Le blog des éditions Libertalia

Sur la pensée critique, émancipatrice et altermondialiste de John Holloway

mercredi 11 juin 2014 :: Permalien

Le séminaire de recherche libertaire et militante ETAPE (Explorations Théoriques Anarchistes Pragmatistes pour l’Emancipation) a consacré sa huitième séance à John Holloway (Changer le monde sans prendre le pouvoir, Crack Capitalism. 33 thèses contre le Capital) autour du thème « Sur la pensée critique, émancipatrice et altermondialiste de John Holloway »

Vidéos de Thierry Le Roy, Télé Sud Est.

Intervention
d’Hervé Guyon

Intervention
de Philippe Corcuff

Intervention
de John Holloway

Joke : L’autoprod n’est pas le chemin, c’est le but

mardi 10 juin 2014 :: Permalien

Propos recueillis par Nicolas Norrito, photo de Yann Levy.
Publication intiale dans CQFD, mai 2014.

Joke - Photographie de Yann Levy

L’autoprod n’est pas le chemin, c’est le but !

Samedi 26 avril, la furieuse bande de The Joke enflamme l’arrière-salle des Trois-Frères, un des chouettes rades de la rue Léon (18e arrondissement). C’est explosif et joyeux, solidaire et pas donneur de leçons. Quelques heures plus loin, voici ce qu’ils nous répondent, à l’occasion de la sortie de leur nouveau disque.

Joke a déjà une longue histoire. Lavoblaster est votre quatrième ou cinquième album. Ce groupe, c’est l’histoire d’une bande de copains qui a progressivement appris à (bien) jouer ? Vous nous en dites davantage sur votre route ?

Y : On s’est formé quand on était collégiens en 1992…
X : … et non pas du tout, tous les membres de Joke étaient déjà virtuoses à l’âge de 12 ans.
Z : Lavoblaster est notre sixième disque, si on ne compte pas notre première K7 (1998), ni les deux albums sortis uniquement sur le Web : Délégué 0.1, avec que des remix, et Live#07 qui sont des prises issues d’une tournée dans les Balkans en 2007. Tous les albums sont en téléchargement gratos sur notre site.

On a du mal à vous définir musicalement tant les influences semblent multiples et la musique métissée. Ce dernier album a justement été enregistré au Burkina Faso, et ça donne une belle énergie à l’ensemble, joyeuse et contestataire. Comment se sont passées ces prises de son ?

Y : C’était mortel. On était invité à Rock à Ouaga, seul festival rock en Afrique subsaharienne. On avait aussi des contacts sur place, notamment notre pote Camille qui tient le studio Ouagajungle, haut lieu du DIY dans la capitale burkinabé.
Z : On a passé nos journées en studio et on jouait live tous les soirs. Un « making of » du disque en dix épisodes a été tourné par nos potes de Rasca Prod, il faut aller regarder ces vidéos pour capter l’ambiance. Tout est sur le Web !
Y : On savait déjà quels morceaux enregistrer. On a réfléchi sur place avec les artistes disponibles à comment les faire intervenir sur nos titres. Tout s’est goupillé très naturellement, on est parti avec un preneur de son historique et efficace, Éric Sénard, et on a investi Ouagajungle. On a kiffé grave et on attend plus qu’une chose : y retourner pour amener le disque aux copains. Mars 2015 si tout va bien…
X : On a la chance d’avoir plein d’invités qui cartonnent : Victor Démé, Baba Commandant, Bebey Bissongo, Art Melody… parmi plein d’autres. On a aussi fait poser quelques potes des Balkans, dont les Dubioza Kolektiv. Dubamix nous a aussi offert un super remix.

De mémoire, il me semble que certains d’entre vous avaient enregistré un disque en Kabylie, non ?

W : Nan.
Y : Si, Paul Leclair et Super Chenet ont sorti 5.4.3.2.1.Alger ! C’est un side-project comme disent les yankees, un disque de vacances...
Z : Joke a déjà fait deux tournées en Algérie et nous sommes très liés à un groupe de là-bas : Djmawi Africa. Le petit projet algérien s’est fait grâce à ces connexions. Il est sur soundcloud.com/paulleclair75
W : Oulech smah oulech ! Shira ou rouge, le combat continue !

La scène, ça semble être votre univers tant vous multipliez les concerts en France, mais également à l’Est de l’Europe. Comment expliquez-vous un tel rayonnement international ?

X : Hahaha ! Rayonnement international… La France nous a fait suer. On a été pas mal boudé à cause de nos textes par les programmateurs, mais aussi par notre refus de jouer le jeu de la « musique actuelle » comme l’aiment les professionnels français. On n’a pas de bio, pas de style, pas de mode, pas de clip, pas de partenaires, pas de buzz, pas de plan promo… Juste des morceaux et de l’envie de live, et on est super content comme ça. Le public est pas con et il kiffe, pas comme les marchands de concerts et de disques l’imaginent.
Y : Partir à l’étranger nous a sauvé. Suite à une tournée organisée par AOLF, on a noué pas mal de contacts en ex-Yougoslavie. Joke y a peut-être organisé dix tournées depuis. On y repart d’ailleurs cet été pour deux tournées de dix concerts chacune.
Z : On aimerait maintenant essayer d’aller en Amérique latine. Mais, bien sûr, si on nous propose la Sibérie, on est chaud aussi ! À bon entendeur…

« Reste calme » commence par un échange entre Xavier Mathieu et David Pujadas. « Des claques » dénonce les discours militants stéréotypés. D’une façon générale, la quasi-totalité de vos titres ont une tonalité sociale. D’où vient cette volonté émancipatrice et ce refus d’un engagement partidaire traditionnel ?

X : La totalité tu veux dire, non ? Lesquels n’ont pas cette tonalité ?
Y : Chacun son truc. Pour moi qui écris ou choisis les textes, ça me paraît être une évidence. On est pas des encartés, mais on a en marre, comme tout le monde, de se faire entarter par la tyrannie du fric.
Z : Ta question est intéressante, c’est quelque chose qui revient souvent. Je crois qu’on cherche à faire un truc politique en dehors des cadres politiques, et que c’est peut-être bien ça la politique. Tu te souviens de John Holloway et de ce qu’il raconte sur la hiérarchisation des luttes ?

Vos concerts sont souvent à prix libre, vos albums sont à prix libre. Vous faites comment pour tout financer ?

X : On galère mais on s’en sort. L’autoprod n’est pas le chemin, c’est le but !
Y : En gros, les activités du groupe financent les activités du groupe et on arrive à s’en sortir plus ou moins comme ça. Ca implique bien sûr qu’on ne se paye pas individuellement. Quand on est en gros manque de fraîche, on en rajoute de notre poche. De manière générale faire des disques coûte très cher, même s’il est de plus en plus facile de faire les choses soi-même.
Z : Nos concerts sont souvent… gratos, en tout cas quand c’est nous qui les organisons et qu’on a un droit de regard là-dessus. Les disques sont à prix libre depuis des années, ce qui nous a permis d’en distiller des milliers en France et à l’étranger. On a la faiblesse de penser que l’industrie du disque est morte et que la raison d’être d’un album est d’être joué. Je pense que plein de gens achètent les disques comme le bon souvenir d’un concert, ça se tient… et puis encore une fois, on met tout sur le Net. On aimerait maintenant sortir le dernier en vinyle… et à prix libre.

Un dernier mot ?

Y : Méfiez-vous des imitations…
Z : On cherche des scènes. Il faut nous contacter et nous faire jouer. On est sympa et toujours arrangeants tant qu’on nous propose une bonne teuf… On autogère notre booking, tous les contacts nécessaires sont sur notre site : www.joke-joke.net
X : On est content de Lavoblaster, notre petit dernier. Il est en téléchargement gratos sur le site, on vous invite à le choper, l’écouter, le faire tourner ! Un mois après sa sortie on est à 1 000 téléchargements. Objectif 5 000 téléchargements le 31 décembre 2014 : au boulot les geeks ! Et longue vie à CQFD, « ne travaillez jamais ! » comme disait l’autre…

Le zapatisme pour les nuls

mardi 10 juin 2014 :: Permalien

Article publié dans Le Monde libertaire, 16 avril 2014.

Le zapatisme
pour les nuls

Vous connaissez mal le Mexique ? Et encore moins les luttes du Chiapas ? Conseils de bon gouvernement, l’Autre Campagne, caracoles, aguascalientes, agents communautaires n’évoquent rien ou pas grand-chose pour vous ? Pas de problème, un petit guide pratique nous plonge dans la vie des communautés indigènes de cette région. Avec Tout pour tous !, notre camarade Guillaume Goutte nous décrit parfaitement « l’expérience zapatiste, alternative concrète au capitalisme » (sous-titre de son opuscule), en nous résumant l’histoire de l’EZLN. Nous sommes loin des postures insurectionnalistes que l’on peut constater dans nos sociétés occidentales, surtout en France, mais plus proches de modes de fonctionnement libertaires authentiques.

EZLN : Armée zapatiste de libération nationale. Il fut un temps où ce sigle rebutait un peu dans nos milieux. Armée, libération nationale, des mots à connotation plutôt marxiste-léniniste, et de fait les racines de l’EZLN plongeaient dans cette idéologie. Avec le développement très rapide du nombre de ses membres, et au contact des communautés indigènes, les mauvaises habitudes du marxisme-léninisme se sont perdues pour être remplacées par une dynamique bien plus libertaire. À la fin des années 1980, l’EZLN a cessé de se prendre pour l’avant-garde éclairée et s’est mise à « apprendre des indigènes et à les écouter » en se diluant en quelque sorte dans les communautés de ces derniers, devenant une force armée au service du mouvement revendicatif des Indiens, ce qui n’est pas sans nous rappeler une certaine Makhnovtchina.

Au long des 96 pages de Tout pour tous !, l’auteur nous fait l’historique de l’EZLN et nous décrit les rouages de cette expérience en rupture avec le capitalisme et l’État ; récupération de leurs terres non exploitées par les propriétaires ou le gouvernement (comme en Andalousie pendant la Révolution espagnole), possession individuelle et collective, consultations régulières des communautés, rotation des mandatés, visibilité des femmes dans les différents organes afin d’en finir avec le patriarcat, autre justice, préoccupation pour l’éducation et la santé pour tous, horizontalité, autonomie… autant de thèmes et de pratiques rejoignant sur bien des points le chemin menant à un fédéralisme libertaire. Le constat est évident : pour l’EZLN, cette armée commandée par des civils, il s’agit moins de vaincre que de convaincre.

Au-delà des passe-montagnes popularisés par les médias, l’auteur nous expose dans ce précis de démocratie directe les réalisations concrètes de ces Indiens qui ont su relever la tête, s’opposer au capitalisme et qui expérimentent au quotidien un autre modèle de société. Ouvrage indispensable donc, publié par Libertalia (maison d’édition d’enfer dont on trouve de nombreux titres dans notre librairie du Monde libertaire). Grandes idées, petit prix : 8 euros et petit format qui tient dans la poche et dont le contenu devrait largement en déborder et intéresser quiconque est épris de liberté et d’égalité.

Delabiche

Contester la présence des ligues nationalistes dans la rue

lundi 26 mai 2014 :: Permalien

Entretien avec Matthias Bouchenot (Tenir la rue), publié dans le journal Alternative libertaire, mai 2014.

Tenir la rue - Illustration de Bruno Bartkowiak, 2014

« Contester la présence des ligues nationalistes dans la rue »

Les années 1930 ont été le théâtre de violences fascistes particulièrement fortes. Face aux ligues d’extrême droite, l’autodéfense s’est organisée au sein des partis de gauche. Matthias Bouchenot, auteur de Tenir la rue, revient pour nous sur les groupes d’action de la SFIO.

Alternative libertaire : ce livre, issu de ton mémoire de master, relate une histoire méconnue. Comment en es-tu venu à t’y intéresser ?

Matthias Bouchenot : je voulais travailler sur les pratiques militantes des organisations révolutionnaires, étudier la manière dont leurs valeurs, leurs théories, leurs analyses des périodes politiques s’incarnaient dans l’action concrète. Le sujet de l’autodéfense socialiste dans les années 1930 réunissait trois avantages : le premier, de n’avoir jamais été traité, le deuxième, d’être accessible. Le troisième avantage est qu’il permet à la fois de reprendre le pouls de l’intensité du conflit politique dans les années 1930 et de s’interroger sur les réalités de la SFIO, à travers des expériences originales comme les « Toujours prêts pour servir », l’organisme d’autodéfense socialiste de la région parisienne. Ceux-ci étaient utilisés aussi bien pour faire le service d’ordre de manifestations très officielles, que pour attaquer nuitamment des permanences de l’Action française. Certains voyaient en eux des défenseurs des libertés républicaines, en cas de coup d’État fasciste, alors que d’autres les considéraient comme les futurs cadres de milices révolutionnaires. Voilà par exemple ce que peut dire un tel sujet des années 1930 et de la SFIO. Cette étude est donc passée du mémoire au livre, et il faut saluer le beau travail d’édition de Libertalia.

Sur quelles sources as-tu pu t’appuyer pour documenter ce sujet ?

Les pratiques fédéralistes et peu bureaucratiques de la SFIO des années 1930 n’ont pas facilité le travail de recherche. À cela s’ajoutent la destruction en 1940 d’une partie des archives et le transfert d’une autre partie à Berlin, puis à Moscou. J’ai cependant pu rencontrer l’un des derniers témoins de cette aventure, Eugène Boucherie, mort à la fin de l’année dernière. Les fonds d’archives de Marceau Pivert et de Jean Zyromski, les textes des fédérations, les comptes rendus de congrès et la presse forment l’essentiel des sources. Il faut ajouter à cela, bien évidemment, les archives de la préfecture de police.

Les partisans de Marceau Pivert semblent les plus actifs dans la théorisation de l’autodéfense et dans sa mise en œuvre. Cette division entre révolutionnaires activistes, prêts à faire le coup de poing, et réformistes prudents est-elle indépassable ?

Sans aucun doute, l’autodéfense socialiste était associée à la tendance Gauche révolutionnaire de Marceau Pivert, celui qui annonçait en 1936 : « Tout est possible ! » Il est donc tentant d’affirmer que ce sont les révolutionnaires, seuls, qui ont porté l’autodéfense dans la SFIO, malgré les réformistes légalistes tournés uniquement sur la question électorale, mais l’histoire est toujours un peu plus complexe. Certes, ce sont bien les révolutionnaires de la SFIO (socialistes révolutionnaires et trotskistes) qui ont fourni les cadres de l’autodéfense, mais ils ne l’ont pas toujours construite contre le reste du parti. Jusqu’en 1935 environ, ils ont reçu, si ce n’est le soutien de l’ensemble de la SFIO, au moins l’accord des dirigeants.
À la fin des années 1920, lorsque sont remis sur pied des groupes d’autodéfense, l’objectif est d’assurer la tenue des réunions publiques des campagnes électorales de la SFIO. Elles étaient souvent l’objet d’attaques de la part du PCF, et particulièrement dans les arrondissements populaires. Le divorce entre révolutionnaires activistes et réformistes légalistes sur la question de l’autodéfense n’est donc intervenu que plus tard.

Les militants de la SFIO mais également d’autres organisations (anarchistes, communistes) sont alors déterminés à ne pas laisser le pavé à l’extrême droite…

Oui, dans ce livre, je resitue l’action de l’autodéfense socialiste en région parisienne dans le cadre du Front populaire et des milieux révolutionnaires de l’entre-deux-guerres. Avec l’émergence du Front populaire, la première préoccupation des groupes de combat socialistes a été de contester la présence des ligues nationalistes dans la rue. Elles dominaient dans certains quartiers (comme le symbolique Quartier latin), grâce à leurs pratiques militaristes particulièrement violentes. Pour faire face à elles, l’autodéfense socialiste s’est cherché des alliés. Elle les a trouvés naturellement dans les organisations du Front populaire, mais pas particulièrement du côté du PCF ou des radicaux. Plutôt du côté des organisations nouvelles nées dans le foisonnement politique des années 1930, comme le Front commun de Bergery. Elle les a aussi trouvés par-delà le Front populaire, dans les milieux révolutionnaires, trotskistes ou anarchistes, habitués de l’action directe. En se rapprochant de ces mouvances, les dirigeants révolutionnaires de l’autodéfense socialiste marquaient aussi leur éloignement de la ligne majoritaire du parti, ce qui explique que la majorité ait été alors embarrassée par les groupes de combat socialistes.

Peut-on faire des parallèles entre les années 1930 et nos jours ? Et ainsi tirer des enseignements contemporains de leur expérience, dans un climat de montée de l’extrême droite ?

Bien souvent, lorsqu’on veut prendre pour comparaison l’histoire afin d’éclairer une situation actuelle, on a droit à l’adage mécaniste « l’histoire se répète », ou au contraire « l’histoire ne se répète pas, elle bégaie », pour ceux qui veulent donner l’allure du marxisme à leur ignorance. Au passage, cela permet d’affirmer que le danger fasciste appartient au passé et cela justifie de ne pas s’en préoccuper… Pour ma part, je me contente de dire que ce qui était vrai en 1930 l’est toujours en 2014 : le capitalisme est un système de crises. De crises économiques, mais donc aussi de crises sociales et politiques. La montée du racisme et du nationalisme, de nos jours comme dans les années 1930, ne doit rien au hasard. C’est l’écran de fumée que dégagent les possédants pour masquer leur responsabilité dans ces crises. Pour véhiculer les dérivatifs à la colère populaire, ils ont besoin de forces politiques, d’où l’essor actuel de l’extrême droite. Mais attention : je ne dis pas que les capitalistes sont forcément nationalistes ou racistes.
Dans le viseur de l’extrême droite, on retrouve bien évidemment les révolutionnaires qui doivent à nouveau faire face aux actes de violence des nervis fascistes. Il n’est donc pas inintéressant pour les antifascistes de se souvenir de leurs héritages, notamment des pratiques et des réflexions socialistes face à la violence des ligues…

Propos recueillis par Aurélien (AL Paris-Sud)

Sur les toits

vendredi 23 mai 2014 :: Permalien

Sur les toits (2014), un film de Nicolas Drolc, produit par les Films Furax et édité par les Mutins de Pangée.
Disponible en DVD ou en VOD (vidéo à la demande).

Sur les toits

« Non ce n’est pas parce qu’il fait chaud / qu’ils sont montés sur les toits. / Non ce n’est pas pour le plaisir / qu’ils se sont fait tabasser. / Non ce n’est pas pour se distraire / qu’ils ont perdu leur remise de peine / ou qu’ils ont pris des jours de mitard / et qu’on les a transférés dans le noir. »

Les paroles des Bérus résonnent dans ma tête quand je lance ce DVD insolite qui relate la mutinerie de janvier 1972 à la maison d’arrêt de Nancy, ainsi que celle de la centrale de Toul qui la précéda d’un mois, en décembre 1971.

Ce qui frappe d’emblée dans ce documentaire réussi, outre les nombreuses images d’archives, c’est la place laissée par le réalisateur (Nicolas Drolc) aux acteurs des mutineries : anciens détenus à la peau bleuie par les tatouages, surveillant à la retraite libéré de son devoir de réserve.

Chez tous les taulards, une même antienne : ils ont été incarcérés à peine sortis de l’adolescence parce qu’ils refusaient de perdre leur vie à la gagner et de rester à leur place de « pauvres parmi les pauvres ». Ils ne discutent guère le bien-fondé de leur incarcération, ils se plaignent des conditions de détention : nourriture infâme, manque d’hygiène, mauvais traitements. C’est pour se faire entendre qu’ils ont pris le contrôle de la prison et sont montés sur les toits quelques heures durant, le temps que la gendarmerie mobile mate la rébellion. Chez le maton, une sincérité déconcertante : il a choisi ce boulot parce qu’il s’y fatiguait moins qu’à la chaîne, par amour de l’ordre et parce qu’ancien de la guerre d’Algérie son parcours inspirait confiance. Mais, confesse-t-il, il y avait un sacré paquet de tordus parmi les membres de l’administration pénitentiaire. C’est d’ailleurs la cruauté notoire du directeur de la centrale de Toul qui mit le feu aux poudres, feu qui se propagea rapidement à Nancy puis dans une trentaine de prisons.

Ce qui frappe aussi, c’est l’important soutien extérieur qui se manifestait grâce aux relais intellectuels et militants du Groupe d’information sur les prisons (GIP) emmené par Michel Foucault et Daniel Defert, travail qui se poursuivra par la constitution du Comité d’action des prisonniers (CAP), qui réclamait l’abolition des prisons. À cet égard, on ne ratera sous aucun prétexte l’entretien avec le vieux combattant Serge Livrozet (et auteur du remarquable De la prison à la révolte, 1973) proposé en supplément. Pour un éclairage contemporain, on peut se reporter au périodique L’Envolée.

N.N.