Le blog des éditions Libertalia

Tenir la rue, dans la revue de l’Ours

jeudi 11 septembre 2014 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

L’Office universitaire de recherche socialiste (Ours) édite une revue mensuelle qui rend compte des publications et films évoquant la culture et l’histoire du parti socialiste. Le numéro 440 (juillet-août 2014) chronique le livre de Matthias Bouchenot.

Prenez garde !

On se souvient de l’agression contre Léon Blum, le 13 février 1936, molesté violemment par des Camelots du roi. Comme si la violence n’appartenait pas à la culture socialiste, on a oublié l’expédition punitive lancée le soir même par les TPPS (Toujours prêt pour servir) de Pivert contre une réunion de l’Action française, dans le Ve arrondissement, qui s’est soldée par plusieurs blessés dont un grave dans les rangs de l’extrême droite.

Ce livre de Matthias Bouchenot, tiré de son mémoire de Master 2 et préfacé par Frank Georgi, est passionnant. Un plan chronologique aurait à notre avis évité des redites et resserré le propos, mais son travail rigoureux sur un terrain de recherche peu exploré (ou évoqué de façon « héroïque » et virile dans les mémoires des acteurs : Zeller, Guérin…) tire le maximum des maigres sources internes de ces mouvements, de celles de la police, comme de la presse socialiste (notamment celle des jeunes et des étudiants), communiste, d’extrême droite.

Au lendemain du congrès de Tours, les socialistes – privés des jeunes ayant rejoint la SFIC –, ont déserté la rue et leurs réunions sont perturbées par les communistes et l’extrême droite. En 1929, des éléments de gauche (Bataille socialiste) de la fédération de la Seine créent un Groupe de défense (GD) : les orateurs socialistes sont désormais protégés. De même, côté Étudiants et Jeunesses socialistes, la présence se muscle à Paris, mais aussi dans les grosses fédérations, du Nord (où le modèle des JS belges disciplinées est copié) ou du Sud-Ouest. « Prenez garde… », avertissait le Chant des Jeunes Gardes, composé par Montéhus en 1911 pour le service d’ordre créé par Gustave Hervé : il est repris par les jeunes gardes socialistes (JGS) des années 1930. Au lendemain d’un meeting SFIO salle Japy L’Humanité du 19 octobre 1930 qui jusqu’alors raillait la faiblesse socialiste face aux « prolétaires communistes » déplore : « Le service d’ordre veille. Il faut la fermer ou sortir ! » L’efficacité des GD est actée par la fédération de la Seine, et le Parti se laisse convaincre. La montée des fascismes et le 6 février 1934 changent la donne.

Un comité de vigilance auquel appartient Blum fixe les règles de conduite des GD  : si l’autodéfense est organisée et hiérarchisée par régions, il ne s’agit en aucun cas d’une organisation paramilitaire secrète : elle prend au grand jour les mesures nécessaires pour assurer la présence du Parti, la sécurité de ses réunions et peut envisager de riposter en cas de coup dur. GD et JGS adoptent un uniforme : chemises bleues, cravates rouges et brassards bientôt frappés des trois flèches. En 1935, avec les TPPS mis en place dans la fédération de la Seine essentiellement autour de la Gauche révolutionnaire (GR), et de ses bastions des XVe, XVIIIe et XXe arrondissements, une autre conception tente de s’imposer : ne faut-il pas substituer à l’autodéfense une stratégie offensive voire révolutionnaire ?

L’étude sociologique de ces groupes, qui mobilisent moins de 500 militants, et les dizaines de portraits brossés par Matthias Bouchenot, montrent la diversité des parcours, et l’ancrage ouvrier. Son étude du drame de Clichy en mars 1937 (six morts côté manifestants, un policier tué, et des centaines de blessés), quand « la police de Marx Dormoy » tire sur des militants de gauche qui s’opposent à la tenue sur ses terres d’un meeting d’extrême droite, invite à une relecture stimulante de l’histoire des socialistes au prisme du débat sur l’usage de la violence dans l’espace public. Le mode d’action des TPPS pèsera dans la dissolution de la fédération de la Seine et l’exclusion de la GR en 1938.

Frédéric Cépède

Paris, bivouac des révolutions, dans le Combat syndicaliste

jeudi 11 septembre 2014 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Article paru dans Le Combat syndicaliste, août 2014.

La Commune, une histoire anglaise

Habituellement, les ouvrages sur la Commune se centrent sur une chronologie épique, quasi mythologique, des combats et un peu des débats, en démarrant par la Butte Montmartre, au moment où le peuple de Paris refuse de livrer les canons qu’il a payé à travers des souscriptions. Ce qui fait l’impasse sur les contextes sociopolitiques en amont et la diversité des hypothèses d’interprétations après coup.

Cet ouvrage n’évacue pas certains retours utiles sur la défaite de Sedan, l’état d’esprit des Parisiens assiégés mais épargnés, le discrédit de l’armée française défaite par les Prussiens et l’importance, en contrepoint, de la Garde nationale, formée de volontaires d’opportunité : « Le peuple de Paris était devenu le facteur déterminant dans la continuation de la guerre », écrit Robert Tombs dans cette synthèse qui a le mérite d’une grande clarté. Et, dans une certaine mesure, pour la réussite temporaire de la Commune, ce prolétariat de la capitale a profité de la situation de guerre perdue, et d’un sursaut patriote de l’enclave parisienne.

Regard décalé

On a bien eu un historien américain, Robert Paxton, pour plonger avec du recul dans les années noires d’une collaboration bien française. On retrouve cet œil extérieur avec le regard d’un Anglais, Robert Tombs, pour nous parler de la Commune et la replacer dans ses problématiques, sa dynamique complexe, jusqu’aux interprétations données selon les familles et courants politiques, historiques voire sociologiques et urbanistiques. Tombs reprend tous les éléments d’ordinaire considérés comme acquis et les remet en lumière. Quitte à mettre à plat les thèses divergentes en vigueur, en relativisant aussi, quand il le faut, les écrits des acteurs directs de la Commune dans leurs mémoires. Ainsi la question maintes fois rappelée de l’inconséquence de la Commune qui aurait pu, qui aurait dû, selon certains, exproprier l’or de la Banque de France et qui ne l’a pas fait. Ou l’importance de l’opposition récurrente, réitérée en 1830 et 1848, à l’Empire, et l’armement de la Garde nationale qui permettra très concrètement de donner une réalité à la figure collective du peuple en armes, révolutionnaire, disposant de fusils et de canons bienvenus que le populo n’aurait jamais détenus en temps normal. On retrouve aussi le jeu des tendances, les blanquistes persuadés d’incarner l’avant-garde éclairée et parfois un peu seuls, les membres de l’Internationale, les références en droite ligne avec la Révolution d’avant la Terreur. L’historien s’intéresse à l’esprit divers, bouffe-curé, républicain, antiautoritaire pas complètement, ou pas unanimement… Il arpente aussi les mesures immédiates, sociales, même si la situation de défense militaire de la capitale face aux versaillais a assez vite mis au second plan ces pouvoirs délégués et révocables, ou l’ardoise des loyers en retard annulée par décret.

Figures de communardes

L’auteur interroge par ailleurs les mythes, les barricades nombreuses comme jamais mais pas toutes défendues ; l’importance des attentistes, ni hostiles ni partisans viscéraux de la Commune ; ou le rôle des femmes, plus limité que certaines visions mythiques ont voulu le laisser penser, avec a contrario<code>, la fabrication utile du mythe de la « pétroleuse », héroïne diabolisée justifiant une répression aveugle, pas limitée aux seuls hommes. Et certaines nuances sur l’émancipation des femmes pendant la Commune, au sein d’un mouvement ouvrier qui les voyait plus à la maison qu’à l’atelier, parfois avec l’argument paternaliste de protéger la compagne, l’épouse ou la fille de l’exploitation capitaliste. Les figures de Nathalie Lemel ou de Louise Michel ont pu occulter le rôle moins en première ligne des autres communardes.

Ce livre interroge avec une distance critique des notions qui ont dépassé l’épisode pourtant durablement traumatique de la Semaine sanglante : la Commune a-t-elle sauvé la République ? Ces deux mois insurrectionnels et de gouvernement populaire proche de l’autogestion ont-ils constitué une véritable révolution sociale, populaire, voire culturelle ? Des questions qui s’inscrivent dans la dynamique, toujours vive, évolutive de l’histoire de la Commune et de ce qu’elle nous peut nous dire, depuis son XIXe siècle, pour les luttes de demain, tous les mouvements de « Ceux d’en bas » qui est le nom de la collection dans laquelle ce bouquin s’inscrit.

Nicolas, Interco-Nantes

Changer l’école, dans L’Humanité

jeudi 11 septembre 2014 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Chronique parue dans L’Humanité du 20 juin 2014.

Vers une autre école pour une transformation sociale

La récente anthologie de la revue N’Autre École rassemble des enseignants et éducateurs déterminés à changer l’école pour changer la société. Pour ces militants, la pédagogie est inévitablement sociale et émancipatrice, contestataire. Elle doit permettre à tous les enfants de s’exprimer et de se révéler, loin des abus d’autorité, de l’évaluation chiffrée permanente et du tri social que l’école néolibérale généralise. Éditée par la CNT, cette revue ouvre largement ses colonnes à des militants du mouvement Freinet ou du Gfen (Groupe français d’éducation nouvelle). À la marge d’une institution qu’ils mettent en cause de l’intérieur, souvent en butte à leurs hiérarchies, ils revendiquent le droit à une coformation continue, qu’Antoine Prost plaçait à la source de l’identité professionnelle des enseignants. L’article de Peter Benoît atteste de la vitalité de telles pratiques au sein du collectif d’enseignants TCF (Transmettre, communiquer, se former). Un ouvrage qui donne des raisons de croire en une autre école.

Nicolas Mathey

Instantanés du festival « La Belle Rouge »

mercredi 6 août 2014 :: Permalien

Du 25 au 27 juillet 2014.

Saint-Amant-Roche-Savine (Puy-de-Dôme) est un village de 540 habitants perché à 900 mètres d’altitude, fief du député André Chassaigne (PCF). Depuis une dizaine d’années, la compagnie Jolie Môme y organise, chaque dernier week-end de juillet, le festival « La Belle Rouge ». S’y rassemblent environ un millier de personnes. À l’affiche, un efficace mélange de culture populaire (théâtre, concerts), de bonne chère (truffade et aligot) et de contestation (conférence des Fralibs, discussions sur l’intermittence et même une manifestation de solidarité avec le peuple palestinien dans les rues de la sous-préfecture d’Ambert). Arrêtons-nous un instant sur les trois spectacles proposés cette année.

Rallumez
tous les soleils.
Jaurès ou la nécessité du combat

Convoquer la mémoire de Jaurès et de ses combats à l’heure du centenaire de son assassinat n’est pas chose aisée tant on craint de se retrouver face à une mise en scène lourdement didactique ou incantatoire. La compagnie Aigle de sable (issue du théâtre de l’Épée de bois) déjoue le piège en s’intéressant tout autant à Charles Péguy qu’à Jaurès, de l’affaire Dreyfus au sinistre mois d’août 1914 et en dressant le portrait d’une génération politique en quête d’absolu. On vibre avec le jeune directeur des Cahiers de la Quinzaine quand il dénonce le parlementarisme et énonce qu’« il y a trop de gros dans le parti des maigres » ; on loue l’anticolonialisme du fondateur de L’Humanité et la dénonciation d’une société « qui porte en elle la guerre comme la nuée l’orage ». La lente dérive nationaliste et mystique de Péguy [Alexandre Palma Salas] – qui le mène aux frontières de l’infâme – est finement peinte : « Jaurès, ce grossier maquignon du Midi a vendu la France au Kaiser. Il faut le poignarder dans le dos. »
Ponctué de chants de lutte et d’intermèdes à l’accordéon [Guillaume Van’t Hoff], ce spectacle de deux heures écrit par Jérôme Pellissier (repris à la Cartoucherie en novembre) gagnerait en rythme s’il était raccourci d’une quinzaine de minutes.

Naz,
de Ricardo Montserrat

Changement radical de registre pour cette pièce coup-de-poing sur la mouvance néonazie. Pendant près d’une heure, un acteur seul en scène [Henri Botte, remarquable] dégueule une abjecte logorrhée identitaire. Le crâne rasé à blanc, vêtu d’un treillis camouflage, d’un polo Lonsdale et d’une paire de baskets Fred Perry, il fait des tractions, de la corde à sauter puis des étirements tout en hurlant son dégoût des profs et de l’institution scolaire, des immigrés qui volent le pain des Français, d’une société qui a perdu la mémoire et le sens de la solidarité. Le personnage claironne sa passion de la violence et des armes, du stade, du mouvement gabber et de l’idéologie national-socialiste. Un croisé de l’extrême droite dont la tactique du « loup solitaire » n’est pas sans rappeler Anders Behring Breivik.
Écrit par Ricardo Montserrat à la suite de rencontres avec des jeunes de la région Nord-Pas-de-Calais, ce spectacle a été joué plus de 160 fois, dont la moitié dans des lycées. Nécessairement suivie par une discussion avec le metteur en scène Christophe Moyer, cette performance un peu confuse bouscule le spectateur et le met mal à l’aise. Pour quelle finalité ?

Jean la Chance,
Brecht

Le ciel est bas et lourd, le vent se lève, les spectateurs les plus prudents sont venus avec leur parapluie, mais rien n’inquiète la troupe itinérante « Ton und Kirschen » [basée à Werder, Brandebourg], fût-ce jouer Brecht en plein air, sous la pluie et en français.
Retrouvée il y a une quinzaine d’années dans les archives du Berliner Ensemble, Jean la Chance [Hans im Glück] est une pièce de jeunesse du grand dramaturge allemand. Rédigée en 1919 à l’âge de 20 ans, inspirée d’un conte des frères Grimm, « œuf à moitié pourri », l’esquisse méritait pourtant de sortir des tiroirs. Dans cette succession de tableaux, Brecht narre le destin d’Hans, un costaud un peu idiot qui perd successivement sa femme, sa ferme, son oie, sa roulotte, sa veste enfin, mais opte pour une vie libre et joyeuse, empreinte de sensualité et d’ivresse. Sur scène, ils sont huit et les changements de décor se font en musique : banjo, violon et accordéon. La dramaturgie s’inscrit dans la double tradition du théâtre de tréteaux et des arts forains. Un spectacle populaire pour les grands et les petits, mais également un virtuose hommage à ceux d’en bas.

N.N.

Qui sème le vent récolte la tempête

jeudi 24 juillet 2014 :: Permalien

Un article de Dominique Vidal publié sur le blog Nouvelles d’Orient du Monde diplomatique. ce mercredi 23 juillet et traitant des questions posées ces dernières semaines à propos des mobilisations sur Gaza.

« Autant l’affaire de la synagogue de la rue de la Roquette, le 13 juillet, était, toutes les vidéos en témoignent, une provocation montée de toutes pièces par la Ligue de défense juive (LDJ), autant les affrontements de Sarcelles, le 20, ne sauraient être réduits à ces agissements. Nous sommes certes loin des “ pogroms” évoqués par Rober Cukierman, le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF). Mais le jet de cocktails Molotov contre une synagogue et l’incendie d’un magasin tenu par un Juif n’en constituent pas moins des actes graves, surtout dans une ville caractérisée par la coexistence de populations juives et musulmanes massives.
Ces développements inquiètent donc à juste titre les deux communautés, mais aussi tous ceux qui ont à cœur le tissu démocratique de la société française et redoutent le poison que représente pour celle-ci l’actuel sursaut de racisme. Encore faut-il, afin de combattre ce dernier, établir clairement les responsabilités.
La plus lourde revient évidemment au gouvernement israélien. Le seul nombre des victimes — plus de trente-et-un Israéliens, presque tous soldats, et plus de six cent trente-neuf Palestiniens, en majorité civils — en dit long sur le cortège de crimes de guerre et contre l’humanité perpétrés par l’armée israélienne. Comment imaginer que la vision quotidienne de femmes et d’enfants tués ou blessés n’ait pas d’effet sur l’image que l’opinion publique se fait des Juifs ? Certes, il est absurde de confondre israélien et juif. Mais que fait Benyamin Netanyahou lorsqu’il répète qu’Israël est “ l’État du peuple juif ” et exige qu’il soit reconnu comme tel ? »

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