Le blog des éditions Libertalia

Détransition, Baby dans la Lettre pour tous·tes

mardi 8 novembre 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans La lettre pour tous·tes de Mediapart, novembre 2022.

Le livre pour tous·tes

Ceci n’est pas une comédie romantique. Ou justement si. Dans son roman fort remarqué aux Etats-Unis, Detransition, Baby, l’autrice transgenre Torrey Peters emprunte tous les codes du soap opera, comme si Sex and the City avait fusionné avec Les Feux de l’amour version queer.
Mais bien sûr, il ne faut pas se fier aux apparences, la romancière explose le cadre et introduit dans son texte des thématiques plus profondes liées à la transidentité, comme la (dé)transition, la vie quotidienne, la subsistance, l’enfantement, la famille, la fétichisation, la réussite sociale, la race et la classe. Les différent·es personnages permettent de faire cohabiter tous ces sujets sans que ce ne soit jamais écrasant ni que ça alourdisse l’intrigue.
Le roman fort réussi met en scène Ames, ex-femme trans qui a détransitionné. Parce que c’est trop difficile à vivre au quotidien et, dit-il, à l’issue de son processus : « Je suis trans mais je ne suis pas obligé de faire trans. » Sans compter que la génération précédente, décimée par le VIH, la pauvreté, la répression ou les suicides ne sont pas là pour leur montrer « comment accepter la douleur » ou « l’exemple de leurs propres vies accomplies et menées dans la joie ».
Ames entame une relation avec Katrina, sa patronne. Persuadé d’être stérile à cause des hormones ingérées des années durant, il tombe des nues quand elle lui annonce être enceinte. Il se tourne alors vers son ex, Reese, une femme transgenre traversée par le désir d’enfant et lui propose de devenir aussi une sorte de mère supplémentaire du futur bébé.
Dans un langage direct, cru mais empli d’humour et de tendresse, Torrey Peters offre une réflexion sensible et aux dimensions multiples sur ce qui fait famille. Péripéties, utopies et revirements inclus.
Ce roman fait aussi entrer la culture trans en littérature tout en s’adressant au plus grand nombre. À un moment de l’histoire, Ames se félicite qu’aujourd’hui des célébrités transgenres comme Caitlin Jenner et Laverne Cox fassent la une des magazines et qu’un programme comme le concours de drag « RuPaul’s drag race » séduise les hétéros qui le commentent « comme ils parleraient de Koh-Lanta ». Il faut désormais ajouter Detransition, Baby à ce panthéon.

Faïza Zerouala

Detransition, Baby vu par Sophie Benard

mardi 8 novembre 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié sur Instagram le 7 novembre 2022 par Sophie Benard – @soph.benard

Detransition, Baby de Torrey Peters est paru en 2021 aux Etats-Unis – et est tout de suite devenu un véritable best-seller. Sa traduction vient seulement de nous parvenir, il y a quelques jours, aux éditions Libertalia.
On commence par se méfier – à tort ! – de la mention de la « détransition », dès le titre – parce que les personnes qui détransitionnent sont régulièrement utilisées par les idéologies douteuses.
Le roman met en scène Ames, qui a fait le choix de détransitionner ; l’occasion pour l’autrice de penser les raisons qui poussent certains et certaines à prendre cette décision, de distinguer « être trans » et « faire trans ».
Mais cette identité complexe n’est qu’un des nombreux thèmes abordés par Detransition, Baby.
Amy et Reese ont vécu une histoire d’amour ; la fin de leur relation a d’ailleurs coïncidé avec la fin de l’existence de femme d’Ames. Quand il entame une relation avec Katrina, sa boss, il est persuadé que son passé trans l’a rendu stérile. Une fois Katrina enceinte malgré tout, il accepte de devenir parent à une condition : implique Reese, son ex, dans cette parentalité.
L’autrice prend le temps d’insister sur les points communs qui rapprochent les existences cis et trans : le personnage de Katrina enrichit autant qu’il complique l’équilibre du récit, par son rapport ni volontaire ni utopique au sexe et au genre.
C’est intelligent, drôle, et super entraînant.

Brève histoire de la concentration dans le monde du livre sur Délibéré

samedi 22 octobre 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié sur Délibéré, le 14 octobre 2022.

Les livres et le capital

La concentration dans le secteur de l’édition est un phénomène ancien qui prend à chaque époque des formes nouvelles. Les recompositions du monde du livre par la diversification des activités et l’absorption de sociétés concurrentes sont des faits observables depuis le XIXe siècle, c’est-à-dire depuis l’industrialisation des procédés de fabrication et de diffusion des imprimés. Le mouvement de concentration s’amplifie au XXe siècle par la financiarisation et l’exigence de rentabilité posée par l’actionnariat des grands groupes. Quand les grandes entreprises éditoriales appartiennent à des investisseurs plus soucieux de chiffres que de lettres, la liberté d’expression est-elle menacée ? Peut-être pas, quand elle rapporte. On voit aujourd’hui comment la critique du capitalisme est profitable aux capitalistes eux-mêmes, intéressés par tous les segments de marchés rentables. Mais dans une certaine mesure seulement. En plus du panorama des péripéties de l’édition française, un des intérêts de la Brève histoire de la concentration dans le monde du livre, que Jean-Yves Mollier publie chez Libertalia, est de montrer les desseins idéologiques de certains patrons dans le but avoué de promouvoir leur idéal « civilisationnel ».
Jean-Yves Mollier consacre les premiers chapitres de son livre à retracer l’histoire des deux groupes qui aujourd’hui sont au premier plan et s’affrontent : Hachette et Editis (le groupe de Vincent Bolloré, anciennement Groupe de la cité). Il met en parallèle les trajectoires et les options différentes pour atteindre le même but : la domination sur la publication et la diffusion de contenus, qui ne se limite d’ailleurs pas au livre. Ces entreprises dont le capital appartient pour partie ou en majorité aux banques ou à des sociétés financières dès le milieu du XXe siècle suivent toutefois des voies particulières pour assurer leur croissance.
La « Librairie Hachette », à l’origine maison d’édition familiale de livres scolaires et de manuels, noue rapidement des liens avec le pouvoir, sans s’embarrasser de son orientation politique pourvu qu’il favorise ses intérêts. Source d’enrichissement et d’affermissement de l’emprise de « la pieuvre verte » : un système efficace de distribution et de diffusion de livres et journaux qu’Hachette est le premier à mettre en place. La puissance du groupe Hachette lui permet de s’offrir la protection de certains députés en finançant leurs campagnes électorales, en facilitant l’accès à l’Académie française ou aux prix littéraires. D’un autre côté, c’est la culture populaire, romans policiers et comics, livres de poche, ventes en grandes surfaces, puis le lancement de la vente de livres sur abonnement France Loisirs qui assure la croissance des Presses de la cité dont le capital appartient à une holding soucieuse d’appliquer les lois du marketing et du management pour accroître les profits des investisseurs.
Il faut lire le livre de Jean-Yves Mollier pour s’immerger dans le tourbillon des prédations qui s’abattent sur des maisons d’édition historiques, dans le micmac des arrangements liant des banques, des holding, le personnel politique changeant au gré des élections. L’accroissement permanent des chiffres d’affaires et des profits est l’objectif qui conduit à la quête obsessionnelle du best-seller, menaçant la diversité et le pluralisme éditoriaux. « Tel est le prix consenti par ceux qui ont mis en œuvre ces concentrations à la française et qui, chez Hachette comme au Groupe de la cité, ont d’abord rémunéré les actionnaires en vendant l’immobilier […] puis en regroupant au maximum les activités centrales y compris la définition des politiques éditoriales autrefois du ressort exclusif de chaque maison. »
À la fin du chapitre sur l’expansion du groupe Madrigall, numéro 3 français, resté dans le giron de la famille Gallimard malgré les tentatives de prise de contrôle, Jean-Yves Mollier observe que « les phénomènes de concentration ne sont pas perçus de la même manière quand ils concernent un groupe financier et quand ils viennent renforcer une ancienne maison d’édition dont le capital symbolique est l’atout le plus précieux ». Même si Madrigall, comme les deux premiers, s’agrandit par absorption de marques concurrentes et se montre attentif à garder la main sur la filière du livre, notamment sur le maillon clé de la distribution-diffusion.
Et les auteurs et autrices dans tout ça ? Ils et elles sont vendu·es sans être consulté·es en même temps que leur maison d’édition, « comme un vulgaire cheptel » selon l’expression de François Mauriac, auteur Grasset passé malgré qu’il en ait chez Hachette. C’est ainsi que l’on saute d’un catalogue l’autre, par la magie de la concentration. Baudelaire s’inquiétait déjà de cette manière de violer la propriété intellectuelle… en 1861 !
Si l’obsession des chiffres semble première dans la gestion de ces grands groupes éditoriaux, Jean-Yves Mollier retrace aussi le cheminement de patrons catholiques de droite, comme Remy Montagne, voulant au milieu des années 1980 une maison d’édition « disposant de moyens lui permettant de peser sur les débats sociétaux et de prôner le retour aux valeurs traditionnelles du catholicisme ». Des directives sont données pour influencer les contenus des productions des maisons d’édition du Groupe Média-Participations, s’adressant pour beaucoup au jeune public par le moyen de la bande dessinée et des albums jeunesse. C’est un tel interventionnisme venant d’un patron de médias se sentant investi d’une mission sacrée, spirituelle et politique, engagé dans un combat civilisationnel de retour à l’ordre moral comme l’est aujourd’hui le catholique traditionaliste Vincent Bolloré, qui inquiète à juste titre. On comprend l’effroi qui traverse le monde du livre et des médias à la perspective de l’absorption d’Hachette par Editis. Jean-Yves Mollier termine son livre condensé et très informatif par cette alerte légitime contre une telle concentration « d’armes idéologiques » entre les mains d’un seul homme.

Juliette Keating

Rino Della Negra dans L’Équipe

mercredi 19 octobre 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans L’Équipe du 19 octobre 2022.

Rino Della Negra.
L’étoile retrouvée du Red Star

Ce résistant membre du groupe Manouchian, fusillé en 1944, avait brillé dans le club de Saint-Ouen, où une tribune portera son nom en 2024. Retour sur son histoire, longtemps méconnue, en association avec l’émission « Affaires sensibles » sur France Inter (15 heures).

Rino Della Negra, fusillé à 20 ans par les nazis au Mont-Valérien, le 21 février 1944, est parti sans laisser beaucoup de traces : un vêtement ensanglanté, deux lettres écrites à ses parents et son petit frère, voilà pour le martyr de la Résistance, membre du groupe Manouchian ; quelques licences de football amateur et une poignée de photos une seule où il revêt le maillot vert et blanc du Red Star, voici pour le joueur. Si l’engagement du jeune ouvrier parmi les FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans-main-d’œuvre immigrée) est un peu documenté, il n’est pas le plus connu des combattants de ce mouvement de la résistance communiste. Quant au footballeur qui brillait sur les terrains, il n’en subsista longtemps qu’une lueur incertaine : un visage peint à gros traits sur les bâches des Star, un nom dans leurs refrains les plus revendicatifs – « Rino, Bauer, Résistance » –, et une légende aux contours imprécis qui circulait parmi eux depuis le début des années 2000.
Un spécialiste de l’histoire locale de Saint-Ouen, Claude Dewaele – ancien ouvrier métallurgiste – exhuma son passage fugace au Red Star Olympique, ancien nom du Red Star FC. Une licence pour la saison 1943-1944 et une photo de l’équipe en témoigne : Rino Della Negra, membre du 3e détachement du groupe parisien des FTP-MOI auteur de près de 200 attentats contre les forces allemandes et de collaboration dans la capitale en seulement un an et demi, a porté le maillot vert et blanc.

Un ailier droit ultrarapide et fin technicien

Une cérémonie de commémoration et la pose d’une plaque à l’entrée du stade de Saint-Ouen, en 2004, firent ressurgir du passé ce profil singulier. Ouvrier, footballeur, résistant : Rino avait tout pour séduire le public fiévreux et très ancré à l’extrême gauche du club audonien. « Tu sais qui c’était Rino ? » commença-t-on à demander aux jeunes supporters du Red Star dans un élan de transmission… mais à vrai dire, il n’y avait pas beaucoup d’informations à transmettre. On ne savait plus bien s’il était gardien de but ou attaquant, ni s’il avait vraiment joué un match. Peu importe : son souvenir était entre de bonnes mains, celles de supporters qui ont fait du devoir de mémoire une mission tout aussi primordiale que le soutien à leur équipe. L’obtention, après acharnement, de la dénomination « Tribune Rino Della Negra », placardée en grosses lettres sur le toit du virage flambant neuf du stade Bauer, à l’horizon 2024, constitue un combat et une victoire singulière dans le monde des ultras français.
Mais au-delà du nom, que reste-t-il de l’art d’un footballeur si aucune caméra ne l’a jamais enregistré en train de jouer et si l’entièreté de ces exploits eut lieu dans des compétitions dont on a oublié l’importance ? Pas grand-chose. Les historiens Jean Vigreux et Dimitri Manessis, qui découvrirent cette histoire en fréquentant la tribune « Rino », ont fait paraître la première biographie sur le joueur, Rino Della Negra, footballeur et partisan (Libertalia, 2022). Au-delà de retracer son engagement hors du commun, ils font surgir le footballeur. En plus du palmarès et des lignes de statistiques, on découvre la personnalité d’un joueur talentueux, ailier droit ultrarapide et fin technicien pour qui le football était tout. Ou comment un jeune ouvrier de 20 ans, issu du quartier très populaire de Mazagran, à Argenteuil (Val-d’Oise), où résidait une importante communauté d’immigrés italiens, a fait de la lutte armée contre le nazisme le prolongement direct de sa pratique sportive et des valeurs associées. Son engagement dans la Résistance et sa pratique du football sont intrinsèquement liés : Rino s’entraînait un jour et « Robin » (son nom de résistant) participait à des opérations, souvent meurtrières, le lendemain.
En février 1944, la presse collaborationniste avait largement relayé le procès et la condamnation à mort des vingt-trois du groupe Manouchian, reprenant, mot pour mot, les éléments de langage transmis par les nazis : « terroristes », « étrangers », « bolcheviques », « Juifs ».

Arrêté par la Gestapo après une fusillade et une course folle

Della Negra était présenté comme un naïf embrigadé dans cette organisation secrète simplement parce qu’il voulait jouer au football et que les FTP-MOI lui offraient un refuge, lui le clandestin, réfractaire du STO. « Terroriste pour pouvoir jouer au football » pouvait-on ainsi lire dans Paris-Soir. « Résistant parce que footballeur », répondrait-on maintenant que l’on perçoit plus nettement sa trajectoire fulgurante.
De vitesse, il est évidemment question quand on évoque sa vie brève.
11 secondes au 100 mètres, 5,89 mètres au saut en longueur : le jeune ouvrier qui brille chaque week-end sur les pistes du stade Henri-Barbusse d’Argenteuil est une fusée. À 14 ans, en 1937, il entre à l’usine, pur produit de l’époque du Front populaire. Sa formation d’athlète se fait au sein des mouvements sportifs ouvriers, après le travail, à travers les nombreuses compétitions de travailleurs organisées par la FSGT (Fédération sportive et gymnique du travail).
Ses talents sont d’abord remarqués sous le maillot de son club « corpo » des usines Chausson d’Asnières, puis avec la Jeunesse sportive Jean-Jaurès argenteuillaise. Le football est alors bien différent de nos standards et très bouleversé par les années de guerre. Il ne faut donc pas minimiser sa joie au printemps 1941, lors de sa victoire en finale de la coupe du Matin, du nom d’un célèbre journal qui a sombré dans la collaboration.
Dans les locaux de ceux qui ne cessent de fustiger les « bolcheviques » et les « Juifs » dans leurs éditoriaux, le futur résistant et ses coéquipiers d’Argenteuil, immigrés et ouvriers, viennent chercher la coupe, la tête haute. Dans les deux premières années d’occupation, Della Negra devient la coqueluche des journaux locaux, relayés par la presse nationale, stupéfaite de ses performances avec Argenteuil et plus encore avec Thiais, où il s’affirme comme l’un des principaux espoirs du ballon rond en région parisienne. Quand, à l’hiver 1943, il refuse le STO, il continue le football. Six mois plus tard, le grand Red Star, récent vainqueur de la Coupe de France de la zone occupée, frappe à sa porte. Personne ne sait alors qu’il est clandestin, qu’il a déjà commis plus d’une dizaine d’attentats et qu’il risque sa vie chaque jour. Peut-être parce que sa vie de footballeur lui offrait la meilleure des couvertures, il commence à s’entraîner avec les pros. Mais le gouvernement de Vichy démantèle, ce même été, le Championnat professionnel et invente sa propre compétition fédérale.
Le Red Star reversé dans d’obscures ligues franciliennes, Della Negra ne jouera jamais le moindre match en pro. Il n’en brillera pas moins, prouvant son talent au public encore nombreux du stade municipal de Saint-Ouen. Il est arrêté par la Gestapo le 12 novembre 1943, après une fusillade et une course folle en plein Paris. La dernière du feu follet d’Argenteuil, pour qui le football aura été un refuge jusqu’au bout.

Bastien Gens

Brève histoire de la concentration dans le monde du livre dans Le Canard enchaîné

jeudi 13 octobre 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Le Canard enchaîné du mercredi 12 octobre 2022.

Raisons d’édition

Après tout, puisque aux Etats-Unis, dès le milieu du XIXe siècle, « la concentration a fait surgir des trusts dans le domaine de l’acier, du pétrole, des chemins de fer », pourquoi l’édition y aurait-elle échappé ? Grand spécialiste de la question, Jean-Yves Mollier remonte ici à l’origine des phénomènes de concentration dans l’édition française. Son but : mettre à nu les logiques qui sous-tendent le projet du financier breton Vincent Bolloré, qui, après avoir mis la main sur Canal Plus, Prisma Presse, C8, CNews, etc., veut avaler la maison Hachette, numéro un de l’édition française depuis plus d’un siècle.
Ces logiques sont d’abord financières. Mollier nous rappelle qu’en 1990 l’édition est passée d’une logique industrielle à une logique financière. Grâce à qui ? Berlusconi ! C’est lui qui embarque Jean-Luc Lagardère dans l’aventure de La Cinq. Laquelle s’avère si ruineuse que, pour éponger ses énormes dettes, le patron de Matra, Lagardère, soumet la maison Hachette, qu’il a triomphalement rachetée dix ans plus tôt (pour un fabricant de missiles, c’était une belle prise), à une obligation de résultats financiers inconnue jusqu’alors.
Mais les logiques de concentration dans l’édition sont aussi idéologiques. Mollier raconte comment, après-guerre, la librairie Hachette a « assis durablement son contrôle sur la vie politique du pays », notamment grâce aux messageries de la presse, les très puissantes NMPP, qui lui servirent de banque privée durant deux décennies. Par leur biais, Hachette « put aider toutes les formations politiques qui lui promettaient d’empêcher le retour des projets de nationalisation ». C’est ainsi que le groupe salaria largement Chaban, Lecanuet ou Mitterrand (lequel, en 1967, percevait l’équivalent de 4 500 euros par mois pour « de prétendus travaux de documentation »).
Avec leurs chaînes de télé, leurs radios, leurs journaux, leurs maisons d’édition, Bolloré et ses héritiers (trois fils, une fille) disposent aujourd’hui « de véritables armes idéologiques pour continuer leur mission et mener leur combat civilisationnel ». Grand perdant de l’affaire ? Le débat démocratique, tout simplement.

Jean-Luc Porquet