Le blog des éditions Libertalia

Sorcières et sorciers dans Le Nouvel Observateur

mardi 22 octobre 2024 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Le Nouvel Observateur, le 5 octobre 2024.

Les sorcières doivent-elles balayer devant leur porte ?
Une historienne remet les pendules à l’heure

Chères sorcières, vous êtes invitées à prendre votre légendaire balai et… à balayer devant votre porte. Voilà l’exercice auquel Michelle Zancarini-Fournel, spécialiste de Mai-68 et des mouvements féministes, convie les jeunes générations biberonnées au best-seller de Mona Chollet. L’historienne du féminisme Michelle Zancarini-Fournel rappelle qu’il faut distinguer les usages militants de la vérité historique. Son essai paraît dans une collection des éditions Libertalia qui propose régulièrement des travaux « déconstructeurs » sur les mythes contemporains (Charles Martel, le Roi Arthur…). Or, de ce cadre mythique, nos sorcières contemporaines ressortent entièrement, soutient l’historienne. 
Son livre se partage en deux parties, l’une consacrée à l’histoire « scientifique » des sorcières, autrement dit à ce que les travaux des médiévistes les plus sérieux nous apprennent ; l’autre à la transfiguration opérée par la culture populaire, qui a elle aussi une histoire, retracée ici avec minutie et moult reproductions de gravures, tracts et photographies.
D’autres chercheurs, avant Michelle Zancarini-Fournel, avaient souligné que le mouvement de répression des sorcières n’avait pas eu l’ampleur que lui prêtent certaines publications féministes. Un chiffre en particulier de « 9 millions de victimes » circule et s’avère bien loin de ce que peut en dire la discipline historique qui évalue plutôt l’extermination par le bûcher dans une fourchette entre 40 000 et 70 000 (sur environ 100 000 procès répertoriés), « chiffre considérable et abominable, qu’il est inutile de centupler ». L’autrice tient aussi à rappeler qu’une sorcière sur quatre est… un sorcier. Ce que les pratiques contemporaines confirment aussi bien dans les survivances sur le territoire européen – se reporter au fabuleux livre de Jeanne Favret Saada sur la sorcellerie dans le bocage normand dans les années 1970 – ou dans les Antilles : les hommes, aussi, consultent des grimoires (ou leurs équivalents), et possèdent des techniques de guérisseurs.
Mais la partie la plus piquante du livre est celle qui, se penchant sur les usages féministes des persécutions, s’attaque à la philosophe Silvia Federici. La marxiste italienne, insérée dans le mouvement féministe transnational, est particulièrement connue pour son essai Caliban et la sorcière, paru en 2004 et tardivement traduit en français, dans lequel elle fait de la répression sanglante des femmes un des éléments centraux du passage du féodalisme au capitalisme – l’appropriation du corps des femmes étant mise au service d’une augmentation de la population, de l’accumulation de la force de travail et de la production.
Pointant plusieurs problèmes de cadrage, Zancarini-Fournel regrette vivement un usage approximatif de l’histoire et, plus encore, que cette théorie globale du développement capitaliste soit devenue une référence pour l’histoire de la sorcellerie (Federici, elle, a toujours reproché aux historiens d’avoir dépolitisé les crimes des sorcières). Se rejoue-t-il ici la vieille querelle entre philosophes et historiens, les premiers étant systématiquement soupçonnés de mettre les faits au service de leur spéculation ? Sans doute.

Femmes puissantes

Le plus neuf, et le plus intéressant dans ce court essai, réside dans l’analyse que l’autrice fait au processus de mythologisation et de la place des sorcières dans la mémoire féministe. Car la sorcière que nous connaissons, femme puissante, insoumise, dotée de savoirs sur la naissance et la mort qui la rendent redoutable, n’a peut-être rien à voir avec les victimes réelles des infâmes campagnes de répression, mais elle est tout de même née quelque part. Comme les épisodes de notre roman national, il est probable qu’elle surgisse tout droit du XIXe siècle, et même de la plume de Michelet qui « contribue largement, explique Michelle Zancarini-Fournel, à l’édification du mythe de la femme populaire rebelle, en lien avec la nature, et persécutée par l’Église ». 
Ce sont sous ces traits-là, en tout cas, qu’elle resurgit dans les mouvements féministes au tournant des années 1960-1970. L’épisode bien connu est la création, en 1968, à l’occasion de la fête d’Halloween, du collectif Witch (Women International Terrorist Conspiracy From Hell). Zancarini-Fournel, qui connaît comme peu d’autres ces mouvements, consacre des pages passionnantes à la façon dont se déploie un imaginaire transnational « démoniaque » à force de manifestes, de slogans (« Tremate, le streghe son tornate » – « Tremblez les sorcières sont de retour » – apparaît en 1972 en Italie) et de revues (« Sorcières », créée par Xavière Gauthier, paraît de 1975 à 1982).
Sortant à nouveau des cendres de son bûcher après #MeToo, la sorcière du XXIe siècle hérite de cette force contestataire et devient une figure d’empowerment. C’est ainsi que Mona Chollet peut sous-titrer son livre la « puissance invaincue des femmes » quand la discipline historique aura insisté, au contraire, sur la répression qui s’abat sur celles qu’on appelle sorcières. La victime, bien réelle, de persécutions est devenue une icône féministe, flamboyante et « totalement inventée ».
Ce retournement, Zancarini-Fournel, ne le condamne pas. Elle se contente d’adresser son livre aux « jeunes féministes » pour que celles-ci soient bien au clair avec leur usage un peu bancal du passé. Après tout, s’il ne faut pas alimenter la confusion, rien n’oblige, non plus, à organiser la concurrence entre la discipline universitaire et les ressources de l’action militante.
Sans compter que les manifestations seraient bien tristes sans les « petites-filles » revendiquées des sorcières et leur insolent « ACABracadabra » !

Julie Clarini

Sorcières et sorciers sur le blog de Yann Kindo

mardi 22 octobre 2024 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié sur La faucille et le labo, le blog Mediapart de Yann Kindo, le 21 octobre 2024.

Libertalia est une maison d’édition d’orientation communiste libertaire qui propose, entre autres, des ouvrages consacrés à des mythes, tels que ceux de Robin des Bois ou du Roi Arthur. L’historienne Michelle Zancarini-Fournel, plutôt spécialiste de mouvements socio-politiques contemporains, s’attaque ici à un sujet étonnamment chaud, celui des sorcières.
En effet, comme le montre l’autrice, la figure de la sorcière a été convoquée depuis le XIXe siècle comme étendard par des générations de militantes féministes, avec des déclinaisons un peu différentes selon les enjeux de la période de développement du mythe. Beaucoup de ces constructions bien plus politiques qu’historiques se situent dans la continuité de l’ouvrage majeur de l’historien Jules Michelet, qui dressait en 1862 dans La Sorcière un portrait très romantique d’une femme rebelle dressée contre les carcans de la société patriarcale. Depuis, ce mythe a prospéré et est devenu particulièrement prégnant du fait des succès éditoriaux de deux ouvrages au cours des dernières années. Le premier, en 2018, Sorcières, la puissance invaincue des femmes, est le best-seller de la journaliste Mona Chollet ; celle-ci surfe sur le créneau porteur du développement personnel en lui donnant un contenu féministe, et elle présente la figure de la sorcière comme celle d’une « femme puissante » dont peuvent s’inspirer les femmes et les féministes actuelles. Le deuxième, à l’ambition plus « académique », était en 2006 Caliban et la Sorcière de la théoricienne Silvia Federici, qui a directement inspiré les développements historiques de Mona Chollet. Christophe Darmangeat et moi-même avions largement décortiqué ici et ici le contenu de ce livre pour montrer tout ce qu’il avait de problématique et même souvent de proprement frauduleux.
Historienne professionnelle au fait de la production académique relative à la chasse aux sorcières des XVe-XVIIe siècle – toute une littérature savante superbement ignorée par Federici et Chollet –, Michelle Zancarini-Fournel, à la suite de ses collègues, a été frappée de voir dans les thèses à la mode « un contresens sur le “réel historique” des sorcières, qui n’étaient pas des femmes puissantes, mais des victimes des querelles de voisinage, de dénonciations et d’arrestations débouchant sur l’aveu, sous torture, du crime de sabbat ». Le premier chapitre du livre rappelle les faits historiques établis : si la publication en 1486 du manuel d’Inquisition Malleus Maleficarum marque un tournant vers une sexuation accrue de la dénonciation de la sorcellerie, celle-ci, dans le siècle précédent, avait concernée de manière égalitaire les deux sexes, et se comprenait avant tout dans le contexte du rejet des hérésies de l’époque – telles que la religion vaudoise – ou d’une autre manière du judaïsme. À propos de cette chasse aux sorcières, l’historienne remet en cause la grille de lecture hors-sol qui décrit des « féminicides » de masse commis par « les hommes » désirant soumettre « les femmes ». Elle rappelle la dynamique concrète du phénomène : « La chasse aux sorcières du milieu du XVe au milieu du XVIIe se caractérise dans les villages par un processus de dénonciation venant des proches, des voisins et des voisines, qui rendent responsables de leurs malheurs, des maladies des personnes ou des bêtes, les “jeteurs de sort” ; les délatrices et délateurs bénéficient de l’impunité et ont été incités par des prédicateurs et des curés. » Sur l’ensemble de la période, les victimes d’exécutions ont été pour un quart des hommes, et ceux-ci pouvaient être ponctuellement majoritaires à certains endroits parmi les condamnés.
Il y a au final indéniablement une dimension de genre dans cette répression majeure des débuts de l’époque moderne, avec une nette surreprésentation des femmes parmi les victimes, mais sans que cette grille de lecture puisse, loin s’en faut, se suffire à elle-même. D’autant que parmi les accusateurs, les accusatrices étaient très nombreuses… L’autrice rappelle les fourchettes de chiffres crédibles en ce qui concerne le nombre de victimes – 40 à 70 000 personnes exécutées –, et regrette que des féministes, dont Federici et Chollet, véhiculent des estimations parfaitement fantaisistes, de l’ordre de centaines de milliers voire de millions de femmes, afin de construire l’image fantasmagorique d’un « sexocide ». Depuis Françoise d’Eaubonne, Starhawk, et Carolyn Merchant, le courant politique de l’« écoféminisme », qui est particulièrement imprégné de mysticisme, a largement contribué à ce que Michelle Zancarini-Fournel qualifie d’histoire « contrefactuelle », qui en arrive paradoxalement à littéralement « invisibiliser » les sorciers et les victimes masculines de la chasse aux sorcières.
Ce livre est donc particulièrement bienvenu dans sa volonté de tracer les frontières entre le mythe et la connaissance historique. On peut néanmoins regretter deux choses à son sujet :
– que sa construction soit globalement peu cohérente ou peu lisible en termes de plan et de fil directeur. Par exemple, le deuxième chapitre est consacré au « tournant du XIXe siècle », mais une très large partie de son contenu évoque une enquête ethnographique dans le bocage français au cours des années 1970 ou bien encore la survivance de pratiques de sorcellerie dans les Antilles aujourd’hui. Le lecteur s’y perd parfois et a du mal à voir quelle est vraiment la « démonstration » en cours.
– de même, le livre est présenté comme une « lettre aux jeunes féministes », mais l’autrice s’adresse en fait fort peu à elles et semble excessivement prudente par rapport aux conclusions à tirer de son propre exposé.

Osons proposer les mots de conclusion absents de l’ouvrage : aucune pensée politique, a fortiori si elle se veut émancipatrice, n’a rien à gagner ni du mépris du savoir historique ni de la revalorisation symbolique d’une pensée magique qui est précisément aux sources du drame historique de la chasse aux sorcières. En effet, pendant que des féministes s’amusent dans des pays riches et sécularisés à évoquer les pouvoirs paranormaux qu’elles pensent posséder sur le modèle de leurs « ancêtres » fantasmées, des personnes – et notamment des femmes – sont encore de nos jours accusées de sorcellerie et victimes de répression en Inde, au Ghana ou en Zambie, comme le rapporte fort justement l’autrice de cet utile petit livre.

Yann Kindo

Une culture du viol à la française, en accès libre

vendredi 20 septembre 2024 :: Permalien

À l’occasion du procès des viols de Mazan, nous mettons en accès libre Une culture du viol à la française.
Valérie Rey-Robert poursuit actuellement son travail d’analyse et publiera Dix questions sur la culture du viol, aux éditions Libertalia, en mars 2025.

Téléchargez librement Une culture du viol à la française :
Au format PDF (1 Mo)
Au format EPUB (357 Ko)

Corinne Morel Darleux invitée de CO2 mon amour sur France Inter

lundi 9 septembre 2024 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Rencontre avec Corinne Morel Darleux dans l’émissionCO2 mon amour du 8 septembre 2024 sur France Inter.

« Dans le Diois, au pied du Vercors, chez la militante et écrivaine Corinne Morel Darleux.
Corinne Morel Darleux est autrice essayiste, engagée pour le vivant et lucide. Elle nous invite à nous munir d’une boussole, plutôt que de suivre une direction qui risque de changer, dans un monde vite démonétisé sans pouvoir planifier l’avenir. Comment tenir, agir ? Elle vit entre inquiétude et émerveillement.
Après s’être fatiguée dans les combats associatifs, politiques au milieu de luttes d’égo ... zen ! Le militantisme sacrificiel a fait des dégâts ; aussi va-t-elle vers là où l’on a prise plutôt que des luttes où l’on n’a pas d’impact. Ne pas réussir au détriment d’autrui et de la destruction du vivant fait partie de sa boussole. Sans amoindrir les faits négatifs que nous adresse la Terre, elle décale le regard.
Alors nous irons trouver la beauté ailleurs, titre d’un de ses livres et avoir ses espaces de respiration, d’émerveillement qui redonnent le courage de regarder le monde en face.
Rencontrons Corinne Morel Darleux dans le Diois, au pied de sa montagne de Glandasse, à la naissance du Vercors.
C’est une “montagne à biches”, pas encore minérale, un bel espace de cohabitation, une zone de recouvrement entre activités humaines et le sauvage. »

Écouter sur le site de Radio France.

Ovni 78 dans le Monde diplomatique

jeudi 5 septembre 2024 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Le Monde diplomatique, septembre 2024.

Fausses pistes,
vrai complot

Deux scouts sont portés disparus sur le mont Quarzerone, anomalie géologique entre l’Apennin et les Alpes apuanes, théâtre de nombreuses apparitions inexpliquées. Deux ans plus tard, à Rome, le 16 mars 1978, le congrès des ovniologues italiens est perturbé par la nouvelle de l’enlèvement d’Aldo Moro, président de la Démocratie chrétienne. Qui, comment, pourquoi ? Toutes sortes de personnages vont surgir dans le récit, et enquêter. Une anthropologue, qui étudie les ufologues. Un ancien journaliste communiste, reconverti avec succès dans les ouvrages sur les événements inexplicables, qui veut éclaircir la disparition des deux scouts — et ce n’est sans doute pas un hasard s’il ressemble à François Truffaut, comédien dans le film Rencontres du troisième type, qui vient de sortir. Son fils, ancien toxicomane, est membre, avec sa compagne, fille d’un gros industriel finançant les courants les plus réactionnaires, d’une communauté pratiquant à sa façon l’interrogation critique — lors de « séances d’autoconscience ». Se mêlent aussi à l’histoire un « ufophile », marchand de disques underground, sa grand-mère, un peu sorcière, un garde-forestier, fin connaisseur de cette fameuse « montagne magique », des personnes recherchées par la police et encore quelques autres, qui d’abord se croisent avant que les liens entre eux ne se resserrent. Tous sont, chacun à sa manière, des « enquêteurs », porteurs de questions.
Il y a de quoi, dans cette « étude » sur la vague d’apparitions inédite d’objets volants en Italie, pendant les cinquante-cinq jours de la « Moro Seizure », et ses énigmes, qui impliqueraient la « raison d’État » et le réseau paramilitaire Gladio (1), en cette « année-bascule », qui voit la fin d’un grand mouvement anticapitaliste, parfois armé, et parfois instrumentalisé, comme le rappelle le traducteur Serge Quadruppani dans sa postface. Le lecteur lui-même se demandera souvent quelle part de vérité le collectif d’auteurs bolognais – ils sont aujourd’hui trois –, réunis sous le pseudonyme de Wu Ming, a utilisée… Dans une remarquable conjonction entre la forme et le propos, les auteurs émettent l’hypothèse que, l’imagination aidant à accepter le réel, ces narrations de diversion à propos d’objets volants mystérieux répondaient à un besoin d’enchantement face à un monde inacceptable dont on refusait d’admettre la réalité systémique : « Ils ont tous les yeux pointés vers le ciel. Ici-bas, c’est trop dégueulasse. »
Des clés sont disséminées de loin en loin, entre les lignes. Si la lecture préalable de l’indispensable Q comme qomplot. Comment les fantasmes de complots défendent le système (Lux, 2022) écrit par l’un des membres du collectif (Wu Ming 1) contribue certainement à les relier, cette préoccupation de démêler le fatras des fantasmes et des délires apparaît vite comme le fil conducteur de ce récit touffu qui ne laisse rien au hasard. Fiction, « vrai-faux roman historique et histoire alternative » pour citer Quadruppani ? Polar politique ? Le doute accompagnera le lecteur jusqu’aux ultimes pages tant les références à ces années déterminantes sont précises et documentées. En tout cas, à l’évidence, cet Ovni 78 est un remarquable « olni » (objet littéraire non…).

Ernest London