Éditions Libertalia
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jeudi 5 septembre 2024 :: Permalien
Publié dans Le Monde diplomatique (septembre 2024).
En 1843, la femme de lettres socialiste et féministe Flora Tristan (1803-1844) auto-édite Union ouvrière, qui exhorte les ouvriers et les ouvrières à s’organiser par et pour eux-mêmes. Elle récuse les réformateurs qui veulent les « enrégimenter » et ceux qui prônent l’émeute. Son objectif est d’« unir les classes ouvrières dans une seule et même union » afin de leur donner « le droit au travail (possibilité de manger), le droit à l’instruction (possibilité de vivre par l’esprit) ». Pour faire connaître ses idées, elle entreprend un tour de France. Elle accumule des notes dans chaque ville traversée sur l’état de la classe ouvrière, mais meurt sans l’avoir terminé. Elle annonce la création de l’Association internationale des travailleurs (à Londres en 1864) et l’action de militants comme Eugène Varlin qui préfigurent la politique d’autonomie ouvrière du syndicalisme français des origines. Cette édition, établie et annotée par Michèle Audin, est fondée sur ces notes préparatoires destinées à nourrir « Le Tour de France », qu’elle projetait d’écrire.
Charles Jacquier
jeudi 5 septembre 2024 :: Permalien
Publié dans la revue La Déferlante, numéro 15, septembre 2024.
Depuis plus de dix ans, le collectif La Horde combat l’extrême droite sur le terrain. Dans un ouvrage pédagogique et accessible, ce mouvement antifasciste né en 2012 retrace l’histoire de cette lutte : plus qu’un mouvement en simple « réaction à », il s’agit d’une contre-culture et d’une force politique à part entière. Face à la banalisation de l’extrême droite et à sa percée dans les urnes, cet ouvrage clé en main appelle à une lutte intersectionnelle contre le sexisme, le racisme et toute forme d’oppression.
jeudi 5 septembre 2024 :: Permalien
Publié sur En attendant Nadeau, le 2 août 2024.
Avec Armand Gatti. Théâtre-Utopie, Olivier Neveux, critique et enseignant de théorie théâtrale, livre enfin le grand et ambitieux essai qu’il préparait depuis plusieurs années sur cette œuvre singulière. Avec subtilité, Neveux passe sur le biographique, et notamment la polémique stérile qui entacha à partir de 1999 la figure de Gatti – il fut accusé par son ami Pierre Boulez d’avoir « affabulé » sa jeunesse, en se disant ancien « déporté » –, et part en quête du projet politique de l’auteur qui se déploie à partir de sa première pièce représentée, Crapaud-Buffle, en octobre 1959, mise en scène par Jean Vilar au théâtre Récamier. De là, à travers quatre grands chapitres, le chercheur propose une lecture qui entremêle cette œuvre aux multiples formes (théâtre, cinéma, ateliers…) et les lieux où elle « s’établit » : l’Allemagne de la RAF et de Meinhof, l’Irlande du Nord de l’IRA et de Bobby Sand, la Belgique, Saint-Nazaire et sa population ouvrière. Mais Olivier Neveux l’affirme clairement : « Gatti n’a pas défendu un théâtre engagé, au sens où tant d’autres l’entendent, sous la pression des événements : un théâtre, inchangé, à “contenants” similaires qui s’en irait investir de nouveaux contenus déterminés par l’urgence et l’indignation. Le théâtre doit être altéré, affecté par le monde nouveau qu’il escompte, le présent qu’il combat, le passé qui l’a espéré – “Nous avons été attendus sur la terre” (W. Benjamin). Il naît de la lutte plutôt qu’il ne la thématise. Et cette altération suppose que tout soit transformé : des modes de production, des formes de création aux personnages, auteur, dispositif, les rapports qu’ils induisent. »
Cette transformation incessante fut celle de la Parole errante. En mobilisant tout un appareil théorique qui ne se limite pas au théâtre – Gatti était si étranger à ce monde-là que, dans les années 1980, beaucoup de ceux qui avaient désormais le pouvoir se détournèrent de lui –, Olivier Neveux embrasse la philosophie et la pensée politique, pour pointer remarquablement la cible de l’œuvre de Gatti. À quoi cet auteur aurait-il donc occupé sa vie ? À quoi a-t-elle été dédiée ? L’auteur fait l’hypothèse, « forcément réductrice, car il ne saurait y avoir une seule réponse, qu’il a poursuivi, sous des formes et des mots différents, le projet politique d’abolir ou de supprimer l’histoire, à tout le moins de s’en dispenser ». Cette idée d’un dessein « anhistorique » est des plus éclairantes : « Sortir de l’histoire, cela veut dire qu’on y est jusqu’au cou, quels qu’en soient les dénis ou les inconsciences, pris dans ses guerres et ses narrations, avec ses enchaînements, ses “donc” et ses “ainsi”, ces mots qui en chevillent l’ordonnancement, qui coordonnent, rectilignent et excluent ». Et l’auteur d’expliquer que sortir de l’histoire ne signifie donc pas en ignorer la réalité ni les tragédies, les échecs. Bien au contraire, Gatti fait une place cruciale aux persécutions, aux déportations et à l’extermination.
Toute l’œuvre partirait de là. Elle n’aurait presque porté que sur cette question : « ce que l’Humanité a fait de l’humanité ». Le dramaturge aurait ainsi été toujours en quête d’une forme, non pour le nommer ou le commenter, mais pour le « dire ». Grâce au travail d’Olivier Neveux, on comprend ce qui relie La Voix qui nous parle n’a pas besoin de visage et La Traversée des langages, cette recherche absolue et sans concession du « dire » le silence.
Philippe Artières
jeudi 5 septembre 2024 :: Permalien
Larzac ! parmi les 13 coups de cœur du Monde au Festival d’Avignon , publié le 17 juillet 2024.
Technique, concrète et inspirante : la conférence documentaire menée par Philippe Durand s’appuie sur les entretiens que l’acteur et auteur a eus avec des habitants du Larzac. Assis derrière sa table, l’artiste reproduit au mot et à l’intonation près les propos de femmes et d’hommes rencontrés. Il fait ainsi surgir un mode de vie et un rapport au travail à contrecourant du productivisme et du libéralisme. Sur le plateau du Larzac, la terre appartient à l’État, les paysans ne sont que de passage. Ils s’installent, travaillent aux champs, élèvent les bêtes, et puis s’en vont. D’autres prennent alors la relève. Ces agriculteurs ont inventé un écosystème vertueux dont l’ADN est la gestion collective et le respect du bien commun. On quitte la salle, éclairé par le récit net et précis de ces expériences qui ont su faire de l’utopie une réalité.
J.Ga.
jeudi 5 septembre 2024 :: Permalien
Publié dans Politis, été 2024.
La grève des sardinières de Douarnenez fête ses 100 ans. Anne Crignon, autrice d’un ouvrage sur le sujet, nous raconte cette lutte féminine victorieuse.
Journaliste à L’Obs et pigiste à Siné Mensuel, la Bretonne Anne Crignon a écrit Une belle grève de femmes, paru chez Libertalia en mai 2023 et vendu à environ 15 000 exemplaires. S’appuyant sur de nombreuses archives, l’autrice mêle le récit de ce bras de fer des ouvrières surnommées péjorativement les Penn sardin (« tête de sardine » en breton) contre le patronat d’une industrie halieutique naissante à des témoignages, glanés par Anne-Denes Martin dans les années 1990. Pour le centenaire de cette lutte, des événements ont lieu cet été dans le Finistère et à l’automne.
Avez-vous des liens personnels avec cette lutte ? Pourquoi avoir décidé d’écrire sur les Penn sardin ?
Anne Crignon Le lien, c’est la ville de mon enfance, Concarneau, port de pêche finistérien comme Douarnenez. Toutes deux sont marquées par un passé communiste. J’ai grandi avec la légende des Penn sardin, du nom de la coiffe qu’elles portaient à l’usine. Ces événements sont survenus il y a cent ans tout juste. La mémoire de cette histoire s’efface. Mais, surtout, le terme de « Penn sardin » a tendance à se folkloriser. Le risque, c’est que la Penn sardin devienne un ornement local, entre le bol à prénom des faïenceries Henriot et la marinière Armor Lux. Par exemple, il y a cette image d’une sardine en redingote qui circule, dessinée par Benjamin Rabier, star de l’illustration au début du XXe siècle et qui a aussi dessiné « La Vache qui rit ». Bref, cette sardine est iconique mais il n’y a plus personne, ou presque, pour savoir qu’il s’agissait d’un logo des usines Béziers avec son patron détesté par les ouvrières car il était le plus dur, le plus méprisant. C’est la sardine patronale en quelque sorte. Faire le récit historique de la « grande grève », raconter en détail la vie des sardinières en 1924, c’était l’idée.
Pourriez-vous nous résumer les événements de cette lutte, en dates et avec les différents partis ?
Nous sommes en novembre 1924. Les sardinières triment dans des conditions telles que Charles Tillon, qui arrivera bientôt pour aider la grève – le Charles Tillon qui sera vingt ans plus tard commandant en chef des Francs-tireurs et partisans (FTP) –, dira que tout ce qu’il a lu de Zola lui « remonte sur le cœur ». Elles travaillent jour et nuit au rythme des arrivages de sardines. La chambre froide n’existe pas, alors il faut emboîter au plus vite ce petit poisson fragile.
Dès le déchargement, une contremaîtresse bat le rappel dans les ruelles du centre-ville : « Merc’h d’ar fritur ! » (« Les filles, à la conserverie ! » en breton, NDLR). Il faut alors rejoindre les vastes hangars, trop chauds l’été, glacials en hiver. On travaille douze ou quinze heures d’affilée. Les filles de friture, comme on disait, éprouvent dans leur corps ce que veut dire tomber de fatigue mais sont bien sûr payées une misère. Des fillettes entrent à l’usine dès l’âge de 8 ans.
L’espoir, c’est le Congrès de Tours de 1920, qui n’est pas loin, le communisme qui infuse en France. Douarnenez a été une des premières villes du pays à élire un communiste, Daniel Le Flanchec, qui œuvre avec les marins pêcheurs de son conseil municipal. Place de la Croix, centrale, névralgique, il y a une grande horloge où on affiche les proclamations de la mairie et les tracts du PC, qui sont de véritables cours de science politique et d’anticapitalisme. Les ouvrières se retrouvent là. De plus en plus, ça cause de la richesse des « riches heureux » qui se fait sur leur dos.
Pourquoi se soulèvent-elles ? Peut-on considérer qu’elles ont vaincu le patronat et/ou la préfecture de l’époque ?
Le 21 novembre 1924, dans une usine, un contremaître refuse de recevoir des femmes qui veulent lui parler de leur paie, de toutes ces heures en trop. Le refus est pris pour ce qu’il est : du mépris. Tout s’embrase. Elles débrayent et vont dans la ville appeler à la grève. Le maire, « Flanchec » comme on l’appelle, est avec elles. C’est le départ de six semaines et demie de grève. Plus de deux mille ouvrières marchent chaque jour sous la pluie et les neiges d’un hiver très froid. L’hymne, c’est « Pemp real a vo ! » (« 25 sous nous voulons, et aurons ! ») chanté sur l’air des lampions. Il y a une AG le soir sous les halles avec du renfort envoyé par la Confédération générale du travail unitaire (CGTU), comme le jeune Tillon justement. Pour la petite histoire, elles cassent souvent leurs sabots sur les pavés mouillés, alors Flanchec organise une distribution gratuite de sabots à la mairie. Oui, elles ont vaincu le patronat, après pas mal de péripéties. Le préfet Desmars, elles n’ont pas eu à le combattre car il trouvait que les patrons de Douarnenez agissaient très mal.
Quel aspect de cette lutte vous a le plus marquée au fil de vos recherches ?
J’ai été frappée par la faculté de ces femmes à « trouver de la joie dans la misère », comme l’a raconté l’une d’elles à Anne-Denes Martin, une professeure de lettres qui, dans les années 1990, a eu l’idée d’aller recueillir les témoignages de Penn sardin jusque dans leur maison de retraite et d’en faire un livre. Cette « joie dans la misère », ça passait d’abord par le chant. C’était leur rituel. Elles chantaient en « emboîtant » – « emboîter » désignait tout leur savoir-faire d’ouvrières qualifiées : étêter, sécher, saler, etc. Elles chantaient des refrains populaires bretons, les drames de la mer, la guerre avec la Prusse, ou « Saluez riches heureux », un chant révolutionnaire prohibé dans les « fritures » [comme on appelait alors les conserveries, NDLR]. Elles mettaient aussi beaucoup de dignité à tenir impeccable leur logis minuscule, une pièce par famille, et à rentrer du lavoir avec leur modeste trousseau « blanc comme le linge des fées ». La messe, c’était la fête, l’occasion de porter un chapeau. Leur coquetterie est légendaire et, d’ailleurs, l’odeur âcre de l’usine qui imprégnait leurs vêtements, ça les contrariait beaucoup. Le samedi, pour la messe, elles troquaient l’habit breton pour un tailleur et un chapeau.
Comment peut-on expliquer la violence de toute cette histoire ?
À l’époque, ces patrons se croient tout permis. Les plus riches sont affiliés au Syndicat libre, lui-même affilié au tout-puissant Comité des forges, ennemi déclaré du prolétariat. Le Syndicat libre a son siège rue Bonaparte à Paris, au 54. C’est une foire à tout pour les capitalistes embêtés avec les syndicats. On peut louer des briseurs de grève, alors les patrons de Douarnenez ont fait ça. Une fois ces mercenaires en ville, tout a dégénéré le 1er janvier 1925, quand ils ont tiré sur Flanchec.
La ville de Douarnenez porte-t-elle des traces de cette lutte ?
La « grande grève » fait partie de l’identité de la ville, au beau sens du terme. Et puis, cette mairie que Flanchec avait transformée en sorte d’« arche de Douarnenez » avec une salle pour le comité de grève, une autre pour la cantine populaire, une autre pour Tillon qui vivait dans les combles, eh bien, c’est aujourd’hui la Maison Charles-Tillon. Beau clin d’œil à un homme tant aimé par ici que les Penn sardin l’avaient surnommé Tillonig (« petit Tillon »).
Si Zola a (presque) failli écrire sur cette région, comment expliquer qu’il y ait renoncé ?
Il y avait au XIXe siècle au fond de la Bretagne la même misère qu’en 1924. En 1883, Émile Zola est venu avec sa femme. Le coin ne lui a pas plu. Il l’a trouvé d’une « sauvagerie inquiétante », alors il est parti. Deux ans plus tard, il publiait Germinal. Le petit soldat qui garde la mine de Montsou vient de Plogoff : voilà ce que Zola a gardé du Finistère.
Quel est l’héritage de cette lutte dans le courant féministe actuel ? En quoi cette lutte est féminine et non féministe ?
Les Penn sardin manquaient de tout. Elles coupaient le café avec de la chicorée quand elles n’utilisaient pas le marc de la veille. Alors, quand Lucie Colliard, de la CGTU elle aussi, leur parlait du féminisme, ça leur passait un peu par-dessus la tête, forcément. Notre siècle peut-il a posteriori déclarer « féministes » les Penn sardin ? C’est toute la question.
Propos recueillis par Guy Pichard