Le blog des éditions Libertalia

Un chant d’amour. Israël-Palestine, une histoire française

mercredi 18 octobre 2023 :: Permalien

UN CHANT D’AMOUR
Israël-Palestine une histoire française

Un récit graphique d’Alain Gresh et Hélène Aldeguer
Libertalia, collection Orient XXI
En librairie le 20 octobre 2023

Le 6 novembre 2022, Emmanuel Macron félicitait Benyamin Netanyahou pour sa victoire aux élections législatives. « Nous partageons, expliquait-il, la même volonté de renforcer les liens déjà si forts entre Israël et la France. » Le président de la République ne semblait pas troublé par l’arrivée d’une coalition d’extrême droite à Tel-Aviv, avec plusieurs suprémacistes juifs et fascistes, rendant encore plus illusoire la création d’un État palestinien dont Paris affirme pourtant qu’il est la condition de la paix dans la région.

Emmanuel Macron s’inscrit dans les pas de ses deux prédécesseurs, Nicolas Sarkozy et François Hollande, qui ont fait d’Israël un allié stratégique.

Alors que la situation est plus dramatique que jamais à Gaza, Libertalia publie dans la collection animée par OrientXXI, une nouvelle édition enrichie du récit graphique d’Alain Gresh et de Hélène Aldeguer, Un chant d’amour, Israël-Palestine, une histoire française.

Si les relations entre la France et Israël ont été de tout temps « passionnées », elles n’ont pourtant pas toujours été « amoureuses ». On se souvient encore des paroles du général de Gaulle en novembre 1967 qualifiant les Juifs de « peuple dominateur et sûr de lui ». On n’a pas oublié l’explosion de colère de Jacques Chirac menaçant en 1996 d’interrompre sa visite officielle à Jérusalem et dénonçant les « provocations » des services de sécurité israéliens.

La France s’est acquis la réputation d’être « pro-arabe » et « pro-palestinienne ». Certains la décrivent même comme profondément anti-israélienne, voire antisémite. Ce livre raconte une histoire différente, il montre comment le rapprochement avec Israël, mené parfois au nom du combat contre l’antisémitisme voire de l’antisionisme, parfois au nom de « la guerre contre le terrorisme » a marqué une rupture avec l’héritage gaulliste.

Cet ouvrage s’interroge enfin sur la façon dont l’affrontement en Palestine-Israël est devenu une « passion française [1] ». Férue de débats, marquée en profondeur par son passé vichyste et colonialiste, abritant les communautés juives et musulmanes les plus importantes d’Europe, la France est devenue une caisse de résonance d’une crise plus que centenaire.

De la présidence de De Gaulle à celle d’Emmanuel Macron, cet ouvrage raconte plus d’un demi-siècle de relations franco-israélo-palestiniennes. Dans le but de s’adresser à un public large, les auteurs ont choisi de raconter cette histoire sous forme graphique, n’attribuant aux protagonistes que des propos réellement tenus, soit officiellement, soit officieusement. Et pour bien souligner la « passion française » et les déchirements nationaux qu’elle ne cesse de provoquer, la dessinatrice Hélène Aldeguer a choisi de jouer sur les effets saturés et contrastés de trois couleurs symboliques : le bleu, le blanc et le rouge.

Les auteurs

Alain Gresh est journaliste. Ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique, il est le fondateur du journal en ligne Orient XXI. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur le Proche-Orient et codirige la collection Orient XXI (Libertalia).

Hélène Aldeguer, diplômée de l’École Estienne, est l’autrice de trois BDs parues aux éditions Futuropolis : Après le printemps : une jeunesse tunisienne (2018) ; Ce qui nous sépare (2020) ; Manifestante (2022).

[1Pour reprendre le titre d’un ouvrage de Denis Sieffert, Israël-Palestine, une passion française, La Découverte, Paris, 2004.

Anne Crignon dans Affaires sensibles sur France Inter

vendredi 13 octobre 2023 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Anne crignon était l’invité de l’émission Affaires sensibles du 11 octobre 2023 sur France Inter consacrée à la lutte des Penn Sardins.

Écouter sur le site de Radio France.

Trans* dans Lundimatin

mercredi 11 octobre 2023 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

paru dans lundimatin#398, le 9 octobre 2023.

Destituer le genre

Alors que s’ouvre à Paris le procès de ladite « affaire du 8 décembre », dont l’enjeu, écrit lundimatin, n’est rien moins que « faire le procès de l’antiterrorisme ou […] renoncer aux libertés politiques », et que le même lundimatin entame, à travers une série d’analyses et d’entretiens, « un travail d’exploration et peut-être d’élucidation de ces concepts dont nous héritons : fascisme, autoritarisme, réaction, extrême-droite, libertarianisme, etc. », est-il bien sérieux de s’attarder sur un sujet que d’aucun·es pourraient qualifier sinon d’« apolitique », du moins de mineur, voire de futile dans ce contexte ? C’est la question que je me pose au moment de rendre compte de ce livre.

J’espère pouvoir y répondre ici sans trop m’égarer – homme cis blanc dont la biographie et la trajectoire politique relèvent plus du siècle dernier que de nos années 20, je me sens souvent un peu largué par les temps qui courent… Pour m’expliquer, je dirai simplement que ma formation et une grande partie de ma vie politique se sont déroulées sous le signe de l’un – unité, vérité, universalité. Je vois bien, avec le recul, qu’il y a déjà beau temps que sont apparues en pleine lumière les multitudes, multiplicités et autres « diversalités », mais on ne se refait pas du jour au lendemain (et j’ai l’impression que la sagesse si souvent associée aux âges vénérables n’en est pas toujours vraiment une, tant, en même temps que les muscles, les tendons et les artères, la pensée a tendance à se rigidifier quelque peu, ayant de plus en plus de mal à prendre en compte le changement perpétuel qu’est la vie en général et ses expressions diverses en particulier).

Bref. Une première bonne raison de lire ce livre était sa publication par les ami·es de Libertalia. Ielles ne m’ont pas habitué à proposer des textes sans intérêt – à l’eau tiède, je veux dire. Le titre, Trans*, a aussi éveillé ma curiosité. Et justement, par rapport à ce que je disais plus haut, il m’a semblé tout à fait utile d’apprendre quelque chose sur un sujet auquel, je l’avoue, je ne connais pas grand-chose. Et puis, dès les premières pages, je me suis senti bien accueilli. En effet, elles sont occupées par la préface des traducteurices (l’édition originale de Trans* est en anglais américain) de la collective dansmalangue (non, je ne me goure ni sur le genre, ni sur les espaces). « Trans* nous a transformé·es, écrivent-ielles. Et traduire ce livre, cela a aussi signifié nous traduire nous-mêmes : changer nos manières de nous dire et nos manières de faire et de sentir. » Il me semble que je pourrais ici, tout en rendant grâces aux traducteurices, substituer pour ma part le verbe « lire » au verbe « traduire »… Et je pense que ce sera le cas de tout·e lecteurice de bonne foi. Afin de m’approcher un peu plus du sujet, je citerai encore la collective dansmalangue : « Une des voies privilégiées par Halberstam pour donner à sentir les mondes trans*, ce sont les productions culturelles : les livres, les films, les chansons, les installations photographiques, les zines… toutes formes qui, au bord du discursif, nous plongent dans la matérialité vivante des existences trans*. Ce sont des objets qui pointent vers des pratiques, qui nous embarquent dans le bricolage de la variabilité de genre, plutôt que de nous tenir à la distance bien convenable des “identités” préétablies dont les appareils combinés de l’État, des réseaux sociaux et des pouvoirs médicaux sont friands. » C’est moi qui souligne. Cette notion de bricolage, apparaissant dès la troisième page de la préface, est à l’évidence une des choses qui m’ont incité à poursuivre ma lecture. Et voici ce que j’ai trouvé un peu plus loin, et qui m’a conforté dans cette intention : « En France, un courant transphobe est en train de se constituer et d’orchestrer avec une inquiétante régularité des “débats” paniqués sur l’accès aux toilettes des personnes trans* et sur les enfants variants de genre. Dans ce contexte, nous avons à l’évidence beaucoup à apprendre des différents retours en arrière que la société postdémocratique états-unienne est en train de vivre à l’égard des minorités. […] les travaux d’Halberstam nous rappellent ainsi que l’horizon d’une politique trans* coalitionnelle ne peut s’en tenir au réformisme de l’État moderne/colonial, et doit plutôt être un appel à l’antagonisme généralisé et à l’abolition : abolition de la société qui a rendu les prisons possibles, abolition de l’État qui cautionne les féminicides et criminalise l’immigration, abolition de la colonie qui n’existe que par les systèmes de mort imposés à tous les êtres dont les genres sont jugés excessifs (inclus·es : les fèms, les hommes non blancs, les personnes de genre variant, et puis, tous·tes les autres). » Ici, ce sont les auteur·es qui soulignent. J’imagine que de pareils énoncés, somme toute assez raisonnables, pourraient néanmoins leur valoir assez vite un qualificatif en « terroriste » – comme les Soulèvements de la terre se sont retrouvés « écoterroristes », il se trouvera bien un usineur d’éléments de langage au service de Darmanin et consorts pour les qualifier de transterroristes… Non, je ne suis pas sûr que j’exagère. Bien sûr, les tenants de la normalisation – il s’en trouve dans tout le paysage politique hexagonal, probablement un peu plus à droite et encore à droite, mais pas que – auront tendance à zapper cet intrigant astérisque – pensez donc, ils font n’importe quoi de notre belle langue française, commenteront-ils avec une grimace de dégoût. Moi-même, avant de lire ce livre, je ne connaissais pas cet usage de l’astérisque (mais je ne suis pas une référence en la matière, voir plus haut). « […] ce livre utilise le terme “trans*”, écrit Halberstam, précisément parce qu’il laisse ouvert ce que c’est que de devenir “trans”. Précisément parce qu’il nous permet de refuser le confort de la certitude dans le nom que nous donnons aux choses. » L’idée, si je comprends bien, est d’échapper aux classifications, aux catégorisations que nous a léguées l’histoire :

« La manie adamique de nommer tout ce qui bouge a commencé, sans surprise, avec l’exploration coloniale. Toute personne ayant visité un jardin botanique ou zoologique le sait : la collection, la classification et l’analyse de la faune et de la flore du monde vont de pair avec les diverses formes d’expansion et d’initiative coloniale. »

Comme Foucault l’a bien montré, je crois, dans Les Mots et les Choses, cette « manie adamique » a déteint sur l’ensemble du monde et a puissamment contribué à en justifier une certaine mise en ordre : « Les distinctions scientifiques entre les corps normaux et anormaux, poursuit Halberstam, ont ainsi soutenu le projet suprémaciste blanc qui essayait de faire se correspondre les différences de race, les différences de genre et les diverses formes de perversion sexuelles. » Pardon pour les raccourcis – s’ils vous paraissent trop abrupts, allez au texte (et quoi qu’il en soit, cette recension est faite pour vous donner envie d’y aller), mais je résumerai tout de même en disant que depuis la naissance des sciences humaines (médecine moderne et sociologie essentiellement), on a caractérisé les groupes humains, entre autres, à partir de leur sexualité, qualifiée d’autant plus perverse qu’elle s’éloignait de la norme canonique hétérosexuelle. Les groupes ainsi désignés, en premier lieu les « invertis », ont plus tard mené des luttes plus ou moins couronnées de succès selon les contextes afin de se faire reconnaître comme égaux et porteurs de droits.
« Le mouvement d’identification transgenre, écrit Halberstam, semble emprunter aujourd’hui la même trajectoire que d’autres mouvements sociaux portant sur les identités, comme celui de l’homosexualité au XXe siècle : passant de la pathologie à la préférence, de l’obsession maladive qui pose problème à l’expression raisonnable du soi. Comme pour les identités LGB, les identités trans s’intègrent aujourd’hui autant dans les critères des nouveaux endroits d’expression de l’acceptation libérale que dans les nouvelles plateformes de revendications en faveur de la reconnaissance. » 
Ainsi, ces « identités », aussi remarquables soient-elles, risquent-elles de contribuer à la gestion néolibérale de la « société civile ». Une société blanche, cela va de soi. Halberstam rappelle en effet à plusieurs reprises qu’il n’y a guère d’identité entre des personnes plus ou moins « déviantes » blanches de classe moyenne et d’autres non blanches, descendantes d’esclaves ou issues de l’immigration postcoloniale en pays dominants.

Certes, un astérisque ne résout pas à lui seul ce type de problème… On dira plutôt qu’il marque la volonté de les résoudre, ou plus exactement de lutter contre les identités closes qui contribuent à maintenir les hiérarchies sociales et plus globalement le capitalisme. L’astérisque est là, dit Halberstam, pour « élargir le terme [trans*] à des catégories modulables qui gravitent autour mais qui ne sont pas restreintes aux formes de divergence de genre. […] l’astérisque modifie la signification de la transitivité en refusant de situer la transition en relation à une destination, à une forme finale ou spécifique, ou à une configuration établie de désir et d’identité. » C’est, je crois, le cœur du propos de ce livre. Il ne s’agit pas ici d’élargir la palette de la « police » (au sens que Rancière donne à ce terme), d’augmenter le nombre des « comptés », mais bien plutôt de faire dérailler les comptes – et les contes par la même occasion, puisque l’auteur appuie son développement, comme cela a été dit plus haut, sur l’analyse de nombres de productions culturelles.

« Ce terme, trans*, se tient en désaccord avec l’histoire de la divergence de genre qui a été aplatie et appauvrie par des définitions abrégées, des déclarations médicales trop présomptueuses et de violentes formes d’exclusion. »

L’astérisque nous permet donc d’échapper à une définition figée de ce que l’on nomme transgenre, peut-être même à toute définition positive. Il désigne un, que dis-je, des processus, des trajectoires qui partent dans tous les sens. Peut-être qu’ainsi les vaches ne seront pas bien gardées… Et c’est évidemment ce qui énerve les gens sérieux – comptables, juristes, sociologues, etc.

Je vais terminer ici cette petite note, en espérant qu’elle vous aura mis l’eau à la bouche… Mais tout d’abord, je voudrais signaler cette sorte de post-scriptum de Jack Halberstam : « Complément à Trans* », disponible en pdf sur www.éditionslibertalia.com. C’est un petit texte tout à fait passionnant et plein d’humour qui revient sur les thèmes du livre à travers d’autres exemples – entre autres, la question de l’accès aux toilettes des personnes transgenres qui a le don, semble-t-il, d’affoler les hommes et les femmes straight…

Et puis, pour finir, je citerai encore un dernier extrait du livre – de sa conclusion.

« […] l’astérisque sert pour moi à exercer une pression sur la catégorie de trans afin de potentiellement destituer trans de sa fonction de référence pour, d’un côté, le changement corporel et, de l’autre, pour la stabilisation des ontologies menacées de destruction par son émergence. Si la destitution nomme un ensemble de mouvements insurrectionnels qui visent, dans les mots de Kieran Aarons et Idris Robin, “à démolir, démanteler et révoquer les représentations et les institutions politiques dominantes sans en proposer d’autres pour les remplacer”, à quoi pourrait donc ressembler la destitution dans les politiques trans de la représentation ? Cela pourrait vouloir dire, par exemple, que si nous commencions à faire de trans* un site de démantèlement et de démolition, nous pourrions le comprendre, pour citer Butler, comme une manière de défaire le genre, et non comme un nom pour de nouveaux modes d’inclusion. »

Franz Himmelbauer pour Antiopées

Entrer en pédagogie féministe dans Le Café pédagogique

lundi 9 octobre 2023 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Le Café pédagogique, le 26 septembre 2023.

Vers une pédagogie de la mixité ?

Que faire pour que la mixité filles-garçons à l’école ne soit pas qu’une illusion ? Pour nous aider à travailler en sens, Audrey Chenu et Véronique Decker publient l’ouvrage Entrer en pédagogie féministe. Un abécédaire éclairant, une boîte à outils indispensable et une belle invitation au voyage pour Claire Berest.

De l’école mixte à l’école égalitaire ?

Dans les années 1960 la mixité s’élargit à presque toutes les écoles primaires françaises ; elle s’étend ensuite aux lycées, dans les années 1970, pour devenir obligatoire au moment de la loi Haby en 1975. Pour autant, son introduction à l’école ne semble pas s’être réellement accompagnée d’une réflexion sur les enjeux et les modalités de sa mise en œuvre. Instaurée, mais peu pensée, comme si elle allait de soi, la mixité a manqué en particulier d’accompagnement des enseignant·es en termes de formation, et de réflexion sur les conditions nécessaires au déploiement d’un enseignement véritablement égalitaire et émancipateur pour les filles, comme pour les garçons. Car mélanger filles et garçons ne suffit pas à garantir l’égalité entre les unes et les autres. L’école et les enseignant·es s’emparent aujourd’hui de plus en plus de ce constat pour bousculer les lignes. Iels avancent, expérimentent, mutualisent afin de faire évoluer l’école vers une véritable pédagogie égalitaire.

Entrer en pédagogie féministe

C’est là tout l’enjeu de l’ouvrage Entrer en pédagogie féministe, publié aux éditions Libertalia coécrit par Audrey Chenu, professeuse des écoles, et Véronique Decker, directrice d’école à la retraite, anciennes collègues de l’école Marie-Curie à Bobigny.
Mêlant échanges, réflexions, pistes, situations problèmes, sous forme « d’allers-retours permanents et nécessaires entre expérimentations et théorisation », les deux autrices parcourent le quotidien des enseignant·es confronté·es dans leurs classes aux difficultés et au désir « d’intégrer l’égalité de genre au quotidien, de manière transversale », partant de la conviction que « la place de l’école est décisive pour faire avancer l’égalité des droits réels » et « permettre aux enfants d’observer le « genre » comme une construction humaine variable et modifiable ».

Une véritable boîte à outils

L’ouvrage propose une mine de références bibliographiques et propositions de supports qui donnent envie d’aller fouiller, d’autant qu’elles ne sont pas écrasantes par leur nombre. On pourra ainsi découvrir, ou redécouvrir, pour interroger féminité, masculinité, mécanismes de domination, normalité… quelques ouvrages de littérature jeunesse comme Rosalie et les princesses roses de Raquel Diaz Reguera, Arthur et Clémentine d’Adela Turin, ou encore, plus récent, Ma maman est bizarre de Camille Victorine et Anna Wanda Gogusey…
On gagnera aussi à visionner, ou revisionner, les réalisations d’élèves du collège Cotton de Bonneuil-sur-Marne et du lycée Vionnet de Bondy, véritables pépites pleines d’humour et d’intelligence, qui démontent, l’une, On nous prend pour des contes, les clichés sexistes des contes, et l’autre, La véritable identité des chats, les discours complotistes ; ou encore exploiter l’édifiant court-métrage Espace d’Eléonore Gilbert qui interroge, à travers le regard d’une élève, les cours de récréation.
Pour ceux et celles qui ne les connaîtraient pas encore, un rappel utile du test de Bechdel sur l’invisibilisation des femmes, un lien vers les affiches d’Élise Gravel ou le petit livre gratuit mis en ligne par l’association Mémoire traumatique et victimologie illustré par Claude Ponti pour aborder le sujet des violences faites aux enfants.
Le livre se conclut sur une proposition en annexe d’une « Grille d’observation des relations de genre dans la classe et à l’école (1er degré) », élaborée en 2011 par Geneviève Guilpain, formatrice dans l’académie de Créteil, professeuse à l’INSPE de Livry-Gargan, qui invite chacun·e à réfléchir à ses propres pratiques.

Un abécédaire à explorer

Mais la grande force de l’ouvrage est de se présenter sous forme d’abécédaire dans lequel chacun·e peut aisément naviguer dans l’ordre qu’iel souhaite, selon les situations rencontrées, en proposant 26 entrées très concrètes de quelques pages, parfois attendues, mais nécessaires et éclairantes : « G comme genre », « J comme jeux et jouets », ou « L comme littérature jeunesse »… ; parfois plus surprenantes, mais qui invitent à chausser en toute situation des « lunettes féministes » : « C comme coopération », « E comme entraînement », ou encore « K comme kermesse »…
Le fragment d’ouverture, « A comme attention et audace », donne d’emblée le ton, en rappelant que le premier travail de l’enseignant·e est d’apprendre à se défaire de ses propres réflexes « naturels », car « naturellement nous reproduisons […] une situation d’aliénation et d’oppression des femmes qui était considérée comme normale par les générations précédentes ». Premier exemple convoqué, très concret, le mouvement « naturel » qui invite à demander plutôt à une fille d’aider un garçon à nouer ses lacets ou de ramasser les vêtements perdus dans la cour. On est bien au cœur de la vie de l’école, dans une « attention » à ce qui s’y passe, au niveau des enfants, dans la cour, car tout ne se joue pas seulement dans les apprentissages menés en classe, si l’on veut vraiment que l’école soit le lieu d’une « audace » émancipatrice, et permette à chacun·e « d’aller plus loin », d’essayer « de faire même si on ne réussit pas du premier coup ».
Au fil de la lecture, on découvre des comptes-rendus d’expériences menées en classe et facilement transférables, au niveau aussi du second degré, et des idées d’activités à mettre en place : instaurer un rituel « La femme du jour » pour lutter contre l’invisibilisation ; utiliser l’histoire pour déconstruire des stéréotypes en recherchant, par exemple, l’origine des talons hauts ; la biologie pour interroger les notions de couple et de parentalité ; les sciences pour apprendre que la répartition traditionnelle des tâches n’est pas « naturelle », et que ce sont les lionnes, et non les lions, qui chassent…
Et l’ouvrage se termine sur le chapitre « Z comme zémotions », qui interroge la place faite à l’éducation affective et émotionnelle et invite, entre autres, judicieusement, à aller regarder ce qui se passe ailleurs pour s’en inspirer. On découvre ainsi, par exemple, qu’au Danemark, depuis 1993, « les enfants de 6 à 16 ans ont une heure de cours d’empathie […] par semaine » pour apprendre à exprimer leurs émotions, à écouter celles des autres, à réfléchir aux notions de limite, de consentement, de respect… Un apprentissage régulier et obligatoire dont l’objectif est de favoriser un climat scolaire apaisé et d’améliorer les apprentissages de chacun·e.
À l’heure où de nouvelles mesures sont prises pour mieux protéger les élèves harcelé.es, on voit bien tout le profit que l’on aurait à mettre en place, non pas seulement (même s’ils sont tout à fait indispensables) des dispositifs de prévention pHARe, mais aussi une véritable politique, « simplement », d’éducation en humanité…
 
Une invitation au voyage

Voyage inspirant, plein de bienveillance, de modestie et de doutes, Entrer en pédagogie féministe rappelle que l’enseignement est aussi engagement, invite au partage, à la réflexion et, pourquoi pas, à prolonger, et compléter soi-même l’abécédaire par d’autres entrées, esquissées çà et là, telles que « T comme toilettes », « I comme images publicitaires », ou encore « R comme règles de grammaire et langue égalitaire » …

Claire Berest

Insurgé·es dans Le Monde diplomatique

lundi 9 octobre 2023 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Le Monde diplomatique d’octobre 2023.
 
Fort de son fonds, majeur, sur la Commune de Paris, le Musée d’art et d’histoire Paul-Éluard de la ville de Saint-Denis lui a consacré une exposition, dont le catalogue reprend le principe qui en organisait le parcours : donner la parole à des historiens, des artistes, des témoins pour mettre en dialogue les documents de 1871 avec des regards contemporains, afin de souligner l’actualité de ses questionnements. L’attention portée aux individus qui ont vécu la Commune, célèbres ou anonymes, confirme cette volonté de présenter une histoire incarnée. La place accordée aux mots ne cesse de multiplier les points de vue pour ne jamais laisser le lecteur à sa seule contemplation, puisqu’il s’agit bien de lui montrer combien — comme l’explique Walter Benjamin — la Commune, héritière de 1793, fait partie de ces moments qui rompent le continuum de l’histoire — de ces « constellations où l’autrefois et le maintenant se rencontrent ».

Ernest London