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mardi 25 novembre 2014 :: Permalien
Chronique de Éditocrates sous perfusion par le blog Un chiffon rouge, datée du 9 novembre 2014.
Je viens de lire Sébastien Fontenelle : Éditocrates sous perfusion (Libertalia, 2014).
Nous sommes abreuvés au quotidien d’informations plus ou moins fiables provenant toutes du même moule libéral : trop d’assistanat, l’État providence doit faire des économies, etc.
Si l’on y prend pas garde, il n’y a pas d’alternative à ce schéma, apparemment peu usé, qui nous « informe » du matin au soir. Que ce soit dans les journaux, à la télé ou à la radio, ce sont les mêmes discours, faits d’ailleurs par les mêmes gens, largement issus de la presse écrite privée mais intervenant aussi sur les chaînes publiques.
Dans son livre, Fontenelle raconte l’histoire des subventions dont cette presse écrite privée bénéficie, comment et depuis quand, les différentes réformes dont elle a bénéficié alors que les différents rapports de contrôle de la cour des comptes montraient l’inefficacité de ces subsides.
Une chose est certaine, et le référendum de 2005 en a été le parfait exemple, le rapport entre le citoyen et l’information a changé. Le burin et le marteau ne suffisent pas à lui inculquer l’information libérale pourtant généreuse (puisque subventionnée ?).
Pourtant, ces intellectuels de haute volée profitent sciemment, usent et abusent du service public pour répéter inlassablement les mêmes fadaises. Ces types sont tout de même les seuls donnant leur avis sur la politique de l’État à la plus grande partie des gens, celle qui ne cherche pas à s’informer (vraiment).
Un coup d’arrêt est nécessaire. Ce sont nos impôts qui les subventionnent, ce sont nos impôts qui leur donnent moult occasions de déverser leur haine de l’impôt.
Il faut créer un observatoire citoyen de regard d’utilisation des subventions à la presse et de la redevance, une association qui passerait au crible non seulement ce que nous versons, mais aussi ce que nous donne en retour subventions et redevance. Il faudra aussi réclamer un droit de réponse à chaque dénonciation de l’assistanat par ces prêcheurs de la religion capitaliste.
Je sais, faut que, y’aura qu’à. En attendant, je balance une idée sur le Net, voilà.
Papadakis
mercredi 19 novembre 2014 :: Permalien
Chronique parue dans Alternative libertaire (novembre 2014).
En 2011, Cuervo chroniquait déjà dans ces pages la première édition de ce petit livre salutaire qui est aujourd’hui toujours d’actualité et qui a d’ailleurs été réédité en mai 2013 dans une édition augmentée.
Membre du PS jusqu’en 1994, Alain Bauer devient un tenant de l’idéologie sécuritaire lors d’un séjour aux États-Unis. Il rassemble des intellectuels et professionnels issus de la gauche anticommuniste, de l’extrême droite des années 1960, des droites ultralibérales et néoconservatrices. Son arrivée à la tête du Grand Orient de France en 2000 élargit son réseau aux dirigeants économiques et politiques.
L’idée de base est que dorénavant, la criminalité prend des formes multiples, sans direction repérable. Ce caractère insaisissable permet de designer comme ennemi tout individu ou groupe tant soit peu contestataire. On comprend ce que les thèmes sécuritaires ont d’artificiel.
Bauer a créé sa propre société de sécurité AB Associates. Juges et parties, lui et sa bande manœuvrent pour jouer le double rôle d’experts et de prestataires. Un marché du sécuritaire se crée de lui-même, par la multiplication des « études » sur les taux de délinquance, et le déploiement de forces policières provocatrices dans les quartiers populaires. Parallèlement, Bauer s’emploie à conquérir une légitimité intellectuelle. Par la création ou le noyautage de revues – Le Meilleur des mondes, L’Élite européenne – ou de structures de recherche – Institut social du travail, Institut d’histoire sociale, Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice – pour l’approche policière et judiciaire. Par l’aménagement de « niches » dans les médias grand public : apparition « d’experts » dans С dans l’air sur France 5, réalisation et production du documentaire Ces musulmans qui disent non à l’islamisme (diffusé par Arte) de Antoine Vitkine et Daniel Leconte. Le démarchage pour les diagnostics et les plans locaux « de sécurité » porte ses fruits : la demande des municipalités explose. En proie aux conséquences des politiques ultralibérales, la société devient mûre pour adhérer à l’idéologie sécuritaire.
Ses thèmes deviennent centraux dans la campagne de Chirac en 2002. Sarkozy finit le travail à l’Intérieur, puis à la présidence. Ce sont alors les institutions qui se transforment : unification des RG et de la DST au sein de la DCRI, fusion de différentes instances pour créer le Conseil de défense et de sécurité nationale, la Cour supérieure de la formation et de la recherche stratégique.
Militants à l’Unef-ID dans les années 1980, Bauer et Manuel Valls reprennent contact à la fin des années 1990. Le PS bascule ouvertement vers le répressif.
La nomination de Valls à l’Intérieur en 2012, puis à la tête du gouvernement, a valeur de message. « Des Bauer et des Raufer sont produits à la chaîne chaque année dans les grandes écoles […]. La bande à Bauer ne doit sa longévité qu’à cet opportunisme qui lui permet de conserver une place à la table de tous les partis de gouvernement. Les idéologues sécuritaires ont pour mission de légitimer le contrôle, la surveillance et la répression de tout ce qui résiste […] ou existe contre les intérêts des classes dominantes. »
Patrick (AL Montpellier)
mercredi 19 novembre 2014 :: Permalien
Chronique parue dans le numéro d’octobre 2014 d’Alternative libertaire.
C’est un projet ambitieux que celui de ce premier ouvrage de Matthias Bouchenot, consacré aux groupes d’autodéfense de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) dans les années 1930. Projet historique en premier lieu, c’est avec la méthode minutieuse de la science historique, que l’auteur nous engage sur les traces de ces groupes dans un style particulièrement clair et accessible. Projet militant sans doute aussi, puisque derrière cette exploration, et bien que Matthias Bouchenot se garde toujours de prendre ces groupes comme exemples ou contre-exemples pour la situation actuelle, il est évident que l’on obtient l’une des investigations les plus fines de ce que peut être l’autodéfense antifasciste organisée.
La principale force de ce travail réside dans la contextualisation qui entoure les Groupes de défense (GD), Toujours prêts pour servir ! (TTPS) ou encore les Jeunes Gardes socialistes (JGS). Loin de nous les présenter comme de simples exécutants, l’auteur montre la place qu’occupe chaque groupe dans l’action, mais aussi dans les enjeux internes à la SFIO, à commencer par la classique opposition entre révolutionnaires et réformistes. On apprend ainsi que si ces groupes interviennent rarement directement dans ces conflits, ils n’en sont pas moins concernés, qu’il s’agisse de leur direction, des moyens qu’on leur attribue, voire de leur existence même. À l’occasion, ils peuvent se retrouver sur le devant de la scène, comme quand se pose l’épineuse question de la synthèse entre l’antimilitarisme des militants et la structuration efficace de groupes d’autodéfense. Sur ce point, on pourra parfois reprocher à l’auteur une tendance à être un peu plus jargonnant quand il s’agit de traiter de ces différents courants, laissant parfois un peu démuni le lecteur peu initié à cette période et à ses enjeux politiques. Fort heureusement, cette tendance est contrebalancée par une explication très fine des conséquences de ces enjeux, et il sera toujours possible à celui ou celle qui souhaite mieux les comprendre d’aller se documenter sur la question.
L’autre aspect essentiel de Tenir la rue se trouve du côté d’une histoire plus sociale. Une attention poussée aux caractéristiques sociales des membres de ces groupes permet de confirmer ce que l’on pouvait supposer sans en avoir de preuves (ainsi par exemple du faible nombre de femmes dans les TTPS, bien qu’elles ne soient pas totalement absentes). Mieux, l’analyse en profondeur des professions révèle des disparités internes, qui laissent deviner les rapports de domination, en particulier entre travailleurs intellectuels et ouvriers. Enfin, la reconstitution détaillée, en utilisant différentes sources, des événements du 16 mars 1937, où une manifestaion antifasciste tourne à l’émeute et où six manisfestants perdent la vie, permet une compréhension du fonctionnement de ces groupes dans l’action même.
Matthias Bouchenot nous propose avec ce livre une analyse rigoureuse de l’histoire, qui si elle ne vise pas à donner des leçons aux antifascistes d’aujourd’hui, peut les éclairer dans l’organisation de leur combat.
François Dalemer (AL Paris Sud)
lundi 17 novembre 2014 :: Permalien
Au théâtre de la Belle Étoile jusqu’au 21 décembre, puis en tournée.
Voir le site de la compagnie Jolie Môme.
C’est au terme d’une année principalement consacrée aux luttes des intermittents que la compagnie Jolie Môme présente son nouveau spectacle sur la période 1914-1919 : La Mémoire nous joue des tours. Bien que montée en quelques semaines, cette pièce d’une durée d’une heure quarante-cinq est pourtant l’une des plus réussies parmi toutes celles que la troupe de Saint-Denis (93) a présentées ces dernières saisons.
Sur scène, ils sont une dizaine, dont quatre comédiennes. Le récit débute le 31 juillet 1914, en musique, autour de la figure de Gaston Brunswick, dit Montéhus, auteur de chants révolutionnaires anticonceptionnistes et antimilitaristes comme La Jeune Garde, La Grève des ventres ou encore Gloire au 17e. C’est à Cyril Chellal, un vétéran de la compagnie, qu’échoit le rôle du chansonnier, ami de Lénine, qui bascula peu après, à l’instar de la grande majorité du mouvement ouvrier, dans le camp belliqueux et cocardier. C’est ce même 31 juillet 1914 qu’est assassiné Jaurès au café du Croissant et, comme le rappelle la troupe, l’oraison funèbre du leader socialiste permit à Léon Jouhaux, responsable de la CGT, de justifier son ralliement à l’union sacrée : « Jaurès a été notre réconfort dans notre action passionnée pour la paix. Ce n’est pas sa faute, ni la nôtre, si la paix n’a pas triomphé. Avant d’aller vers le grand massacre, au nom des travailleurs qui sont partis, au nom de ceux qui vont partir, dont je suis, je crie devant ce cercueil toute notre haine de l’impérialisme et du militarisme sauvage qui déchaînent l’horrible crime. […] Acculés à la lutte, nous nous levons pour repousser l’envahisseur, pour sauvegarder le patrimoine de la civilisation et d’idéologie généreuse que nous a légué l’histoire. » Les sociaux-démocrates allemands (y compris Karl Liebknecht) qui voteront les crédits de guerre ne diront pas autre chose. Dès lors, les peuples pourront s’entretuer.
Les résistances ouvrières à la guerre sont incarnées par le personnage (rajeuni) de Rosa Luxemburg [Marie Chassot], pleine d’allant révolutionnaire et d’espoir en l’avenir, infatigable et sémillante internationaliste. La mise en scène de Michel Roger propose de nombreux moments cocasses, à l’image du face-à-face entre Max de Bade, dernier chancelier de l’Allemagne impériale (1918) confiant le pouvoir au social-démocrate Friedrich Ebert. Celui-ci arbore un beau costume de parlementaire, une cravate rose et des bretelles rouges (pour le prolétariat) bien cachées sous sa veste, mais qu’il sait exhiber à chaque moment opportun.
Spectacle brechtien à visée pédagogique convoquant la mémoire militante mais également divertissement en musique et en rythme, La Mémoire nous joue des tours est l’une des rares pièces du moment à s’inscrire dans une tradition du théâtre de tréteaux au service de ceux d’en bas. À ne pas manquer.
mercredi 12 novembre 2014 :: Permalien
Article publié dans le numéro 1750 (du 2 au 8 octobre 2014) du Monde libertaire.
L’École des barricades, vingt-cinq textes pour une autre école, 1789-2014, c’est le titre de l’anthologie que nous a concocté Grégory Chambat pour cette rentrée des classes où une ministre chasse l’autre sans pour autant remettre en cause la grande machine à lessiver les cerveaux et à enfermer les corps. Il s’agit donc d’une anthologie, mais elle ne repose pas seulement que sur le savoir théorique de l’auteur mais sur ses vingt années d’expérience d’enseignement en collège, son implication au sein de la fédération CNT de l’éducation et de son engagement dans la revue N’Autre école qui œuvre pour une révolution sociale, éducative et pédagogique. Autant dire que les textes que Greg a retenus, aux prix de choix cornéliens (programme oblige), résultent d’une réflexion qui visent à ouvrir notre champ de réflexions sur la question centrale de l’éducation et de ses liens indéfectibles avec l’émancipation pour les uns, l’aliénation et le contrôle social pour les autres. Les textes publiés ici sont rapidement présentés ainsi que leurs auteurs, tout cela calibré à 10 000 signes (assorti d’une petite bibliographie thématique en fin de volume) afin d’en faciliter la découverte et la lecture. Le tout dans une écriture agréable qui pousse à toujours lire le chapitre suivant. Présentation ramassée et textes brefs, autant dire pédagogiques, qui de fait ne sont que des incitations, une invitation, à continuer et approfonfir avec d’autres supports. Textes concis qui tous sont issus de la même volonté : « Réaliser l’instruction par la révolution et la révolution par l’instruction » comme l’écrivait Maurice Dommanget. Tous sauf un qui, en fin de volume, celui concerne les Réac-puplicains, rappelle les thèses les plus conservatrices et leur haine de l’égalité en général et de l’égalité des intelligences et de tous devant le savoir en particulier. Les extraits proposés couvrent une large période, des conceptions de Fourier – « inventeur » selon plusieurs auteurs de la pédagogie libertaire, – reprises par Proudhon : l’école-atelier et l’enseignement intégral ou l’éducation conjointe de la main et du cerveau qui vise l’épanouissement des individus ; à celles contemporaines de Noëlle Smet qui nous rappelle « qu’une pratique pédagogique va toujours de pair avec une vision politique » (p. 193) explicite ou non ou encore celle de Charlotte Nordmann qui souligne opportunément le lien entre l’école et le marché et dont la fonction est avant tout de nous faire accepter et « reconnaître l’ordre social [… et de nous] y soumettre » (p. 203). Entre ces deux pôles, un extrait de l’œuvre de « l’ignorant » Jacotot et son ambition de « mettre l’élève en position d’apprendre » (p. 24), de l’incontournable Pelloutier à la recherche de la science de son malheur, de Ferrer et de son école moderne et d’Albert Thierry qui souhaitait tirer toute sa pédagogie de ses élèves (p. 82). Mais aussi extraits de Korczak et son destin tragique à la fin de sa petite République éducative et du mouvement Freinet pour lequel « sans la révolution à l’école, la révolution politique et économique ne sera qu’éphémère » (p.113). Et de quelques autres évocations encore qui favorisent la découverte de cette pédagogie des barricades souvent fortement teintée de pédagogie libertaire. Hormis ce survol des grands classiques des pédagogies de l’émancipation et de ses militants, l’auteur grâce à quelques pas de côté, nous permet de (re)découvrir l’ambition pédagogique de la Commune de Paris ainsi que le rôle des instituteurs syndicalistes de L’École émancipée qui affirmaient que seul « l’instituteur, homme libre, pourrait librement instruire et former des hommes libres » (p. 76) ; voire, de nous sensibiliser à la « pédagogie sociale » de Helena Radlinska/Laurent Ott. Sans oublier la plus récente pédagogie institutionnelle et ses conseils (au sens de soviet) d’élèves dont l’un des animateurs affirme droit dans ses bottes : « En classe, il n’y a pas de problèmes de disciplines, il n’y a que des problèmes d’organisation » (p. 140). Plus surprenant et beaucoup moins connue, c’est l’un des moments fort de l’ouvrage, c’est la découverte de l’intérêt constant de Simone Weil, la combattante de la colonne Durruti, pour l’éducation du prolétariat fondée, selon Gregory Chambat sur « l’échange réciproque de savoir » (p. 132) et sur « l’union du travail intellectuel et du travail manuel » (p. 136) dans la tradition proudhonienne. Enfin, après avoir évoqué l’incontournable Lycée autogéré de Paris et son frère (presque) jumeaux, le lycée expérimental de Saint-Nazaire, l’auteur fait état d’expérimentations pédagogiques barricadières sous d’autres latitudes qui ont pris quelquefois un caractère de masse comme les EPK (École populaire kanak) dans les années 1980 qui touchèrent entre 6 et 15 % des enfants (p. 161) avant d’être dénoncées comme subversives par les dignitaires du FLNKS. Ou encore, depuis 1994, les très vivantes et très vivaces écoles zapatistes fréquentées par plus de 15 000 mille enfants qui s’y s’éduquent et qui comme le clame Manuel (11 ans) ici « on ne se laisse pas faire. On est des zapatistes » (p. 176).
En bref, un livre riche qui permet pour les uns de revoir leurs classiques et pour d’autres, parfois les mêmes, de découvrir de nouvelles terres où par l’éducation se sont élevées et s’érigent encore les barricades de la liberté.
Hugues Lenoir, Groupe Commune de Paris