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jeudi 22 septembre 2022 :: Permalien
Publié dans Libération, le jeudi 22 septembre 2022.
Alors que les appétits de croissance de Bolloré dans l’édition bouleversent le monde du livre, deux essais historiques et critiques montrent les dégâts de la concentration sur l’éditorial.
La concentration influe-t-elle sur l’avenir de littérature ? L’OPA de Bolloré contre Lagardère pour récupérer Hachette Livre, numéro 1 de l’édition en France, en plus d’Editis, numéro 2, met depuis un an le milieu de l’édition en effervescence. Même si le magnat breton animé d’un « combat civilisationnel » semble renoncer à son rêve de fusion devant la bronca d’éditeurs, de libraires et in fine le présumé veto de Bruxelles, et annonce vouloir céder Editis pour garder le leader, la menace plane toujours ; et les récents mercatos dans les maisons de son groupe comme la suspension de titres qui pourraient le gêner glacent. Ce n’est pas nouveau, Charles Baudelaire en 1861 pointait déjà les risques de la concentration et de ses cuisines peut ragoûtantes : « Avec l’achat de la Librairie Nouvelle […] la maison Michel Lévy frères devient des plus considérables. On a soulevé à cette occasion une question fort délicate : celle de savoir si, à moins de clause expresse, une propriété intellectuelle peut passer de Pierre à Paul ; si, par exemple, un auteur qui a voulu s’engager primitivement avec M. Bourdillat, le concessionnaire, et non avec M. Lévy, peut, sans être consulté, être vendu à celui-ci par celui-là… » Cent ans après le poète, l’écrivain catholique François Mauriac dénonçait la vente des auteurs de Grasset « sans même être consultés et traités comme un vulgaire cheptel ». Stop Bolloré, le collectif réuni contre les grandes manœuvres de Bolloré, est bien l’héritier de Baudelaire et de Mauriac, dit Jean-Yves Mollier, professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université Paris Saclay-Versailles, dans sa Brève Histoire de la concentration dans le monde du livre, petit ouvrage clair et percutant.
Familles
On y trouve l’histoire d’Hachette, « la pieuvre verte », celle du Groupe de la Cité (devenu Editis après des valses incessantes), celle de Media Participations ou encore celle de Gallimard qui faillit être absorbé. Brève histoire… se veut une synthèse effilée et complète des fusions et acquisitions du milieu - de leurs réussites comme de leurs échecs instructifs - qui ont rebattu les cartes dans le monde du livre depuis le milieu du XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui.
C’est aussi une galerie de portraits des familles et des personnalités, de leur soutien au pouvoir politique, de leurs compromissions, de leurs déroutes et de leurs découvertes. L’essai de Jean- Yves Mollier, qui paraît judicieusement au moment d’une énième tempête dans l’édition, montre que la concentration n’est pas un phénomène récent mais elle « s’est considérablement renforcée après 1945 avant de changer de nature après 1980 ». Certaines concentrations, note- t-il d’ailleurs, soulèvent moins d’objections que d’autres selon ceux qui opèrent.
La logique financière s’est substituée à la logique industrielle, les entreprises familiales à croissance horizontale ont laissé place au monopole des conglomérats de médias avec pour credo la rentabilité, comme l’avait observé, dès 1999, le grand éditeur américain André Schiffrin dans L’Édition sans éditeurs (La Fabrique). Fils du fondateur de la Pléiade, longtemps directeur de Pantheon Books, ses analyses sur ce que le libéralisme a causé au marché du livre sont plus que jamais d’actualité. Hélène Ling et Inès Sol Salas, agrégées de lettres, enseignantes et autrices, se réfèrent aussi largement à Schiffrin dans Le Fétiche et la Plume. Leur livre incisif, très critique, se situe dans la continuité des travaux de Walter Benjamin, Jean Baudrillard, Frédéric Jameson et Mark Fisher (Le Réalisme capitaliste, Entremonde, 2018) et décrit /décrie aussi l’hyperconcentration. Leur essai réalise une agrégation brillante des observations, statistiques, études sociologiques, écrits divers et nombreux exemples, liés à la transformation du marché du livre au temps du « capitalisme tardif ». Il vise à montrer « comment le champ éditorial est remodelé dans ses structures, dans son offre et dans sa réception par les logiques capitalistes, et comment, de fait, le livre s’y trouve malgré lui redéfini en marchandise, l’écrivain en produit d’appel ». C’est un tableau très sombre, où rien ne semble épargné même l’activité gratuite de plaisir qu’est la lecture, domaine « improductif » en train d’être capté dans « la guerre économique de l’attention ».
Covid
La surproduction livresque n’est pas non plus nouvelle, Émile Zola se plaignait déjà du trop de parutions dans L’Argent et la Littérature (1880). Mais le nombre de livres a explosé. Fait notable d’après Covid, le nombre de manuscrits a bondi à 60 % de plus en 2021 par rapport à 2019. Hélène Ling et Inès Sol Salas parlent d’un temps « tabulaire » de la littérature, qui suggère le turn-over, le streaming, l’accélération des processus. Paradoxalement, dans cet univers pléthorique, on lit moins qu’avant et les livres se vendent à de moins en moins d’exemplaires. Les prix littéraires créés pour renforcer la stature de l’homme de lettres face à l’économique ont été « récupérés depuis longtemps par les impératifs du marché », au point qu’il en existe aujourd’hui plus de 2 000, augmenté de 200 chaque année. Et sont devenus des outils de marketing pour des entreprises, des institutions, la grande distribution et les médias. Autre grand constat, une peopolisation de l’écrivain « proxénète et prostitué ». Depuis la fin du XIX siècle, il ne se consacre plus seulement à faire œuvre, mais il est entré dans le champ de l’activité au sens large, se mettant en scène, se démultipliant dans des ateliers, des rencontres, des concerts. Davantage intégré dans l’économie du livre, il est de fait - encore un paradoxe - constate Le Fétiche et la Plume, « reprolétarisé à l’intérieur même du système productif ». Sur les textes eux-mêmes, l’ouvrage n’est pas plus tendre : standardisation des écrits avec la mode venue des États-Unis des ateliers d’écriture, primauté au sujet sur la littéralité des textes, « esthétique infrakitsch » qui recycle le répertoire des formes antérieures « de la nostalgie du style pompier à l’académisme de la trivialité ». Pourquoi « le fétiche » ? Parce que « la plume de l’écrivain, métonymie archaïque, pourrait bien devenir le fétiche du sujet contemporain en voie de disparition ». Salutaire, astringent, alarmiste, Le Fétiche et la Plume croit possible une renaissance de la littérature.
Jean-Yves Mollier, Brève Histoire de la concentration dans le monde du livre, Libertalia, 163 pp., 10 €.
Hélène Ling et Inès Sol Salas, Le Fétiche et la Plume. La littérature, nouveau produit du capitalisme, Rivages, 414 pp., 22,50 €.
Frédérique Roussel
mercredi 21 septembre 2022 :: Permalien
Publié dans La Scène, automne 2022.
« Bientôt des États généraux des violences sexistes et sexuelles. »
Vous annoncez la publication d’un ouvrage produit par le collectif. Comment est-il né ?
Agathe Charnet : Nous avions fait un appel à textes pour le rassemblement du 7 octobre. Nous nous sommes rendu compte qu’ils avaient une vraie force et un sens lorsqu’ils étaient rassemblés. L’idée d’un ouvrage a émergé et les éditions Libertalia l’ont accueilli très rapidement.
Avez-vous le sentiment d’être écoutées ?
Sephora Haymann : C’est très partagé. Nous avons des alliés très forts, mais nous nous heurtons souvent à des résistances, souvent pour des raisons affichées comme étant humanistes, au détriment d’une autre forme de justice. Il y a là une opposition des morales que l’on retrouve d’ailleurs dans l’ouvrage. Je ne sais pas si le milieu est assez à l’écoute. En tout cas, il n’est pas assez conscientisé. Il reste beaucoup de travail. La question n’est pas de savoir si nous sommes suffisamment entendues, mais plutôt de savoir quand tout cela va bouger.
Les choses bougent réellement ?
Agathe Charnet : Quand on écoute qu’on lit Reine Prat, elle est assez catastrophée par la lenteur des évolutions. Tous les mouvements féministes le disent aujourd’hui. À ce rythme, il nous faudrait mille ans pour atteindre l’égalité salariale. Évidemment, les consciences changent. Mais, on le voit partout, aux Etats-Unis comme ailleurs, les mouvements de backlash, réactionnaires, se structurent. Les avancées existent, mais vraiment a minima.
La nouvelle génération de directeurs et directrices vous semble-t-elle plus sensible que celle de ces prédécesseurs ?
Sephora Haymann : La problématique est systémique, elle n’est pas personnelle. Les individus qui portent l’institution sont tributaires de celle-ci. Et l’institution porte en elle-même cette problématique structurelle. Au moment où l’on arrive dans l’institution, on se retrouve confrontés à un cahier des charges et donc à une structure intrinsèquement inégalitaire, d’un point de vue de la justice, des moyens accordés. Si on est presque à la parité pour les directions dans les CCN, les moyens de production octroyés aux femmes y restent bien inférieurs de 50% de ce qu’ils sont pour les hommes.
Agathe Charnet : Nous ne sommes pas dans une rupture avec l’institution. Nous-même sommes des artistes et faisons partie de l’écosystème théâtral. #MeTooThéâtre, ce n’est pas notre métier. C’est très important de la dire. Aujourd’hui, il nous faut réfléchir collectivement au sein de cet écosystème pour parvenir à le transformer. Notre priorité, ce sera le lancement cette saison des États généraux des violences sexuelles et sexistes au sein de l’institution, financés par l’institution. Nous sommes en lien avec plusieurs théâtres sur cela. Nous aimerions faire une journée pilote, puis en voir d’autres reprises et organisées en région. Toutes doivent s’y exprimer, quelle que soit sa place dans l’écosystème. Il nous faut des outils pour gérer ces situations. Nous n’en avons pas, et encore moins en compagnie.
Sephora Haymann : Nous envisageons aussi de monter un spectacle, avec le collectif, pour s’interroger sur l’endroit où se croisent l’artiste et le militantisme. À quel endroit est-ce efficient ? C’est un projet pour une échéance pas trop lointaine, probablement la saison prochaine. Il faut que notre réponse soit aussi artistique.
Propos recueillis par Cyrille Planson
jeudi 15 septembre 2022 :: Permalien
Publié dans L’Humanité du 8 septembre 2022.
Spécialiste de l’édition, du livre et de la lecture, l’historien Jean-Yves Mollier est l’auteur de nombreux ouvrages depuis trois décennies. Il poursuit son travail de lanceur d’alerte sur les évolutions les plus récentes en les inscrivant dans la trajectoire de la modernité éditoriale. « Puisque le contrôle de la parole semble bien inclus dans le projet de Vincent Bolloré de posséder à la fois le numéro un de l’édition, Hachette, qui pèse 2,6 milliards d’euros de chiffres d’affaires et Editis, qui a dépassé 800 millions en 2021, il est nécessaire de remonter à l’origine des phénomènes de concentration pour y mettre à nu les logiques qui sous-tendent cette stratégie. »
Pierre Chaillan
samedi 27 août 2022 :: Permalien
Publié dans Livres Hebdo n° 23, septembre 2022.
Jean-Yves Mollier, historien de l’édition.
Tandis que Vivendi poursuit son offre publique d’achat (OPA) sur Lagardère et prépare la cession d’Editis, Jean-Yves Mollier dresse une Brève histoire de la concentration dans le monde du livre (Libertalia, 8 septembre). Tout en retraçant les phénomènes de concentration, il montre le caractère économique et financier de ces mouvements, qui permettent des réductions de coûts ou encore un contrôle des œuvres, mais aussi les ambitions politiques et idéologiques des oligarques, qui les accompagnent systématiquement.
C.L.
jeudi 25 août 2022 :: Permalien
Publié dans Le Monde diplomatique (août 2022).
L’auteur, alors « rouleur » en presse parisienne et secrétaire délégué des correcteurs au syndicat du Livre CGT, décrit les précaires conditions d’exercice de sa profession. L’ouvrage commence, après un lexique bienvenu, par une actualisation des statuts dont dépendent les correcteurs et correctrices notamment dans l’édition et la presse. Très vite, un constat s’impose : ubérisation et « tâcheronisation » du travail dégradent aussi bien ce métier qu’elles diminuent la qualité des journaux et des ouvrages. Dans un second temps, plusieurs revendications sont proposées dans le but d’enrichir, de valoriser et rendre visible cette profession, d’améliorer ses conditions d’exercice tout en étant à l’écoute des évolutions de la langue et du numérique (écriture inclusive, presse en ligne). Et, afin de s’emparer de ces combats pluriels, sont énumérés de nombreux outils et lieux de lutte, avec un accent particulier sur le microentrepreneuriat, grandement dévoyé et mettant à mal l’avenir du métier. Une invitation au rassemblement en vue de défendre une profession méconnue mais capitale pour le lectorat.
Marguerite Lafage