Le blog des éditions Libertalia

les Fils de la nuit, dans Le Monde des livres

jeudi 7 juillet 2016 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans les cahiers livres du Monde du 1er juillet 2016.

Un anarchiste dans la guerre d’Espagne

Il y a presque quatre-vingts ans, les 17 et 18 juillet 1936, les troupes des généraux Sanjurjo, Mola et Franco prenaient les armes contre la République espagnole. Leur coup de force inaugurait cette répétition générale du second conflit mondial qu’on a l’habitude d’appeler la « guerre d’Espagne » pour saisir la dimension révolutionnaire de la période, aujourd’hui mise en lumière par de singulières parutions.
Avec Les Fils de la nuit, on plonge en effet dans le quotidien du combat et de l’expérimentation libertaire, en Aragon et en Catalogne, aux côtés d’Antoine Gimenez. C’est sous ce nom qu’un anarchiste d’abord appelé Bruno Salvadori, « en marge de la société et du code pénal », Italien venu de France rejoindre la fameuse colonne Durruti aux abords de Saragosse, a mis par écrit dans les années 1970 un témoignage dense et passionné. Son texte intrigue et captive pour plusieurs raisons.
Il y relate son expérience de la guerre, des luttes sociales, mais aussi de la vie ordinaire bousculée par les combats dans les villages des bords de l’Ebre où vont cohabiter, des mois durant, paysans pauvres et volontaires de tous horizons. Rythmé et presque cinématographique dans son écriture, il fait alterner les descriptions saisissantes des embuscades et des coups de main, qui opposent son groupe aux « fascistes », avec des notations politiques ou même intimes et érotiques.
Comme pour conjurer la mort de ses camarades, tant de fois advenue dans ces pages, le narrateur multiplie les conquêtes féminines et les brèves aventures. Ces passages ne sont pas forcément les plus déliés (« Comme un fauve soulevant sa proie, je la soulevai pour l’emporter dans sa chambre ») mais ils ont leur importance, car la révolution, Antoine Gimenez la voulait, aussi, sentimentale et sexuelle, afin d’abattre « toutes les barrières que la morale hypocrite de la société avait dressées ». Il accorde également une large place à la parole et aux discussions : débats enflammés avec ses compagnons sur la société future, débarrassée de l’injustice sociale et du curé, « allié indéfectible du capitalisme » ; efforts de scolarisation pour ces travailleurs de la terre « essayant de bien tenir entre leurs doigts calleux le frêle bâtonnet de la plume que le poids de leur main, habituée à manipuler les lourds outils des champs, écrasait sur le papier ».

D’autres voix libertaires.

Il s’agit, enfin, d’un témoignage précieux sur les désillusions et le délitement qui surviennent lorsque les impératifs de la guerre aboutissent, non sans tensions dans le camp républicain, au ralentissement ou au reniement de l’effort révolutionnaire. Alors les volontaires internationaux doivent se plier à une discipline militaire plus forte. Surtout les rapports sociaux ne sont pas transformés autant qu’on avait pu l’espérer : « L’argent, cette peste, avait recommencé son œuvre. »
Aussi empli de vigueur et de mystère que terriblement imprécis sur les dates et les lieux, ce document avait tout pour fasciner. Mais de cette séduction, un groupe de chercheurs a su faire un travail tout à la fois militant, éditorial et historien. Il en résulte un appareil de notes absolument colossal qui, presque à la manière de Feu pâle, de Nabokov (Gallimard, 1965), accompagne dans un second volume (de plus de 700 pages) le témoignage, l’éclaire et le complète, le contredit parfois.
Et comme si cela ne suffisait pas, sur les traces d’Antoine Gimenez, les « Giménologues » (c’est ainsi qu’ils se nomment, prolongeant par ce pseudonymat le jeu de masques du personnage qu’ils suivent) ont publié un second livre, ¡A Zaragoza o al charco !, issu de la même enquête et donnant à lire d’autres témoignages et documents, apportant ainsi de nouvelles touches à ce tableau labyrinthique. Carnets, récits, photos, cartes et biographies : en menant un travail aussi vivant qu’opiniâtre auprès des acteurs et de leurs descendants, dans les dépôts d’archives et la presse d’époque, ce collectif d’auteurs nous donne les moyens de reconstruire et de comprendre un passé révolu, et, peut-être davantage, l’intensité et l’altérité de ses idéaux. L’un des protagonistes des Fils de la nuit les résume ainsi : « Une vie collective possible, sans dieu ni maître, donc avec les hommes tels qu’ils sont. »

André Loez

Les Fils de la nuit, dans Le Canard enchaîné

mercredi 22 juin 2016 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Les Fils de la nuit dans Le Canard enchaîné du 22 juin 2016.

Un anar qui narre

Dans Les Fils de la nuit (Libertalia), l’ancien franc-tireur libertaire Antoine Gimenez raconte sa guerre d’Espagne : la vie, la mort, l’anarchie, l’espoir, les femmes. Épastrouillant.

Pourquoi ce livre fascine-t-il autant ? Parce qu’il est terriblement vivant. Parce que l’auteur a un ton qui n’appartient qu’à lui, vif, très concret, mais comme détaché. Il faut dire qu’il n’a raconté ses souvenirs qu’en 1974-1976, soit près de quarante ans après les faits. De son vrai nom Bruno Salvadori, il n’est, selon ses dires, qu’un jeune Italien révolté, « qui vit en marge de la société et du Code pénal », quand il s’engage en 1936 dans la Colonne Durruti sur le front d’Aragon. Il y intègre un groupe de volontaires internationaux, bien avant la création des brigades internationales.
Des scènes les plus fortes de ses trois années dans une unité de francs-tireurs, il livre un récit précis, vif et sans fioritures, sans frime et sans tabous. S’il s’agit avant tout d’un livre de guerre, avec coups de main, patrouilles, missions de reconnaissance, actes héroïques, horreurs, c’est d’une guerre bien particulière qu’il est question. Une guerre menée par des anars qui veulent non seulement tenir bon face à l’offensive des troupes franquistes, mais bâtir un monde nouveau, ici et maintenant.
Dans les villages, on s’organise en collectivités paysannes et ouvrières. Les femmes aident et soutiennent les combattants. Lesquels parlent politique, citant Kropotkine, Reclus, Pietro Gori. Et ce ne sont pas des mots et des idées en l’air, mais des idéaux concrets qu’ils essaient de faire vivre. On ne rigole pas avec les principes : « Durruti était intransigeant. Il avait fait fusiller le responsable d’une centurie, Carrillo, militant de la FAI, parce qu’il avait gardé des bijoux qu’il avait offerts à sa compagne », bijoux saisis chez une personnalité de Barcelone, qu’il aurait dû remettre au syndicat.
Des amitiés naissent, et des amours, intenses et sans lendemain, car la mort fauche chaque jour à grandes brassées. Corps qui tombent, corps qui exultent… L’Italien Gimenez est un grand amoureux : Madeleine, Mimosa, Augusta, la Nina… Il raconte le libre jeu du désir, les enflammements : « Nos bouches s’unirent, elle me chevaucha. Son corps était chaud et sentait la lavande. » Il évoque des scènes qui le hantent encore, et nous hanteront. Ainsi Maria, nue sur le seuil des adieux après une nuit d’étreintes, qui a ces fières paroles : « Regarde, je ne sais si je suis belle, mais tu l’as dit et je veux le croire. Nous ne nous verrons peut-être plus. Souviens-toi de moi telle que je suis, moi je ne t’oublierai jamais. »
Deux camps : « Hommes en face d’autres hommes, les uns défendant des principes, des idées, des croyances vieilles de plus de deux mille ans… les autres se battant pour que l’ignorance, l’exploitation de l’homme par l’homme, les privilèges de classe disparaissent, pour que la Justice, la Liberté, l’Égalité, l’Amour règnent enfin sur l’humanité entière. » En Espagne, le camp des idéalistes a fini par perdre, on le sait. Gimenez, après la terrible retirada de 1939, s’installa à Marseille, où il finit ses jours, en 1982, peu après avoir rédigé ce précieux témoignage.
Lequel possède de telles vertus, débroussaille à ce point les cerveaux, éclaire si bien ce qui fut l’une des plus hautes expériences libertaires jamais menées, qu’il a connu un drôle de destin. De doux dingues anarchistes s’en sont embéguinés au point de se proclamer « giménologues ». Se lançant dans une enquête sans fin sur ces Mémoires, ils ont accumulé mille analyses historiques, notices biographiques, documents de toutes sortes. Résultat : accompagnant le livre de Gimenez, un volume de notes qui compte près de 1 000 pages, dans lesquelles on peut se promener à loisir des heures durant. De quoi détromper ceux pour qui le mot « anar » rime avec « flemmard »…

Jean-Luc Porquet

Grèves et joie pure, dans Le Canard enchaîné

mercredi 22 juin 2016 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Chronique parue dans Le Canard enchaîné du 22 juin 2016.

« Enfin, on respire ! » Ainsi s’ouvre ce recueil de quatre articles, publiés entre juin et octobre 1936 par une certaine Simone Weil après la victoire du Front populaire.
Jeune philosophe en rupture de ban, cette dernière s’y déclare enthousiasmée par les grèves et occupations d’usine. Son constat ? « Indépendamment des revendications, cette grève est en elle-même une joie. Une joie pure. » Elle qui a choisi de délaisser les honneurs académiques pour travailler à la chaîne auprès des ouvriers est bien placée pour en parler : « Il s’agit, après avoir tout encaissé en silence pendant des années, d’oser enfin se redresser. » Elle se doute que tout cela n’aura qu’un temps, pressentant les lendemains qui déchantent. Reste pourtant cet espoir immense, éminemment touchant, qui habite ce court recueil opportunément réédité. Et si, pour une fois, demande-t-elle, cette étincelle n’était pas qu’un « sursaut de dignité » ?

E. B.

Jean-Pierre Levaray invité d’Un Livre un jour sur France 3

samedi 11 juin 2016 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —
Jean-Pierre Levaray, Je vous écris de l’usine - Un livre un jour, France 3, 3 juin 2016

Jean-Pierre Levaray était l’invité de l’émission Un Livre un jour du 3 juin 2016 sur France 3 : www.france3.fr/emissions/un-livre-un-jour.

Grèves et joie pure, dans Le Monde des livres

vendredi 10 juin 2016 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Recension de Grèves et joie pure (Simone Weil), parue dans Le Monde des livres du 10 juin 2016.

Drôle d’anniversaire pour le Front populaire. Il y a loin, en effet, des moroses réalités contemporaines et du bras de fer tendu autour de la « loi travail » aux espoirs et aux réalisations d’il y a quatre-vingts ans, au printemps 1936 : alors, un gouvernement de gauche engageait et assumait d’ambitieuses mesures de transformation sociale, à la fois revendiquées et rendues possibles par une vague de grèves sans précédent. Occupations d’usines, gains salariaux, congés payés, réductions horaires et conventions collectives caractérisaient cette rare séquence émancipatrice, d’une intensité presque impensable aujourd’hui.
Il faut toutefois se garder de mythifier la période, d’oublier ses aspérités et ses ambiguïtés en s’en tenant aux photos rassurantes de grèves festives, tout en sourires et en accordéons. Pour dépasser de telles images, rien ne vaut un retour aux sources, même les plus connues. Ainsi, la réédition des articles de la philosophe et militante Simone Weil (1909-1943) consacrés aux grèves de 1936 est-elle opportune. C’est forte d’une expérience directe du travail en usine qu’elle décrivait la « joie pure » des grèves, de ce moment où la classe ouvrière pouvait « oser enfin se redresser » et affirmer sa dignité.
Mais, à côté de ces passages très souvent cités, on dit plus rarement que Simone Weil n’était jamais dupe de son propre lyrisme : « La joie de la victoire ne doit pas faire oublier que la situation est tragique. » En donnant accès à deux articles moins connus d’août et d’octobre 1936, le volume montre les inquiétudes de cette observatrice engagée quant à la mise en œuvre concrète des promesses de juin 1936, des accords Matignon et des lois leur faisant suite, en l’absence notamment de salaire minimum.

André Loez