Le blog des éditions Libertalia

Libertalia dans Le Matricule des anges

samedi 27 mars 2010 :: Permalien

Dans le numéro 111 du Matricule des Anges, le mensuel de la littérature contemporaine, on peut lire le portrait suivant. La revue est disponible en kiosques et par abonnement.
 Voir en ligne sur www.lmda.net

Des murs à abattre

Le drapeau noir flotte sur Libertalia, jeune maison d’édition pleine de ressources. C’est une terre d’accueil ouverte à la culture alternative et aux paroles insoumises.

Les éditions Libertalia ont trois lieux de vie : à Paris, rue Voltaire, au Centre international de culture populaire où est établi leur siège ; rue des Vignoles, à la CNT, quartier général de l’anarcho-syndicalisme. Enfin à Montreuil où naissent les livres, non loin du hangar de La Parole errante cher à Armand Gatti. Sur leur blog, cette phrase de Brecht : « Celui qui combat peut perdre. Celui qui ne combat pas a déjà perdu ». Libertalia, c’est une « colonne vertébrale » de trois personnes : Nicolas Norrito, Charlotte Dugrand et Bruno Bartkowiak.
« On ne veut pas gagner d’argent avec la maison d’édition. On bosse à côté. C’est un gage de pérennité » explique le premier, prof de lettres dans un lycée. Aussi à l’aise sur scène (ex-bassiste) que sur un ring. « C’est un touche-à-tout » dit Charlotte, pigiste correctrice chez Prisma. Après un IUT métiers du livre à Aix-en-Provence, elle a cofondé les éditions Egrégores. Bruno, graphiste toulousain, complète l’équipe.
Les livres que le trio publie montrent une fascination pour les textes de combat. À coups de rééditions ou d’inédits - balayant les champs de l’essai, de la fiction et du pamphlet, Libertalia explore les marges - et donne voix aux réfractaires. Ressort les mémoires de bagne de l’ancien de la bande à Bonnot, Eugène Dieudonné, s’enthousiasme pour Jack London et Gaston Leroux, se moque de Finkielkraut, décortique les mécanismes de La Terrorisation démocratique. Et frappe juste quand elle rassemble les chroniques d’un saisonnier de la misère, Thierry Pelletier (La Petite Maison dans la zermi), accompagnées par une quinzaine de dessinateurs. Il y a du muscle et de la colère dans ce catalogue poussé par les vents de l’utopie pirate. L’action libertaire se nourrit du proche et du lointain : ici à Vincennes avec les sans-papiers, là en Palestine, en Inde, ou au Chiapas. Rencontre avec deux voyageurs, Nicolas et Charlotte, sous le signe du « on », porte-parole d’une aventure collective.

Le premier livre de Libertalia sort en février 2007. Quel était le projet de départ ?
On publiait déjà un fanzine de contre-culture, Barricata, bien diffusé dans la scène musicale punk/rock et rap. Pendant les concerts, on souhaitait mettre sur nos tables de presse des bouquins qui nous plaisaient. Et il y eut ce coup de cœur pour la nouvelle de Jack London, Le Mexicain. L’histoire de ce petit boxeur révolutionnaire qui combat pour financer l’achat de 5 000 fusils permettant de renverser le dictateur Porfirio Diaz. On s’est dit : puisque personne ne le réédite, on s’en charge. Notre culture, c’est le « Do it yourself ». On a donc lancé la maison d’édition sans réfléchir et sans un euro. Le père d’un copain, Jean-Pierre Siméon, nous a donné quelques conseils…

Pourquoi cette grande place accordée à l’illustration ?
Au début, la maison d’édition s’est beaucoup reposée sur Barricata. Notre héritage, c’est la bande dessinée et la littérature populaire, l’anti-élitisme. Le dessin est plutôt un mauvais genre… Nous défendons une culture populaire accessible à tous. Pour nous, c’est aussi une façon de faire bosser les copains, souvent de vrais galériens. Libertalia sert à ça. Il y a un côté famille, tribu.

Vous recourez à la vente directe. On peut aussi acheter des livres sur votre site. Est-ce à dire que vous ne croyez pas à l’avenir des librairies ?
Non, ce mode-là de diffusion est important, il représente les 2/3 des ventes environ. Près de 80 librairies suivent à fond notre catalogue. Mais on sait que certains titres trouveront difficilement leurs lecteurs en librairies, comme le livre de photos de Yann Levy, Marge(s). On assume. D’autres circuits prennent le relais : le réseau militant et le réseau musical. Par exemple, Feu au centre de rétention (de Vincennes) a été soutenu par des collectifs de solidarité avec les sans-papiers. Nous avons reversé l’ensemble des droits, soit quelque 8 000 €.
Nos copains de la K-Bine, un bon groupe de rap conscient, qui revendique l’autonomie du 93, diffusent les bouquins de Libertalia, de L’Esprit frappeur, de La Fabrique ou de L’Échappée. Aujourd’hui, lors des concerts, il se vend davantage de livres que de CD. Toucher des gens qui ne fréquentent pas forcément les librairies, c’est très important. Mais il faut des petits prix. À une époque, L’Insomniaque vendait sa collection « À couteaux tirés » dans les bars. Le livre doit se trouver partout.

Comment s’articule votre programme éditorial ? Il penche plutôt vers l’histoire, la politique…
Il y aura toujours ce mélange de textes littéraires réédités et de fictions contemporaines. On ne veut pas s’occuper seulement de pamphlets politiques ou de sciences humaines. On sort bientôt un petit polar de Jean-Pierre Levaray, Tue ton patron.

C’est un titre pour choquer le bourgeois ?
Ça nous fait marrer. Il y a un côté provo assumé. Nous n’avons pas envie de policer notre image. Au moins la ligne est claire. Quand on regarde la liste de nos titres, c’est sacrément dur. Cela manque un peu de lumière (rires). Mais on aime la littérature qui a de l’estomac. La littérature, même sociale, est un moyen de s’évader. On s’aperçoit également d’une chose, plutôt terrible : on ne publie que des gens que l’on connaît ou qui nous sont recommandés. Peut-être est-ce une méfiance…

En quoi éditer des livres est-il pour vous une résistance ?
C’est transmettre une parole alternative au cœur de la culture de masse. Le livre est un catalyseur, mais en aucun cas ne nous suffit. Si notre vie se limitait à éditer huit livres par an, nous serions désespérés. Le livre fait partie de toute une démarche collective de résistance, qu’on entreprend avec la musique, - et les concerts que l’on organise -, avec Barricata, avec Libertalia ou plus largement avec la CNT.
Nicolas Norrito : le livre nous aide à vivre, comme le sport d’ailleurs. Journal du voleur de Genet, Sans patrie ni frontières de Jan Valtin, ou encore le Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations de Raoul Vaneigem m’ont définitivement influencé. En revanche, je n’aime ni l’industrie du livre, ni le milieu littéraire. Comme ces éditeurs sur le dernier Salon du livre jeunesse à Montreuil qui se foutaient pas mal des vingt gamins roms qui dormaient sur le trottoir d’en face après la démolition de leurs baraquements, alors qu’ils vendent eux-mêmes des bouquins sur la misère des enfants dans les pays du Sud…

Pourquoi cet attrait pour les forçats, les pirates ?
Parce que les pirates sont les ancêtres des anarcho-syndicalistes. Ce que nie l’historiographie marxiste, laquelle ne s’est jamais intéressée aux marins, considérant qu’ils n’étaient pas des travailleurs d’industrie. La devise des pirates, « Une vie courte et joyeuse », nous parle. Nous sommes un peu romantiques (sourires). Les pirates refusant de se laisser exploiter par les armateurs, prenaient possession de leurs bateaux, et créaient une zone autonome temporaire égalitaire et libertaire : salaire identique, capitaine élu et révocable. Nous défendons tous les illégalismes, à l’instar du mouvement des Luddites, ces briseurs de machines en Angleterre au XIXe siècle se définissaient comme des Robins des bois des temps modernes. Tout ce qui permet de faire ravaler la morgue aux puissants nous plaît. La maison d’édition nous ressemble. Quand on parle de la vie des bagnards, on n’évoque pas seulement ceux d’hier, on demande une préface à Jean-Marc Rouillan. La prison est une infâme saloperie.
C’est important de vivre ce qu’on écrit, comme vivre ce qu’on diffuse. Voilà pourquoi on ne se retrouve pas dans certaines maisons d’édition qui préfèrent la radicalité de salon, le communisme mondain, qui ne s’intéressent pas à ce qui se passe en bas de chez eux. Ce n’est pas notre monde. Libertalia n’exploite personne et refuse les subventions publiques.

À quoi attribuez-vous la bonne santé des maisons d’édition dites engagées ?
Il y a un effet anti-Sarkozy, clairement. Les librairies comme la presse accordent davantage d’espaces à une pensée critique. Les ventes de La Fabrique ont beaucoup augmenté. Il y a un regain d’audience pour les livres d’Agone, de Lux ou des Prairies ordinaires. Nous étions persuadés, il y a plus d’un an, que la révolution était pour demain. Certains de la bande de Tarnac côtoyaient les gars de Villiers-le-Bel à la prison de la Santé. La jonction des luttes se préparait entre les jeunes issus de l’immigration et la jeunesse bourgeoise, intellectuelle et politisée. Depuis, le soufflé est retombé… On est loin de 1793. Maintenant c’est Thermidor !

Quels sont vos projets ?
On aimerait acheter les droits d’un roman inédit de B. Traven, Les Cueilleurs de coton, mais c’est très compliqué. Sinon, on publie bientôt Les Mots sont importants, un livre qui tombe à pic après le débat sur l’identité nationale, Les Forçats de la mer de Marcus Rediker, Refuzniks de Martin Barzilai (textes et photos) sur ceux qui refusent de servir en Israël, Les Deux Pieds dans la France de Thierry Pelletier qui est une suite de La Petite Maison dans la zermi, ou encore un essai d’Éric Fournier sur le mythe de la belle Juive en littérature, notamment chez Maupassant. Il y a enfin la suite des aventures de Chéri-Bibi, sauf que le cinquième et dernier tome est franchement réactionnaire.

Propos recueillis par Philippe Savary