Le blog des éditions Libertalia

Pirates de tous les pays dans Zones subversives

jeudi 16 novembre 2017 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Zones subversives, le 10 juin 2017 .

Les pirates contre le capitalisme

Les pirates ont perturbé le bon fonctionnement du commerce maritime. Les formes d’organisation s’opposent également aux hiérarchies et aux valeurs des sociétés monarchiques.

Les pirates alimentent l’imaginaire contemporain avec leur pavillon noir. Les flibustiers apparaissent comme des hors-la-loi qui sabotent le commerce mondial à l’époque de l’esclavage et de la colonisation. La piraterie s’inscrit dans la longue histoire de la lutte de classes. Les forçats de la mer se révoltent contre la discipline qui règne à bord des navires. Le vaisseau marchand apparaît comme un bagne flottant au XVIIIe siècle dans le contexte de l’émergence de la révolution industrielle.
Les mutineries, qui annoncent les grèves sauvages, permettent d’entrer dans la piraterie. Les révoltés s’emparent de leur outil de travail, le bateau, pour vivre dans l’illégalité contre toute forme de propriété privée. Les pirates recherchent des rapports égalitaires et désirent vivre dans la liberté. Le capitaine d’un vaisseau pirate est élu par l’équipage.
L’historien Marcus Rediker recherche l’histoire derrière le mythe dans le livre Pirates de tous les pays. Il souligne la quête de vivre pleinement à travers l’abordage du système marchand. Les pirates ne veulent pas accumuler des richesses mais vivre dans la jouissance.

Les pirates contre l’ordre social

La piraterie remet en cause toutes les conventions sociales et les hiérarchies. Les esclaves africains rejoignent les pirates et remettent en cause la question raciale. Les femmes pirates attaquent les conventions de genre. Tous vont vaciller le principe de la nation. « En cousant leur drapeau noir, le symbole antinational d’un gang de prolétaires hors la loi, ils déclarent la guerre au monde entier », décrit Marcus Rediker. Les pirates attaquent les navires de tous les pays et provoquent une crise dans le très lucratif système commercial atlantique, notamment entre 1716 et 1726.

Au début du XVIIIe siècle, des guerres opposent les grandes puissances, notamment l’Angleterre et la France. Ces conflits s’expliquent par la volonté de contrôle du commerce maritime. Les flibustiers sont alors utilisés par les États pour nuire aux flottes commerciales ennemies. Mais, après la guerre, les gouvernements souhaitent une stabilité économique. En 1713, un traité de paix est signé pour permettre un partage du pouvoir colonial.
Les pirates parviennent à nuire davantage au commerce que les guerres. Ils capturent et pillent plus de 2 400 navires. Ces bateaux sont sévèrement endommagés ou complètement détruits. Mais, à partir de 1722, les États décident de faire la guerre aux pirates qui deviennent alors plus violents.

La vie et l’organisation pirates

Les pirates sont souvent des mutins qui refusent les conditions de travail des navires marchands. Lorsque les flibustiers s’emparent d’un navire, ils proposent à l’équipage de les rejoindre. Les marins veulent bien les rejoindre mais craignent le risque de rentrer dans une vie illégale. Les pirates refusent la contrainte et ne souhaitent recruter que des volontaires. Ils sont issus des classes sociales les plus basses et ne possèdent rien. Ce sont des marins qui ont peu à perdre et tout à gagner.
Les pirates aspirent à vivre dans un autre ordre social. Ils inventent de nouvelles règles de gouvernement. Chaque vaisseau élabore son propre contrat approuvé par l’équipage. Les marins s’appuient sur ces règles collectives pour confier l’autorité, distribuer le butin et la nourriture, faire respecter la discipline. Les pirates élisent leur chef par rapport à son comportement exemplaire, et non selon un statut ou une hiérarchie imposée. La majorité désigne le capitaine, mais peut aussi les démettre. La sélection démocratique des officiers contraste avec l’organisation dictatoriale des navires marchands.
Les pirates développent leur propre conception de la justice. « Ils éprouvent un mépris particulier pour les capitaines marchands, les officiels du royaume et le système d’autorité », décrit Marcus Rediker. Le sort d’un capitaine marchand capturé dépend de la manière dont il traite son équipage. Les pirates, anciens marins, épargne les capitaines les moins brutaux mais n’hésitent pas à exécuter les plus autoritaires.
Les pirates sont de véritables « frères de la côte ». Ils revendiquent une solidarité et ont conscience d’appartenir à une même communauté. Le drapeau pirate, le Jolly Roger, exprime également cette unité.
 
L’imaginaire pirate

« Nous aimons les pirates parce qu’ils sont rebelles, parce qu’ils lancent un défi aux conventions de classe, de race, de genre et de nation. Ils sont pauvres, mais expriment des idéaux élevés », souligne Marcus Rediker. Les pirates hantent l’imaginaire populaire. Leur vie est courte, mais intense, joyeuse et rebelle.
L’historien assume son rôle de conteur, dans le sillage de la tradition orale des classes populaires. Il valorise une « histoire par en bas » qui permet de donner une incarnation humaine à la révolte sociale. Comme E.P. Thompson ou encore C.L.R James, il s’appuie sur la littérature et la culture populaire. Mais ces historiens s’attachent également à restituer le contexte social et politique de leurs récits.
Marcus Rediker s’appuie également sur le livre de Daniel Defoe, L’Histoire générale des plus fameux pyrates. Le passage repris dans le livre Libertalia, une utopie pirate montre bien le fonctionnement et les pratiques de cette véritable contre-société. Ils inventent leurs propres règles de fonctionnement. Ils s’opposent aux hiérarchies qui règnent dans les navires commerciaux. Ils considèrent également les esclaves noirs comme leurs égaux et comme des membres à part entière de l’équipage. Les valeurs pirates tranchent avec l’ordre réactionnaire qui fondent les régimes monarchiques de l’époque.

L’utopie pirate

L’imaginaire pirate s’oppose aux hiérarchies et aux normes sociales. Néanmoins, cet univers reste très viril, avec des valeurs de force et de courage. Même les quelques femmes pirates semblent avoir entièrement intériorisé ces codes masculins. Marcus Rediker et Daniel Defoe proposent une vision idéalisée du milieu pirate, sans s’attarder sur la violence et la brutalité criminelle.
Ensuite, l’imaginaire pirate reste ambigu. Il semble aujourd’hui accaparé par les réformistes et les citoyennistes plutôt que par des personnes qui désirent une autre société. Les Anonymous et les TAZ d’Hakim Bey reprennent ce modèle de la piraterie. Ils ne s’opposent pas de manière conflictuelle à l’ordre social. Ils tentent plutôt de créer des alternatives au sein de la société marchande. Les pirates ne s’apparentent pas à un mouvement social qui tente de renverser le capitalisme. Ils valorisent le plaisir et la liberté ici et maintenant, plutôt que la projection vers une société nouvelle.
Néanmoins, Marcus Rediker inscrit pertinemment la piraterie dans la lutte des classes. Ce sont des prolétaires qui s’organisent contre les navires marchands et les États. Ils inventent de nouvelles formes d’organisation et attaquent directement l’ordre existant. Leurs actions s’apparentent à du sabotage et la répression qu’ils subissent montre leur rôle contre le développement du commerce maritime. Surtout, les pirates ne cherchent pas à s’enrichir, mais veulent vivre pleinement, dans le plaisir et la liberté.

Véronique Decker dans Politis

lundi 6 novembre 2017 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Dans Politis, 13 juillet 2017.

Conseils de classe

Véronique Decker livre son quotidien de directrice d’école en Seine-Saint-Denis et décrit la réalité des quartiers populaires, loin des clichés.

« Oui le niveau baisse, mais pas le niveau des élèves, le niveau de la qualité de l’action de l’action de l’État social que nous n’avons pas su exiger. » Véronique Decker, directrice d’une école de la cité Karl-Marx, à Bobigny, a l’art de la formule pour désigner les responsables de la déroute qui menace l’école dans l’un des départements les moins favorisés de France : la Seine- Saint-Denis. C’est là que cette institutrice, syndicaliste et citoyenne engagée, enseigne depuis plus de trente ans. Elle avait déjà commencé à raconter son expérience, l’an dernier, dans Trop classe ! Enseigner dans le 9-3 (Libertalia). Elle donne une suite à ce premier livre avec L’École du peuple. Le titre fait directement référence au pédagogue français Célestin Freinet, auteur de Pour l’école du peuple.
Dans son établissement, Véronique Decker s’efforce de mettre en œuvre cette pédagogie coopérative et émancipatrice. Mais, pour autant, son ouvrage n’a rien d’un essai universitaire sur le sujet. L’auteure livre au lecteur 64 billets pétillants, agrémentés d’anecdotes et de cas pratiques, où Freinet apparaît simplement en filigrane. Un récit très concret, donc, mais qui ne se complaît pas dans l’anecdotique. Il est aussi politique, exposant les vrais problèmes auxquels enseignants, élèves et parents sont confrontés dans ces quartiers populaires : pauvreté, santé, logement, ghettoïsation, etc., là où la délinquance ou la religion sont le plus souvent dans le viseur des médias.
L’enseignante évoque par exemple cette chaudière qui ne sera remplacée qu’après onze pannes et un trimestre parce que la mairie n’était pas en mesure de la financer (billet 38). Ou encore les heures passées à appeler le 115 pour trouver un hébergement d’urgence à des familles d’élèves (billet 44). Car être directrice d’école à Bobigny, ce n’est pas juste être chef d’établissement, c’est aussi affronter les réalités parfois tragiques que vivent les élèves et leurs familles.
Véronique Decker décrit également les impasses des réformes successives, lesquelles consistent le plus souvent à demander aux enseignants de faire mieux avec moins, le « redéploiement » des personnels qui permet d’éviter d’embaucher, les « Rep + », dernier nom des zones d’éducation prioritaire, qui lui font se poser la question : « Rep plus de quoi ? » (billet 53).
Ni angélique ni misérabiliste, souvent drôle malgré le caractère dramatique des situations vécues, ce petit livre donne à voir une école populaire loin des clichés, dans sa dure réalité, mais aussi avec humanisme et une forme d’optimisme. Pour son dernier billet, Véronique Decker écrit ainsi : « L’école du peuple, c’est un projet à construire, avec l’objectif de faire de nos enfants un seul peuple défendant un projet commun à toute l’humanité, au lieu de hisser des winners écrasant tout sur leur passage à la tête du monde à venir. »
Un ouvrage à conseiller d’urgence à nombre de nos politiques.

Vincent Richard

Réfugié, dans Silence

lundi 6 novembre 2017 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans le mensuel Silence (octobre 2017).

« Emmanuel Mbolela : semeur de solidarités entre migrant·es »

Persécuté pour des raisons politiques, l’auteur a fui la République démocratique du Congo (RDC, ex-Zaïre) en 2002, à l’âge de 29 ans. Six ans de voyage, à travers le Cameroun, le Nigéria, le Mali, le Sahara algérien, jusqu’à la nasse marocaine où il est resté bloqué quatre ans. Comme des milliers de migrants, il a été confronté au business des passeurs, au racket des douaniers, au travail forcé. C’est au Maroc que, refusant le statut de victime muette, il a fondé avec des compatriotes la première association de réfugiés congolais, l’Arcom, qui a été à l’origine de l’organisation de la défense et de la protestation contre les conditions indignes imposées aux réfugié-es. Cette association a créé au Maroc une maison de protection réservée aux femmes migrantes, doublement victimes de violences. C’est aussi là qu’il a entrepris son récit. En 2008, Emmanuel Mbolela a fini par obtenir l’asile politique aux Pays-Bas. [MD]

Emmanuel Mbolela, a dû fuir la République du Congo après la manifestation étudiante dont il a été l’un des principaux organisateurs à Kinshasa en avril 2002. Depuis, du Maroc à l’Europe, il a lutté pour déconstruire les stéréotypes liés aux migrant·es et contribuer à mettre en place des outils de solidarité.

Quinze ans après son départ de la République du Congo, Emmanuel Mbolela poursuit son combat en s’aidant de sa plume, grâce à son livre Réfugié qui a été édité en langue allemande en juin 2014, puis en français en janvier 2017 aux éditions Libertalia. Son récit entrepris en 2004 au Maroc et finalisé à Dordrecht (Pays-Bas) en 2014 relate en première partie le périple ordinaire d’un migrant qu’il résume ainsi dans son introduction : « En route vers l’Europe, comme tant d’autres, j’ai été dévalisé dans le désert, j’ai dû travailler au noir à Tamanrasset, me cacher durant des mois à Alger, puis franchir clandestinement la frontière entre Algérie et Maroc où je suis resté bloqué quatre longues années. »
Mais il n’en reste pas là ! « Au Maroc, la police poursuivait sans trêve sa chasse aux migrant.es et arrêtait sans distinction les sans-papiers et les demandeurs d’asile titulaires d’un récépissé, voire même les réfugié·es statutaires ! Et ce n’était pas le seul problème. L’accès aux soins dans les hôpitaux nous était refusé, même en cas d’extrême urgence. De même, les Ambassades des pays africains ne portaient pas secours à leurs ressortissants en détresse. Avec une dizaine de camarades, nous nous sommes battu·es sur tous les fronts pour nos droits. »
Il a fallu alerter les associations qui défendent les droits humains, le Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés, la Cimade (Comité inter-mouvements auprès des évacués), l’Église catholique, la Fédération protestante, Médecins du monde, Caritas… « Nous avons organisé des occupations de bureaux, manifesté, expliqué, négocié… Je ne suis pas resté les bras croisés pendant ces quatre années où j’ai été bloqué au Maroc », dit Emmanuel.

La solidarité entre migrant·es
Aujourd’hui, à travers ses conférences publiques et dans les établissements scolaires il fait passer des messages très simples et essentiels : par exemple que les migrant·es ne sont pas seulement des victimes, mais des femmes et des hommes capables de réfléchir à leur situation et de s’organiser. Le sens de la solidarité qu’elles développent joue un rôle essentiel. Les migrant·es forment un petit monde que personne ne connaît et qui protège des centaines de personnes. C’est entre 2004 et 2008 qu’Emmanuel a créé et commencé à développer l’Arcom (Association des réfugiés et demandeurs d’asile congolais au Maroc) pour changer le regard de ce pays sur les migrant·es.

Une maison de repos pour les femmes au Maroc
Dans son livre et dans ses conférences, il parle beaucoup des femmes, car il a pu constater au long de son périple à travers l’Afrique qu’elles étaient triplement victimes ; victimes à égalité avec les hommes, mais de plus, de la violence et de l’irrespect de leurs compagnons d’infortune, et chargées des enfants qu’elles assument le plus souvent seules. C’est pourquoi la première de ses actions dans ce Maroc inhospitalier qu’il a découvert a été la création d’une maison de repos pour les femmes, un lieu où elles vont pouvoir dormir sous un toit, trouver de l’eau, de la nourriture et une écoute, un accueil pour les enfants (une sorte d’école alternative), puis petit à petit apprendre elles-mêmes à lire et à écrire, rencontrer des familles marocaines, leur parler, se faire accepter…
Aujourd’hui, l’association Arcom qu’Emmanuel continue de présider et où il se rend chaque année loue trois appartements à Rabat, qui permettent de recevoir une trentaine de femmes. Trois personnes y assurent l’accueil et l’entretien. « Des structures d’accueil comme celle-là, il en faudrait dans toutes les grandes villes du Maroc, mais les frais de fonctionnement (qui s’élèvent déjà à 5 000 € par mois) nécessitent un travail de recherche de financement épuisant auprès de toutes sortes d’institutions : l’Union européenne, des ONG, le réseau Afrique-Europe-Interact, constitué début 2010 au niveau transnational. Le Forum Civique Européen, réseau international de solidarité qui organise des interventions directes avec de simples citoyens engagés, mettant ainsi en lumière des dysfonctionnements sociaux peu ou pas dénoncés. »

« En Afrique, manger seul, ça n’existe pas »
Le 1er avril 2008, Emmanuel découvre l’Europe. On lui avait proposé une place dans un programme d’installation en Hollande. L’accueil à Amsterdam a été bon, trois mois plus tard il a trouvé un logement dans un village touristique où il était le seul Congolais. C’était l’isolement total. Anonymat dans l’immeuble et dans la ville où chacun vit pour soi. « Difficile de manger. Manger seul, ça n’existe pas en Afrique. Au Maroc, cette convivialité existait. Les réfugiés, avec ou sans papiers, faisaient la cuisine ensemble et partageaient le repas (qu’ils aient pu participer à l’achat de la nourriture ou pas). »
Au bout d’un an, il essayera de faire venir des membres de sa famille. La première condition pour effectuer la demande est d’avoir un contrat de travail stable et de gagner un salaire supérieur au minimum garanti. Qui peut obtenir ça ?
Ensuite, des quantités de documents certifiés par l’ambassade des Pays-Bas à Kinshasa sont exigés. « Une première fois, cela m’a coûté 3 000 € et je n’ai jamais reçu les pièces validées. Envolées ! elles étaient soi-disant reparties par la valise diplomatique. Il a fallu recommencer toute la procédure. La deuxième fois, j’ai eu recours à une messagerie privée, cela a coûté 5000 € et la demande a été rejetée. Deux ans de démarches sans résultat ! »
Depuis, il a eu l’opportunité de s’engager au sein du réseau Afrique-Europe-Interact et d’effectuer des missions dans de nombreux pays. Ses voyages lui ont permis de constater que des centaines de millions étaient consacrés à ériger des défenses inutiles telles que frontières, murs, sans jamais soulever les vraies questions sur ce qui pousse des jeunes à mordre à l’hameçon de groupes terroristes. « Je fais mienne la phrase de Malala Tousafzai (jeune femme afghane) : “Avec les armes on peut tuer les terroristes, mais avec l’éducation on tuera le terrorisme.” »

Entretien avec Monique Douillet le samedi 20 mai au Centre culturel Boris Vian à Vénissieux où se tenait une conférence. Publié dans le mensuel Silence (octobre 2017).

Le Grand Soir dans Siné Mensuel

lundi 6 novembre 2017 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Dans Siné Mensuel, octobre 2017.

L’orage des révoltes en marche

Ce que visent à la fin du XIXe siècle les bosseurs en pétard misant sur le Grand Soir, ce n’est pas de toucher un peu plus, c’est le « chambardement général ».
Un brûlot des éditions Libertalia tout à fait d’actualité est axé sur ce trip insurrectionnel.

Avec une exaltation et une minutie irrésistibles, la nouvelle venue Aurélie Carrier retrace l’histoire de l’attente bouillante du Grand Soir à la Belle Époque. Une histoire qui commence par un constat cinglant : après 122 ans, rien n’a changé. Comme sous la monarchie, il y a des châteaux et des taudis, des riches étoffes et des haillons, des myriades de victuailles et des crève-la-faim, du charbon à la pelle et des gelés jusqu’aux os. Pas de doute, les fieus : l’exploitation de l’homme par l’homme continue. Ce qui amène à la longue les prolos « aux yeux farcis de bouse de vache », comme les décrit Émile Pouget, à imaginer un remède féerique à tous leurs maux : « L’embrasement de la société en un seul soir. » « Le vent souffle en tempête et tout flambe, précise Idan Ehrly dans Le Libertaire du 8/10/1899. Les usines où tant d’esclaves laissèrent leur peau, les casernes où tant de pauvres enfants laissèrent leur cœur, les églises où tant d’humiliés laissèrent leur cerveau ; et les banques, les palais et les lupanars, tout flambe… »
C’est le moment pour Aurélie, restons concret, de s’interroger sur « la capacité de résonance de ce rêve du Grand Soir sur les pratiques sociales » d’hier et d’aujourd’hui. Et de battre le rappel des divers modes de combat fulgurants contre l’ordre autoritaire-marchand influencés par l’obsession du grand grabuge : les destructions judicieuses, le syndicalisme révolutionnaire à la Père Peinard, la grève insurrectionnelle, le sabotage, l’expérimentation de contre-sociétés jouissives…
On reste dans le noir de la révolte anarcho-flibustière sans quartier avec le tout premier ouvrage non-romancé (palpitant de bout en bout, des hourras pour Yves Meunier !) sur la téméraire Bande noire (éd. L’Échappée) qui, entre 1882 et 1884, dans le bassin minier de Saône-et-Loire, dynamita moult édifices religieux et résidences de petits chefs serviles.

Noël Godin

La Révolution russe dans Siné Mensuel

lundi 6 novembre 2017 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Dans Siné Mensuel, septembre 2017.

« La liberté ou la mort ! »

La vraie révolution russe spontanée, fraternelle, enivrante, anti-chefs, anti-flouze, anti-popes, anti-koulaks a réellement eu lieu avant d’être massacrée à la tronçonneuse capitaliste d’État.

Pour bien avoir les yeux en face des troubles qui ont balayé en Russie l’autocratisme tsariste, qui ont ponctué en 1905 et 1917 de balèzes insurrections libertaires ébauchant un monde nouveau et qui ont été dégueulassement vampirisés par le « fascisme rouge » lénino-stalinien, trois livres réellement bien fricassés cavalcadent depuis peu tels des cosaques de la liberté sans mors ni sangles.
Soit deux rééditions choc. Celle de La Révolution russe (1934) de l’ultra passionnant historien anar Voline (éd. Libertalia), un tableau synthétique éperonnant des combats anti-absolutistes dans le pays de 1825 à 1934. Et Makhno une épopée (1972) d’un des principaux chantres de l’illégalisme rouge et noir, Malcom Menzies, qui retrace puissamment chaque épisode de la « makhnovchtchina », une tentative réussie entre 1917 et 1921 de révolution paysanne radicale en Ukraine méridionale acculée pour survivre à livrer bataille à la fois contre les armées blanches, contre les nationalistes ukrainiens puis contre l’Armée rouge commandée par Trotski.
La troisième sortie devrait faire grimper à l’échelle Poutine (le bon peuple retrouvant sa mémoire pourrait se réveiller !), c’est celle de Vive la révolution, à bas la démocratie ! (Mutines séditions), une reconstitution collective costaude des grèves, expropriations, attentats et émeutes qui ont panaché en 1905 l’émergence des premiers soviets hors partis et syndicats.

Noël Godin