophobe – et l’événement de 732 est largement abusive. Car, comme le suggèrent Blanc et Naudin, la bataille de Poitiers doit être replacée dans le contexte particulier de cette époque trouble de l’histoire de France où la notion même de guerre sainte n’existait pas. Charles Martel, défenseur des chrétiens ? Pas vraiment.
Maire du palais de Neustrie et d’Austrasie (charge comparable à celle de régent, sur une zone couvrant le nord de la France actuelle et une partie de l’Allemagne), le fils de Pépin II sera décrié par l’Église dès le IXe siècle. De fait, Charles n’avait pas hésité à distribuer les biens ecclésiastiques afin de payer ses troupes. Mieux : son ennemi juré n’était pas l’islam mais bien un chrétien, en l’occurrence Eudes, duc d’Aquitaine (le long de la côte Atlantique).

Un pur fantasme
À cette époque, les musulmans sont déjà présents dans le sud de la Gaule, après avoir passé les Pyrénées depuis la péninsule Ibérique (Al-Andalus) au début du VIIIe siècle. Pour eux aussi, conquêtes et accaparement de richesses prennent le pas sur toute considération religieuse. Et les archives sont si rares qu’il est impossible de déterminer les prétentions réelles de l’émir de Cordoue, Abd al-Rahman, sur la Gaule, cette « grande terre couverte de forêts épaisses et dangereuses ».
La première source apparaît vers 754 : il s’agit de La Chronique mozarabe, œuvre d’un chrétien vivant sous domination musulmane en Espagne. Nulle trace d’une quelconque volonté d’invasion, le texte évoque surtout la mort d’Abd al-Rahman à Poitiers. « Décrire aujourd’hui une armée de 375 000 hommes accompagnée de femmes et enfants, soit un déplacement d’un million de personnes, est un pur fantasme ! » insiste William Blanc.
Toujours est-il qu’en 732, après avoir passé Bordeaux et Poitiers – non sans piller au passage l’abbaye de Saint-Hilaire –, Abd al-Rahman poursuit sa route vers Tours. Dépassé, Eudes s’en remet aux forces de Charles pour arrêter le raid musulman. Les deux armées se rencontrent sur le site supposé de Moussais, à une vingtaine de kilomètres au nord de Poitiers. Après une journée d’observation, elles s’affrontent et, au crépuscule, Charles remporte la bataille. Il s’engage vers le campement sarrasin le lendemain matin : les troupes d’Abd al-Rahman, privées de leur chef, ont fui durant la nuit. « Mais finalement, le vrai perdant de la bataille de Poitiers, c’est Eudes, qui sera redevable à Martel et perdra son autonomie », commente William Blanc.

Charles Martel : mémoire controversée
Au fil des siècles, la mémoire de Charles Martel est diversement appréciée. Du côté de l’Église, pour les raisons évoquées plus haut, il brûle en enfer pour l’éternité. Au XVIIe siècle, il est considéré comme le premier souverain à avoir imposé un pouvoir despotique aux Français, selon l’historien de l’époque Henri de Boulainvilliers – une thèse reprise plus tard par Voltaire et Montesquieu.
Pour nombre d’hommes des Lumières, l’islam apparaît même comme une culture plus éclairée que ne l’était celle, obscure et barbare, de la France médiévale. Ce n’est qu’au XIXe siècle que l’écrivain François-René de Chateaubriand, dans son Génie du christianisme, estime que Martel a sauvé la chrétienté et la liberté en arrêtant Abd al-Rahman. Plus tard, l’écrivain et homme politique Édouard Drumont, connu pour sa haine des Juifs, voit 732 comme la victoire des Aryens sur les Sémites.
Ces tentatives de réhabilitation de Charles Martel restent cependant anecdotiques. Lorsque l’Action française, mouvement nationaliste fondé en 1898, se choisit un personnage emblématique, c’est celui de Jeanne d’Arc qui a sa préférence. Dans les années 1980, le FN récupère à son tour la pucelle d’Orléans, dont le souvenir est célébré chaque année le 1er mai. À cette époque, l’islamisme n’est pas encore une préoccupation du parti. Jean-Marie Le Chevallier, maire frontiste élu à Toulon en 1995, écrit même que ce courant exprime, « par le rejet des valeurs occidentales, un souci de réenracinement » et « participe au grand élan identitaire qui parcourt la planète ».

« Nous sommes venus pour affirmer notre volonté de ne pas reculer devant la poussée islamiste ». « Le choc des civilisations »
L’islamophobie s’enracine au sein de l’extrême droite lors de la guerre du Kosovo (1998-1999). Les États-Unis prennent alors fait et cause pour la minorité musulmane opprimée. Il n’en faut pas plus pour qu’une partie des nationalistes français dénonce un complot américano-musulman pour annihiler la culture européenne : c’est « l’islamérique », détaillée par le chercheur Alexandre del Valle, auteur en 1997 d’Islamisme et États-Unis, une alliance contre l’Europe.
Trois ans plus tard, Bruno Mégret, ancien haut dirigeant du FN, lance le Mouvement national républicain (MNR). Il est l’un des premiers à invoquer la mémoire de Charles Martel, lors d’un discours à Moussais : « Poitiers fut le choc de deux civilisations : la civilisation européenne et chrétienne face à la civilisation arabo-musulmane. Ce choc des civilisations n’est hélas pas terminé. Nous sommes venus pour affirmer notre volonté de ne pas reculer devant la poussée islamiste. »
Cette théorie a été développée par un professeur de Harvard, Samuel Huntington, qui, en 1996, a publié Le Choc des civilisations. Un succès. Pour lui, « l’Orient et l’Occident ont été, sont et seront irréconciliables », résume Christophe Naudin. Une thèse qui inspirera les faucons de la Maison Blanche (« l’axe du mal ») et popularisera Charles Martel outre-Atlantique.

Un thème porteur
Dans une scène ubuesque de la série documentaire J’irai dormir chez vous, voici ce que dit un habitant de La Nouvelle-Orléans au journaliste français Antoine de Maximy : « C’est vrai que tout le monde parle arabe en France ? Souvenez-vous de Charles Martel, il les a repoussés ! Et vous, vous les laissez passer ?! La civilisation occidentale compte sur vous, les gars, vous devez les virer ! »
Jean-Marie Le Pen ne pouvait laisser plus longtemps aux autres ce thème porteur. En 2010, avec ses affiches « Non à l’islamisation » représentant une France aux couleurs algériennes déchirée par des minarets et une femme en voile noir intégral, il clarifiait opportunément son message pour les élections régionales. Alors, Charles Martel sera-t-il l’invité de la prochaine présidentielle, en 2017 ? Pour l’heure, ni Marine Le Pen, la présidente du FN, ni ses cadres les plus influents, comme Florian Philippot, ne semblent souscrire à la mode Martel. Même la députée Marion Maréchal-Le Pen, pour qui l’islamisation de la France est une antienne, n’a pas trouvé « drôle » le « Je suis Charlie Martel » de son grand-père. Jeanne d’Arc a encore de beaux jours devant elle.

Michael Pauron

Charles Martel et la bataille de Poitiers, dans Sciences humaines

lundi 7 septembre 2015 :: Permalien

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Charles Martel et la bataille de Poitiers dans Sciences humaines, numéro 273, août-septembre 2015.

Comment ils ont mis Martel en tête

Que sait-on exactement de Charles Martel ? Assez peu de chose, somme toute. Ce personnage historique qui fut maire du palais, c’est-à-dire un membre influent de l’entourage de certains rois mérovingiens, n’a pas eu un destin hors du commun. L’événement notable de sa vie fut la bataille de Poitiers et sa victoire sur les Sarrasins. William Blanc et Christophe Naudin nous en rappellent le contexte et les détails avant de se pencher sur la destinée posthume de ce personnage et sur son succès récent en politique.

Aucun projet sarrasin d’invasion
Au lendemain de la mort du prophète Mahomet (VIIe siècle), le calife ‘Umar lance depuis La Mecque la conquête du Proche-Orient. L’expédition vise à étendre un État central et prospère. C’est une opération politique qui utilise l’islam comme drapeau. La conquête se fera en plusieurs étapes : la Mésopotamie, la Syrie et la Palestine, l’Égypte, puis le Maghreb, au début VIIIe siècle. Puis le gouverneur du Maghreb, devenu province autonome du califat de Bagdad, décide de traverser Gibraltar. Il va à la rencontre de l’Espagne wisigothe, qui s’étend alors jusqu’en Septimanie, soit le Languedoc-Roussillon actuel. Les troupes arabes et berbères conquièrent l’Espagne et forment le royaume d’Al Andalus. Puis elles franchissent la barrière des Pyrénées, s’installent à Narbonne et de là mènent de nombreux raids. Pour les combattre, le duc Eudes d’Aquitaine s’allie avec le prince franc Charles Martel, lequel affronte et défait, le 25 octobre 732 probablement, entre Poitiers et Tours, une expédition de Sarrasins dont le but était le pillage. Pour autant, jugent les historiens, aucun projet d’invasion ne fut arrêté ce jour-là : les Sarrasins n’avaient pas prévu de conquérir le territoire franc ni aquitain. Ils poursuivirent d’ailleurs leurs razzias du côté de la Provence.

Exploitation identitaire
Pendant de longs siècles, il fut peu question du héros de Poitiers et pas toujours en bien. Voltaire ne l’estimait pas beaucoup. Sous la Révolution, l’abbé Mably dépeignit Charles Martel en chef de guerre despotique, oppresseur de la noblesse et du peuple. En 1802, cependant, Chateaubriand justifiait les croisades comme de « justes représailles » contre l’« invasion » de Poitiers. Ces rappels sporadiques ne deviendront plus fréquents qu’à la fin du XIXe siècle, faisant de Charles Martel un défenseur symbolique de la patrie contre toutes sortes de menaces (les Juifs, par exemple). L’épisode de Poitiers est brièvement cité dans les manuels scolaires de la IIIe République, et ce jusqu’après la Seconde Guerre mondiale. Mais, depuis la fin des années 1990, Charles Martel a fait un retour en force : on ne compte plus les livres et articles de vulgarisation qui lui sont consacrés. Il entre dans le roman national français, auréolé de la gloire d’avoir sauvé l’Europe de l’envahisseur musulman. Des néoconservateurs américains, comme Samuel Huntington, en ont fait un emblème de la lutte de l’Occident contre l’islamisme. En France, il est le recours des théoriciens du « grand remplacement », une idéologie portée par l’extrême droite selon laquelle les musulmans auraient désormais remplacé massivement les chrétiens en Europe. Signe de cette récupération politique d’une histoire légendaire, Charles Martel est la référence d’un groupuscule, Génération identitaire, qui a occupé la mosquée de Poitiers en octobre 2012 et diffusé sur les réseaux sociaux, au lendemain des attentats de janvier 2015, le slogan « Je suis Charlie Martel ». C’est en tout cas demander un peu trop à une bataille et à un chef qui, selon W. Blanc et C. Naudin, n’ont jamais été considérés comme importants par les historiens sérieux, et en général ne sont portés aux nues que par des activistes politiques hostiles à des minorités jugées menaçantes.

Régis Meyran