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vendredi 13 avril 2018 :: Permalien
Dans L’Humanité, des 13,14 et 15 avril 2018.
Avec son livre Angela Davis met en lumière, dans l’art de chanteuses de blues, les germes du féminisme noir d’une conscience de classe. Un chef d’œuvre de pensée.
Avec le livre Blues et féminisme noir, traduction par Julien Bordier de Blues Legacies and Black Feminism (1998), Angela Davis livre les fruits d’un travail titanesque. À travers trois chanteuses majeures, Gertrude « Ma » Rainey (1886-1939), Bessie Smith (1894-1937) et Billie Holiday (1915-1959), elle met en lumière, pour la première fois de façon aussi minutieuse et judicieuse, les germes du féminisme noir, mais aussi la dimension de classe que celui-ci a portée en lui. Il ne s’agit pas d’attribuer à ces trois artistes un féminisme tel qu’il existe depuis un demi-siècle, ce qui serait anachronique et dénué de sens. Dans leur expression artistique, en premier lieu dans leurs chansons, Angela Davis déchiffre « les allusions aux attitudes féministes qui émergent, au travers de brèches taillées dans le discours patriarcal ».
Il est captivant d’avancer pas à pas au sein de ce précieux héritage.
Cela a nécessité un énorme labeur au niveau du collectage des chansons et de la transcription des paroles, la piètre qualité de certains enregistrements rendant la tâche ardue. On peut télécharger sur le site des éditions Libertalia l’intégralité des textes (soit 261 pages !), relevés dans l’édition américaine. Il est captivant d’avancer pas à pas au sein de ce précieux héritage, avec les clés de compréhension que fournit Angela Davis. En complément de l’étude elle-même, Blues et féminisme noir contient des photos d’archives, une bibliographie édifiante (20 pages listant ouvrages, travaux, articles et films consultés), un index des personnalités et chansons citées (6 pages) et, enfin, un CD de 18 titres gravées par Gertrude « Ma » Rainey et Bessie Smith. Cette richesse intellectuelle et culturelle, à laquelle on a accès pour 20 euros, mérite notre plus grande attention.
Angela Davis répond en mettant au centre de sa pensée la dignité de ces chanteuses.
La légendaire activiste des droits de l’homme et de la femme replace l’art de Rainey, Smith et Holiday dans le contexte historique et social de la première partie du XXe siècle. Elle élargit considérablement la grille de compréhension que nous pouvons en avoir. « Étant donné la densité de l’histoire de l’esclavage et de la ségrégation aux États-Unis, il est compréhensible que la conscience sociale noire soit surdéterminée par la question raciale », souligne-t-elle. Les femmes noires furent les premières à enregistrer du blues. « En 1920, la version de Crazy Blues interprétée par Mamie Smith s’écoula à 75 000 exemplaires dès le premier mois de sa sortie. » Ce succès a ouvert la porte à maintes chanteuses noires, telles Gertrude « Ma » Rainey (surnommée « la mère du blues »), à partir desquelles Angela Davis analyse les politiques de la contestation blues.
Passionnant est le chapitre consacré à la question sociale dans les chansons d’amour de Billie Holiday. Lady Day, qui déployait un véritable génie de l’interprétation, parvenait à imprimer à des paroles apparemment banales une émotion si juste, si prégnante : il s’en dégageait un sens plus profond qu’il n’en paraissait sur la société. Angela rappelle que Billie a participé en 1944 à un concert de soutien aux Associated Communist Clubs of Harlem. Apothéose finale, elle analyse l’emblématique chanson dénonçant le lynchage des Noirs Strange Fruit, que « Billie Holiday appelait son propre “cri de révolte” contre le racisme ». Au misérabilisme d’un certain nombre de biographies, Angela Davis répond en mettant au centre de sa pensée la dignité de ces chanteuses.
Fara C.
vendredi 13 avril 2018 :: Permalien
« Comme les pavés en 68, les opus pleuvent. Des essais et des récits pour se souvenir d’un mois de mai plein de surprises. »
Extraits d’un long article d’Éric Dussert dans Le Matricule des anges (n° 192, avril 2018).
Les plus littéraires ou les plus adeptes de la fiction en resteront donc à l’indépassable Établi de Robert Linhart et se tourneront vers l’inévitable Plus vivants que jamais de Pierre Peuchmaurd. Ce « journal des barricades » est le premier récit publié à chaud le 15 novembre 1968 par Belfond qui avait derechef créé la collection « Contestations ». Son auteur a 20 ans : c’est notre première recommandation pour ce mois de mai qui s’annonce lui aussi fiévreux.
« Et puis, c’est bien pire que ce qu’on pouvait imaginer d’en haut. Il n’y a pas de corps à corps ou peu. Ils ont compris. Ils ne peuvent rien contre les pavés. Alors ils gardent leurs distances : ils bombardent. Il pleut des grenades qu’on dirait une averse de grêlons. À côté de moi, cette fille qui tombe. On ne peut plus rien contre ça. Les gaz en plus, qui font qu’on ne respire plus. Et pourtant on reste. Allez savoir pourquoi. Ce n’est même pas se battre, ça. Ça nous tombe sur la gueule et on reste. Vient un moment où on n’a même plus peur. »
vendredi 13 avril 2018 :: Permalien
Dans CQFD n°164, avril 2018.
Vous en avez assez – surtout si, comme on dit, vous avez un « certain âge » ! - des commémorations décennales des « événements » de Mai 68 ? Vous ne supportez plus les mêmes éternels soixante-huitards invités de plateaux télé venus ressasser les mêmes platitudes sur les illusions passées de leur jeunesse et leur réussite présente de parvenus bien en cours ? Vous en avez marre d’entendre que ces événements ne se sont passés que dans un ou deux arrondissements parisiens, entre Sorbonne et Odéon ? Alors, sans hésitation, précipitez-vous sur le livre de Lola Miesseroff avant qu’il ne soit noyé sous l’avalanche commémorative des pensums de commande pour ce cinquantenaire !
Qu’est-ce que cette outre-gauche ? Lola Miesseroff la définit d’emblée comme des individus, réseaux, revues et groupes radicaux allant des anarchistes non fédérés aux situationnistes et apparentés en passant par les communistes libertaires, de gauche, ou « de conseil ». Dans cette nébuleuse, on retrouve bien sûr les revues les plus intéressantes de l’après-guerre : Socialisme ou Barbarie, l’Internationale situationniste ou Noir & Rouge. L’auteure, qui appartient à cette mouvance depuis 1967, ne propose pas des mémoires en solo, mais des entretiens anonymes avec une trentaine d’individus appartenant à cette outre-gauche dans la période 1966-1972. Pour ce faire, elle évoque d’abord le climat d’avant 1968, les parcours et les lectures marquantes de cette génération, livrant au passage de belles formules comme : « On apprend à vivre avec Vaneigem et à penser avec Debord. » Viscéralement antistaliniens, ces individus lisent Voline sur la révolution russe, Ida Mett sur la Commune de Cronstadt, Socialisme ou Barbarie sur la nature de l’URSS, Simon Leys sur la Chine de Mao, etc. Critiques du maoïsme comme du tiers-mondisme, ils s’opposent aux gauchistes de l’époque, trotskistes ou marxistes-léninistes, qui n’ont pour but que de « prendre la direction de la révolution ». Leurs velléités révolutionnaires oubliées, ces derniers persévèreront dans leur être « pour devenir des serviteurs de tous les pouvoirs en place ».
Loin du Quartier latin, ce voyage nous rappelle aussi utilement que le mouvement de Mai démarra plusieurs mois avant lors de grèves dures dans plusieurs villes et qu’il fut annoncé par le scandale de Strasbourg l’année précédente. Il vit des situationnistes s’emparer des structures de la bureaucratie syndicale étudiante pour mieux les subvertir en publiant le pamphlet De la misère en milieu étudiant considérée sous ses aspects économique, politique, psychologique, sexuel et notamment intellectuel et de quelques moyens pour y remédier. On suit les protagonistes de l’outre-gauche à Bordeaux et à Nantes où ils réalisent, à peu près seuls en France, la jonction entre les étudiants les plus radicaux et d’autres groupes sociaux (ouvriers, paysans). Sont évoqués aussi le mouvement dans les lycées, les universités, la rue et les lieux de travail, le chassé-croisé entre travailleurs et étudiants comme les causes et les conséquences de Mai (début de la fin des Trente Glorieuses et du communisme à la mode PCF-CGT, modernisation du capitalisme). Au fil des pages, c’est bel et bien le véritable esprit de Mai que l’on retrouve, aussi bien dans ce qu’il a pu avoir de meilleur comme, parfois, de (beaucoup) moins bon, à commencer par l’« idéologie de l’alcool comme élément de la panoplie révolutionnaire » ou encore sa « dénégation de la maladie mentale ». Et je serai tenté d’y ajouter son anti-syndicalisme, compréhensible sur le moment du fait du rôle contre-révolutionnaire de la CGT durant les événements, mais qui faisait fi d’un siècle et plus de luttes sociales du mouvement ouvrier…
Avant que vous vous précipitiez sur le bouquin, concluons avec l’auteure : « la lutte de classes est la seule façon d’éviter que la faillite du capitalisme soit la destruction de l’humanité. » Voilà.
Charles Jacquier
vendredi 13 avril 2018 :: Permalien
Jacques Roux, le curé rouge sur Dissidences. Avril 2018.
C’est une œuvre essentielle, une de ces biographies indispensables à une appréhension totale de la Révolution française, que la Société des études robespierristes, associée pour l’occasion aux dynamiques éditions Libertalia, nous propose. Une de ses singularités, et pas la moindre, est d’avoir été écrite par un historien de RDA. Ainsi que Jean-Numa Ducange et Claude Guillon, qui ont élaboré l’appareillage critique et l’aperçu historiographique, l’expliquent en ouverture, la prose pratiquée par Markov est également pour beaucoup dans cette traduction réalisée par Stéphanie Roza [1]. Et il est vrai que la version française restitue bien un style souvent (trop) chargé en références érudites plus ou moins implicites.
Le portrait proposé de l’enragé Jacques Roux [2], élaboré dans les années 1960 à l’aide de nombreuses pièces d’archives, est en tout cas extrêmement détaillé et objectif. Issu d’un milieu plutôt aisé, Jacques Roux s’intégra au clergé par choix de son père, et Walter Markov estime qu’il souffrira de manière croissante, particulièrement en avançant dans la Révolution, de cet engagement professionnel subi. Est-ce lié, mais son caractère est souvent sévère, cassant, sanguin, et peu enclin au compromis. Une affaire de meurtre accidentel lors de son séjour à Angoulême, et dans laquelle il aurait été impliqué, semble aller encore davantage dans ce sens. Au milieu des années 1780, il se retrouva en Saintonge, s’essayant alors à la poésie, non sans susciter certaines moqueries. C’est donc un homme en partie frustré, dans son métier et son expression, qui s’engage au cœur de la Révolution en marche. D’abord, à l’été 1790, par son sermon Le triomphe des braves Parisiens sur les ennemis du bien public, manifestation de soutien d’une Révolution voulue par Dieu [sic] et qui doit encore être consolidée en faveur du petit peuple. Ensuite, peu de temps après ce sermon qui fâcha certains de ceux qui – déjà – tiraient profit d’une Révolution modérée, en partant à l’aventure pour Paris, où battait le cœur des événements.
Il s’y rallie à l’Église constitutionnelle, un sentiment d’accomplissement pour celui dont la vie de clerc fut de plus en plus critique à l’égard de l’Église officielle. Associé à la paroisse de Saint-Nicolas-des-Champs, et au club des Cordeliers, il s’intègre surtout à la section des Gravilliers (située dans le centre de Paris, en un quartier plutôt pauvre, à majorité salariée), se rapprochant du petit peuple au détriment des notables. En 1792, il héberge pendant une semaine un Marat passé un temps dans la clandestinité, ce qui permit aux deux hommes de constater l’importance de leurs divergences et une rivalité rampante. Dans ces mois d’exacerbation de la lutte des classes, Jacques Roux fut poussé à défendre le droit de vivre contre le droit de propriété. Les événements de l’été sont conformes aux idées qu’il défend, et les sans-culottes de sa section le soutiennent totalement. Il approuve également, par réalisme, les massacres de Septembre, mais, contrairement à ce que l’on croit souvent, ne se présente pas aux élections de la Convention, préférant privilégier son rôle d’agitateur. S’en prenant aux aristocraties, qu’elles soient d’ordre ou d’affaires, il appelle à l’interventionnisme de l’État contre les accapareurs, tout en estimant que le pouvoir suprême est celui du peuple, et pas de ses représentants. Élu au conseil général de la Commune de Paris, c’est en tant que représentant de celle-ci qu’il assiste à l’exécution de Louis XVI, qu’il approuve pleinement, mais en ayant un rôle bien plus effacé que ce que veut faire croire sa légende noire.
Walter Markov, dans un récit par en bas des événements révolutionnaires, montre bien que Jacques Roux n’est pas à la tête d’un parti, mais qu’il est porté par les initiatives des masses elles-mêmes qui se choisissent des porte-paroles, ainsi pour les émeutes de février 1793 [3]. « C’est ainsi qu’on peut les considérer : des garde-fous pour maintenir la Montagne à gauche et empêcher les retours en arrière (…) » (p. 262). L’essence de sa pensée, à ce moment clef de la Révolution, on la trouve dans le Discours sur les causes des malheurs de la République française, texte resté inédit, et écrit vers mai-juin 1793, véritable matrice du plus célèbre Manifeste des Enragés. Walter Markov en propose une analyse détaillée, y repérant l’émergence d’une conscience anticapitaliste, une colère dirigée contre les riches et l’enrichissement individuel, tout en prenant en considération les antagonismes proprement sociaux. L’apogée de son expression idéologique, la lecture du dit Manifeste devant la Convention, signe également le début de sa fin. Un large front contre lui et les autres figures des Enragés se coagule, Montagne, Commune, Cordeliers, etc… face au danger de sa « république populaire » (sic Walter Markov). Même sa propre section est retournée contre lui. Après la mort de Marat, Jacques Roux publie un journal se présentant comme l’héritier de l’ami du peuple, et s’efforce de prouver son soutien à la Montagne, qui accède finalement à une partie de ses demandes.
Cela n’empêche pas les tensions avec la Convention de s’exacerber, conduisant à une arrestation en août 1793, avant l’incarcération définitive en septembre, dans la foulée de nouvelles manifestations alimentaires. Walter Markov y voit la nécessité, pour une Assemblée nationale ayant fait le choix de s’allier au mouvement populaire, d’en écarter les indomptables leaders présumés. Jacques Roux poursuivra un temps, bien qu’emprisonné, la publication de son journal, radicalisant sa critique du pouvoir et jugeant également la politique de la Terreur mise en place, mais d’en haut, excessive, avant d’échapper à la guillotine en se suicidant. « Mais en apprenant aux damnés de la Terre à brandir leur propre drapeau, les Enragés s’inscrivirent dans le livre d’or de l’histoire universelle. Ils mirent à l’ordre du jour la question de la place des travailleurs dans la société. […] Leur contribution historique consista à porter à son paroxysme la conception plébéienne de l’égalité, à en tirer les conséquences ultimes. Cela les mena dans une impasse et ils furent éliminés. Mais leur échec était nécessaire pour ouvrir la voie à une alternative non égalitaire à la loi du profit : celle de Babeuf le communautaire et finalement du slogan « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » » (p. 457-458).
Dans ce récit fidèle à une lecture marxiste classique, celle de la Révolution française comme révolution bourgeoise, étape qui ne peut être brûlée, Walter Markov évoque parfois l’interprétation d’un Piotr Kropotkine [4]. Richement appareillée, la biographie proprement dite est complétée par une postface de Matthias Middell, qui revient sur l’itinéraire de Walter Markov et sur son œuvre. Surtout, un CD Rom a été adjoint au livre, permettant d’avoir accès à l’ensemble des travaux de l’historien allemand sous forme de fichiers PDF : l’ensemble des textes de et sur Jacques Roux, base de données de plus de 700 pages, ainsi que plusieurs articles, de l’historien allemand ou d’autres auteurs, parmi lesquels Claude Guillon, qui signe un travail intéressant sur l’iconographie de Jacques Roux (sanguinaire et repoussant dans le récent jeu Assassin’s Creed). On tient bien là l’œuvre de référence sur Jacques Roux, et une contribution d’importance à l’histoire de son courant.
Jean-Guillaume Lanuque
[1] Stéphanie Roza, ainsi que Jean-Numa Ducange, sont membres de la rédaction de Dissidences.
[2] Sur Jacques Roux, voir notre recension d’une autre biographie, plus sommaire, celle de Dominic Rousseau : http://dissidences.hypotheses.org/8570
[3] « Ce ne sont pas les Enragés qui ont fait le 25 février, mais plutôt le 25 février qui a fait les Enragés. » (p. 245).
[4] Voir la recension de son maître livre dans notre revue électronique : https://revuesshs.u-bourgogne.fr/dissidences/document.php?id=1822
vendredi 13 avril 2018 :: Permalien
Réfugié dans le mensuel Alternative libertaire, avril 2018.
« L’Europe ne peut accueillir toute la misère du monde, entend-on. Au nom de ce principe, les Européens laissent mourir des hommes, des femmes et des enfants devant leurs portes. La Méditerranée est devenue la fosse commune de milliers de migrants. […] Je suis une de ces personnes. En route pour l’Europe, comme tant d’autres migrant·e·s, j’ai été dévalisé par des bandits dans le désert, j’ai dû travailler au noir à Tamanrasset, me cacher durant des mois à Alger, puis franchir clandestinement la frontière au Maroc, où je suis resté bloqué durant quatre longues années. Avec mes camarades, nous nous sommes battu-e-s pour nos droits. J’ai écrit ce livre pour raconter notre histoire. »
Récit autobiographique d’« une odyssée africaine », Réfugié déroule une histoire parmi tant d’autres, d’un homme, Emmanuel Mbolela. Leader de l’opposition estudiantine congolaise, pour sauver sa peau des griffes de la police de Kabila et de sa dictature qui reprend en bonne partie les bonnes vieilles méthodes du sanguinaire maréchal Mobutu, il décide de prendre le large.
Il quitte son pays, la République démocratique du Congo, avec pour rêve l’horizon lointain de l’Eldorado européen. Le périple long l’amène à traverser les frontières : le Cameroun, le Nigeria, le Bénin, le Burkina Faso, le Mali, l’Algérie puis le Maroc, Emmanuel détaille sa vie faite d’incertitudes et de violence. Violence des passeurs qui se payent sur le dos des malheureux et des malheureuses. Violence des policiers qui pourchassent et tabassent les réfugié.es. Violence, aussi, des douaniers qui à chaque traversée de frontière, se servent sur le tas. Les femmes (pour nombre d’entre elles, mères célibataires) qui accompagnent le groupe d’Emmanuel, sont violées systématiquement pour avoir le droit de franchir la frontière, elles et leurs compagnons d’infortune.
Le livre évoque aussi le racisme profond dont sont victimes ceux et celles qui sont perçu·e·s dans les rues d’Alger, d’Oujda ou de Rabat comme des « esclaves » bons à être lapidé·e·s.
Emmanuel finit par poser un pied sur le sol européen. Ce sera les Pays-Bas. Et si, à la différence de nombre de ses frères et sœurs, il n’a pas sombré dans une patera au milieu des mers, sa quête d’une vie meilleure se poursuit. Au pays des tulipes, il découvre le froid, la misère, les boulots à la chaîne sous-payés, la solitude, l’indifférence.
Réfugié constitue, en dépit de la terrible réalité qu’il évoque, un ouvrage plein d’humanité dans cette solidarité qui se dessine entre ces damné.es de l’exil. Au Maroc, Emmanuel, appuyé par l’inlassable soutien des femmes congolaises réfugié.es comme lui à Rabat, fonde l’Association des réfugiés congolais au Maroc (Arcom) qui impose au régime de Mohamed VI un minimum de reconnaissance de droits aux sans-papiers.
À lire assurément, édité par les très riches et très militantes éditions Libertalia, Réfugié donne de la voix aux sans voix de ce monde. Et c’est là sa principale qualité.
Jérémie (AL Gard)